Ce recueil de 21 nouvelles à chute paru en 1998 ne m'était pas inconnu : j'avais déjà eu l'occasion de faire lire et étudier "Solitude numérique", l'histoire d'une femme qui ne sait plus comment faire pour détacher son mari de l'écran de télévision. Sur les effets des écrans, j'ai découvert aussi une autre nouvelle que je trouve plus intéressante, "L’Écran crevé" et sur les ressources de l’informatique "L'image du fils" mérite le détour.
Je n'ai pas compris l'intéret de l'accident raconté dans "La psychanalyse du Frigidaire" et je n'ai pas aimé "Mobile homme" nouvelle qui, à elle seule, m’empêchera de recommander ce livre à des collégiens tant elle me semble voyeuriste, dommage !
En revanche, "Le Salaire du sniper" sur la presse et ses compromis avec la morale malgré le cynisme de la fin et "Passage d'Enfer" sur la déchéance sociale sont des nouvelles particulièrement fortes qui nous parlent d'aujourd'hui avec une parfaite maîtrise des contraintes liées au genre.
Extraits choisis de Passage d'enfer, la 21e nouvelle : " 12 mai 1998, boulevard Raspail. Guy Chaplain se soulagea dans l'édicule Decaux planté au coin de la sinistre rue Richard qui coupait le cimetière Montparnasse en deux parties inégales. Il se rajusta et déboucha sur le boulevard, face au lycée technique Raspail qu'il avait quitté avec quelques amis de rencontre, quelques mois plus tôt, avant que la mairie n'en mure les issues. Il fit une pause, dans le square triangulaire, puis se mit en devoir de remonter la rue Campagne-Première pour atteindre le boulevard Montparnasse avant que les restaurants n'aient absorbé les bataillons de spectateurs libérés par les cinémas. C'était le meilleur moment de la journée, pour la manche.(p.279/280)
13 mai 1998, 4 heures du matin, passage d'Enfer [...] Ce fut le couple habillé en Saint Laurent et Rabanne, des antiquaires des arcades Rivoli, qui eut l'idée de fêter dignement le trentenaire du 13 mai 1968 en érigeant une barricade au milieu du passage d'Enfer. Pedro usa de son prestige pour prendre la direction des opérations, et une petite troupe zigzagante se dirigea vers les grilles barrant l'entrée côté boulevard Raspail. Au son de l'Internationale, les conteneurs à ordures furent promptement traînés sur les pavés ainsi que des cageots, des emballages de fruits et légumes, des robots mixeurs, soigneusement empilés près du platane par l'épicier vietnamien et le vendeur d'électroménager. Un matelas compissé par tous les chiens du quartier, une vieille télé abandonnée et un frigo aux parois poisseuses d'huiles de fritures complétèrent le dispositif des émeutiers du petit matin. (p295-296)"
Je ne peux évidemment pas en dire plus car dans ces nouvelles, l'histoire est très resserrée, comme le veut la tradition.