Paru en 2011, ce roman relate globalement la même histoire que Mon traître que l'auteur a publié en 2008 mais cette fois l'histoire est présentée du point de vue de Tyrone Meehan qui dit dans le prologue daté du 24 décembre 2006 : "Si je parle aujourd'hui, c'est parce que je suis le seul à pouvoir dire la vérité. Parce qu'après moi, j'espère le silence." L’expérience relatée est en effet douloureuse puisque membre actif de l'IRA, l'Armée Révolutionnaire Irlandaise, il a traversé les moments les plus difficiles de son histoire, combats armés contre des chars britanniques, emprisonnements sans jugement dans des conditions particulièrement sordides, torture, grève de l'hygiène, grèves de la faim, ...et pourtant Tyrone a fini par trahir. De malheureuses circonstances ont fait de lui une proie facile pour les services secrets britanniques et il s'est ainsi transformé de héros en traître durant plus de 20 ans. Lorsque la paix a été conclue, les britanniques ont jugé bon de discréditer les combattants de l'IRA en dénonçant la traîtrise de Tyrone et de deux autres personnes dont ils cachent le nom afin de créer les soupçons et d'interdire ainsi à l'organisation d'ériger quelques-uns des siens en héros ou en martyrs.
Le récit retrace à travers Tyrone l'histoire de l'IRA et de son organisation politique mais c'est aussi un hymne à l'engagement, à la solidarité, à l'humanité célébrés par une langue pleine de poésie où l'on croise de belles images bien saisissantes : "Gueule cassée, regard glace, Meehan vent mauvais" c'est le portrait de Patraig, le père de Tyrone (p 13), "le silence était en ruine", tel est l'effet ressenti par Tyrone encore enfant après les bombardements de Belfast par les Jerrys c'est à dire l'armée allemande (p 41)..
En somme, un roman nécessaire pour comprendre l'histoire de l'Irlande du Nord et une œuvre puissante comme le sont aussi Le Quatrième Mur et Profession du Père. Le métier de journaliste et les éléments de sa biographie se conjuguent dans l’œuvre de Chalandon à une plume à la fois délicate et acérée.J'espère qu'il écrira encore d'autres œuvres de ce type. Son seul roman de pure fiction m'avait semblé moins convaincant même si on y retrouve des thèmes récurrents chez Chalandon, comme celui de l'amitié ou celui de l'engagement.
Extrait choisi (et c'est un choix difficile !) : "Alors nous avons parlé de la misère. De la Grande Famine. Des enfants sans chaussures dans la boue. De la lèpre du pain, qui suinte au coin des bouches mal nourries. De mon père mort de givre. Nous avions une colère commune. Et la haine, aussi. Comme nous, Tom Williams avait fui son quartier. Une bombe loyaliste jetée sur un groupe d'enfants qui jouaient dans un parc. Il y avait eu des morts. Et c'est Terry Williams, son oncle, qui avait été emprisonné pour avoir défendu sa rue. Mais pas les tueurs protestants. C'était injuste. Tout était injuste...." p. 88