Je craignais que Sorj Chalandon ait épuisé la veine de l'écriture romanesque après Profession
du père, Le quatrième mur, Retour à Killybegs, Mon traître... tant de beaux romans qui semblaient tous être nés d'expériences personnelles très puissantes. Le Jour d'avant est pourtant sorti cet été 2017 et comme les précédents, il semble bien avoir un rapport avec l'expérience personnelle, celle du journaliste de Libération qui en 1974 a suivi l'événement de la catastrophe de la mine de Liévin.
Alors une réécriture de Germinal, version XX" siècle ? Certes oui, et les références directes au roman de Zola sont d'ailleurs fréquentes. On croirait presque revoir Étienne descendre dans la mine ou les enfants Maheu au coron...
Cependant, le titre nous en avertit, ce qui intéresse ici le narrateur (intradiégétique) c'est le "jour d'avant" et ce narrateur, Michel,(qui rappelle de plus en plus Meursault) nous entraîne dans une perplexité de plus en plus grande lorsqu'il devient criminel ou presque, puis inculpé muet et condamné résigné alors que sa victime gagne en capital de sympathie à mesure qu'avance le récit. Dans ce roman les êtres sont complexes, une face en cache une autre et on explore ainsi l'extrême richesse de l'âme humaine.
L'écriture de Chalandon est toujours aussi efficace et incisive, je ne m'en lasse pas :
"Explosion. Une poche de grisou au creux de mon ventre. Une vague brûlante. Son souffle a enflammé ma poussière de charbon. Dos, bras, jambes. L'air m'a manqué. J'ai ouvert la bouche. Mes épaules se sont affaissées. Mon visage s'est violemment embrasé. Feu aux tempes, sang aux joues. Une larme de sueur a perlé derrière mon oreille. Ne pas abîmer mon regard. Ne pas cesser de sourire. Dans sa main, ma main tremblait. Ses yeux fouillaient les miens. Il prenait ce séisme pour un désarroi. J'ai rassemblé mes forces."
Passage énigmatique n'est-ce pas ? Mais tout le roman est comme ça ! Il faut se laisser intriguer.