Lire La Serpe n'est pas une mince affaire ! plus de 600 pages imprimées en grand format
édité par Julliard, c'est un poids à supporter quand on lit au lit ! Un triple meurtre à la serpe, une nuit de 1941 dans un château du Périgord, ça n'est pas non plus une mince affaire ! Et quand on comprend que l'inculpé puis disculpé sans autre accusé n'est autre que le fils unique du châtelain, Henri Girard alias Georges Arnaud, auteur du célèbre Salaire de la peur, on comprend que le poids du papier n'est rien vis à vis de celui de l'affaire.
Or, c'est un livre qu'on ne peut pas relâcher tant il étonne, surprend, brise les attentes. En lice pour le Goncourt (le narrateur/auteur se soucie d'ailleurs de finir son livre assez vite pour cela), il se doit d'être un roman et s'affirme bien comme tel "Ce livre, ce roman, raconte ce qu'on appelle une histoire vraie." (p. 13) Certes l'image de couverture, les schémas des premières pages suggèrent un roman à énigme, sorte d'Agatha Christie. Pourtant l'auteur se distingue mal du narrateur, la fiction se détache difficilement de la réalité, la structure retrace les faits, le procès, pour ensuite accompagner les investigations minutieuses du narrateur, auteur aux archives et sur les lieux de ce crime vieux de soixante-quinze ans afin de mettre à jour de nouveaux indices menant à de nouvelles hypothèses. Cela s'apparente à une chronique, l'histoire en arrière-plan : l'Occupation, Vichy...
Sauf que ce narrateur/auteur prend très vite l'épaisseur d'un héros de roman, d'un Columbo (auquel lui-même se compare), d'un héros à la fois picaresque et hyper réaliste débarqué à l'hôtel Mercure de Périgueux avec la valise rouge à roulettes de son fils Ernest, le foulard à pois de sa femme Anne-Catherine après un périple chaotique au volant d'une Meriva de location dont le voyant rouge s'allume dès les premiers kilomètres à la sortie de Paris."Il faut, cependant que j'apprenne à relativiser. Au pire, je finis dans la glissière de sécurité. En rade sur le bord de la route avec, peut-être, une ou deux bosses et un peu de sang sur l'arcade. La pauvre Lili aurait signé tout de suite, dans son lointain Périgord." Des motifs récurrents parcourent le roman, sortes de leitmotivs propres au héros narrateur auteur. Ainsi dès le premier chapitre, l'incipit du Club des Cinq en roulotte "Quelle malchance ! " est évoqué et on retrouve ainsi comme les cailloux blancs du Petit Poucet, dispersées dans le roman, diverses réflexions sur Le Club des Cinq, ses aventures, ses personnages, le sexisme dans le Club des Cinq...Bref, dans ce roman, le sordide le plus épouvantable côtoie le quotidien, le sarcasme côtoie le lyrisme, le tragique côtoie le comique. Au lecteur, de s'y retrouver et je dois le dire, on se prend au jeu. Pas dans les cent premières pages, non, car pour ma part, j'étais trop déstabilisée par la perturbation des horizons d'attente du genre romanesque mais les cinq cents suivantes se lisent avec gourmandise car Jaenada écrit bien et on se laisse entraîner sans résistance. Je lui souhaite de décrocher le Goncourt !
extrait : "Les énormités de l'enquête déboussolent mais il ne faut pas que je parte dans tous les sens (j'ai mal à la tête.), ou le tunnel va devenir labyrinthe et on n'en sortira jamais. Creusons droit. (Le mois dernier, ma mère m'a envoyé une carte postale avec un proverbe chinois : "Qui veut gravir une montagne commence par le bas." Et qui veut creuser un tunnel dedans commence par l'entrée. Le milieu, c'est plus compliqué.) Avec les jours qui passent dans la salle de lecture, je prends du recul, je vois mieux. Je dois avancer dans l'ordre, en ligne, comme à l'école (ABC ou autre)." p 397