Cette grande fresque romanesque apparaît seulement en deuxième position dans la présentation de quatrième de couverture de ce roman de quatre-cents pages,
après la mise en avant de cet enfant et de ce mystérieux personnage. Cependant c’est bien l’Histoire le personnage principal qui est alors raconté, retracé, reproduit. Mais pour cela, il faut que quelqu’un se dévoue pour prendre en charge ces travaux conséquents. Un enfant boiteux, voilà notre narrateur, et notre écrivain au passage.
Comment résumer un roman résumant lui-même tant d’années de recherches, basées au départ sur un simple bâtiment, accueillant des fous, le Lazaret ? Je me contenterai alors de repenser à cet homme répétant Taba-taba tout le temps, qui malheureusement n’apparaîtra pas assez de fois dans ce livre pour que je puisse comprendre pourquoi ces mots se retrouvent au plein milieu de la première de couverture. Il laisse place à la mise en scène d’une petite-fille nommée l’Impératrice Eugénie et de sa famille venant d’Égypte dans les années 1862, remplacée par la suite par l’arrivée d’un gymnaste, dont nous suivrons les déplacements qu’il fera avec sa femme, son fils et sa fille à travers la France durant la Première et la Seconde guerre mondiale.
Tous ces récits sont entrecoupés d’une part par des bouts d’histoire naviguant dans les siècles et dans les différents pays du monde. Des chefs d’État, des peintres, des résistants ou encore des inventeurs viennent s’intercaler entre les nombreuses explications du narrateur. Quand l’enfant, devenu maintenant adulte, décide de ne plus rendre compte avec ses propres mots, il nous dévoile alors de nombreux documents qu’il a recueillis : des lettres authentiques de poilus, des articles de presse ou des citations de grands auteurs comme celle de Victor Hugo Voilà mille ans qu’ils font payer les émeraudes / Des tiares à ceux qui n’ont pas de souliers. D’autre part l’auteur nous rapporte ses aventures. En effet, lui aussi voyage dans le monde entier. Toujours dans la quête d’en apprendre plus sur le Lazaret et ses personnages, il va à la source de leur existence et nous fait part de nouvelles découvertes et d’hypothèses, le menant sur une nouvelle piste.
Des centaines d’informations dans un seul roman. C’est à la fois son point fort et sa faiblesse. Effectivement, il rend compte dans cet ouvrage d’un travail époustouflant et grandissime. Des heures de recherche incalculables et effrayantes. Cependant quatre cents pages de pures descriptions historiques, cela peut être long … Patrick Deville pense tout de même à ce détail en découpant son texte en quatre-vingt-deux chapitres, permettant de faire une pause sans perdre le fils de l’histoire.
Son style d’écriture nous offre une approche simplifiée sur tous les aléas historiques. Enfin, il laisse au lecteur la possibilité de penser à des faits futiles_ Il prononce les voyelles dans l’ordre qu’il avait appris à les réciter ,a, e, i, o, u, s’aperçoit que « oiseau » est le seul mot à rassembler les cinq voyelles de l’alphabet en un arc-en-ciel de sonorité _ ou de remettre en cause les actions humaines en s’interrogeant sur l’avenir : les tempêtes et les ouragans furent les signes d’un bouleversement climatique qui entraîna la disparition de 95 % des espèces maritimes et de 70% des espèces continentales: parmi celles-ci l’humaine ne figurait pas encore.
Taba-Taba, l’enfant, la petite-fille ou encore le gymnaste, eux qui d’apparence n’ont rien à avoir ensemble, seront finalement assimilés un par un par un coup de maître de Patrick Deville. Mais pour le découvrir, il faudra se laisser guider à travers cette grande fresque historique.