Mais, pour rassurer Gilles, je faisais la grande et je chuchotais :
« Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n’arrive pas dans la vraie vie. »
Alors ce roman tout entier est peut-être écrit dans cet espoir. En tous cas, il est plein d'histoires qui font peur, du marchand de glace qui se fait arracher le visage par le siphon à chantilly au meurtre du père devant la famille réunie, en passant par la hyène empaillée dans la salle des trophées de chasse, la cassette d'enregistrements de cris de douleur, la chasse en forêt la nuit, le Champion donnant une correction au voleur de chiot, le gardien du cimetière de voitures, Même la nature semble porter la trace de la peur ou pour le moins de la violence : un dragon "avait donné de grands coups de griffe dans la terre. Et ça avait creusé des vallées. Depuis, la végétation a repoussé, des hommes sont revenus, mais les traces de griffes sont restées.
Les bois et les champs alentour étaient parsemés de cicatrices, plus ou moins profondes."
Or cette peur est surtout le fruit de la violence : celle de Gilles traumatisé par l'accident du marchand de glace, celle du père de famille, passionné de chasse, collectionneur de trophées mais violent aussi avec son épouse, une "amibe" aux yeux de sa fille puis à l'égard de sa fille et enfin c'est la violence de l'héroïne elle-même : "la bête qui dormait derrière mes tripes venait de se réveiller. Et [qu’] elle était de mauvais poil. Vraiment. Je l’ai entendue souffler : « Je pensais avoir été claire la dernière fois, putain. » Elle a gerbé ses petits, encore. Et ils se sont nourris de la violence de mon père et de la force que le Champion venait de me donner."
La violence est ainsi au coeur de ce roman, elle en est le thème et le sujet même de l'intrigue. Le récit quant à lui a la fraîcheur poétique d'un récit d'enfant : "Sur le chemin du retour, la camionnette du glacier est passée, jouant la Valse des fleurs. J’ai pris la main de Gilles. Elle était froide et raide comme un oiseau mort. La hyène a ri en me déchiquetant les tripes..."
L’enjeu est pour l’héroïne de sauver son petit frère Gilles de l’emprise de l’hyène et elle rêve pour cela de construire une voiture capable de revenir dans le passé comme elle l’avait vu dans un film. Cela la conduit à se passionner pour Marie Curie et a devenir un génie de la physique. Parmi les rares personnages positifs du roman, on trouve notamment son vieux professeur de Pavlovié dont l’épouse elle aussi a été victime de la violence après avoir protégé les femmes victimes de violence !