Curieux roman que celui-ci. Comment conjuguer l’histoire du nationalisme corse avec le rituel de l’enterrement catholique et le questionnement sur l’image ? C’est ce que l’auteur résout dans ce roman en s’appuyant sur un personnage, Antonia, une jeune femme qui relie tous ces fils.
Antonia a reçu de son parrain un appareil photo dont elle ne peut se départir, elle photographie et fixe ainsi tout ce qu’elle voit dans le temps. Elle devient photographe pour un journal local mais aspire à un travail plus essentiel à ses yeux. Elle part en Yougoslavie quand éclate la guerre et suivant l’itinéraire de Dragan D. un jeune appelé venu de Voïvodine, elle prend des photos impossibles à publier tant elles fixent l’horreur insoutenable. Dragan D après la guerre ne pourra plus se passer de la guerre et s’engagera dans la légion étrangère, Antonia se réfugiera dans la photo de mariage.
Antonia est aussi la « femme » du nationaliste Pascal B. et suit ainsi l’histoire du nationalisme corse et plus précisément du FLNC de 1979 jusqu’à 1999, ses conférences de presse, ses plasticages, ses attentats.
Enfin tout le roman ou presque relate la cérémonie d’enterrement d’Antonia, tuée dans un accident de voiture : l’histoire est ainsi rythmée par les prières au bas de l’autel, le Requiem aeternam, le Kyrie eleison, l’épître, le Dies Irae, jusqu’au Libera me.
Majestueuse composition d’où émergent de très beaux portraits parmi lesquels celui du parrain d’Antonia, qui célèbre la cérémonie.
Extrait choisi : « … la mort est passée, en vérité, la mort est déjà passée au moment même où une main anonyme actionne le déclencheur, dans l’immeuble de la Loubianka, les prisons de Phnom Penh ou, plus loin encore, dans un appartement de Santiago du Chili, alors que le soleil éclaire à contrejour le visage d’une étudiante souriante tenant entre ses mains l’étui en cuir d’un appareil photo et qui n’eut d’autre sépulture que ce portrait et alors, peut-être, Antonia aurait pu songer que tous ces clichés dont elle avait si honte d’être l’auteur, les joueurs de pétanque, les comités des fêtes, les élections de miss ou les jeunes gens posant en cagoule dans le maquis, le fusil à la main, sous des drapeaux à tête de Maure disaient au fond eux aussi la même chose, avec la même innocence et, bien sûr, la même absence de pitié. »