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20 juillet 2019 6 20 /07 /juillet /2019 18:23

Paru en 2018 et couronné la même année des prix Fémina et Renaudot, ce livre est le récit d’une lente et patiente reconstruction physique mais aussi d’une lente et patiente quête d’une identité nouvelle qui puisse enfin être habitée.

 

L’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 est l’élément déclencheur ; l’auteur en sort plus mort que vif, L’acharnement des chirurgiens de La Pitié-Salpêtrière parvient au prix de dix-sept opérations au moins à remettre l‘auteur dans le monde des vivants, presque de force ! Il faudra encore plusieurs mois aux Invalides et l’entêtement des kinésithérapeutes et psychiatres puis la remise à neuf de son appartement pour enfin tirer l’auteur vers la vie. Il est tout juste tiré d’affaire quand lui parvient lors de son séjour à New-York la nouvelle de l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015. Et le récit s’achève là. Ces onze mois racontés en 512 pages sont donc la traversée du désert dans ce qu’il a de plus concret et de plus aride, Pas de place pour autre chose que la réalité: «Si écrire consiste à imaginer tout ce qui manque, à substituer au vide un certain ordre, je n’écris pas : comment pourrais-je créer la moindre fiction alors que j’ai moi-même été avalé par une fiction ? Comment bâtir un ordre quelconque sur de telles ruines ? Autant demander à Jonas d’imaginer qu’il vit dans le ventre d’une baleine au moment où il vit dans le ventre d’une baleine. » (p 93).

 

Pourtant outre l’indéfectible présence de son frère, de ses parents, de ses proches, de l’équipe médicale, le monde de la fiction ou au moins celui de la création littéraire et artistique constitue pour l’auteur une sorte de viatique : La mort de la grand-mère dans Le Côté de Guermantes relue avant chaque descente au bloc opératoire puis La Montagne magique de Thomas Mann, les pages où « où les morts sont descendus dans la neige sur des bobsleighs », les lettres de Kafka à Milena Jesenská, l’art de la fugue de Bach, les tableaux de Vélazquez… « Ma seule prière passait pour l’instant par Bach et Kafka : l’un m’apportait la paix, et l’autre, une forme de modestie et de soumission ironique à l’angoisse. » dit-il p 274. Tout cela accompagne l’auteur dans son parcours de douleur et le lecteur dans sa lecture.

 

Extrait : « Le lundi 2 février, je lis la mort de la grand-mère et je descends au bloc, dans l’après-midi. Comme l’attente n’en finit pas, je lis aussi quelques pages de La Montagne magique, celles où les morts sont descendus dans la neige sur des bobsleighs. Je ferme les yeux. Je suis chacun d’eux. La neige sur laquelle ils glissent a une odeur faite de cire chaude, de gazole et de tilleul menthe. Peu après être remonté du bloc, c’est la panique autour de moi : la saturation baisse, le pouls s’accélère, je sue comme la neige fond, je ne parviens pas à respirer, l’interne ne sait pas quoi faire. Mon père et mon frère me regardent, bras ballants, très pâles, littéralement interdits. J’ai le sentiment de descendre dans un puits humide et chaud, sans air. C’est épouvantable et c’est enivrant. C’est mystérieux et c’est intéressant. En me jouant des tours, mon corps m’initie. En m’échappant, il m’appartient. J’observe la descente que je subis, je me sens le père de mon père et l’ancêtre du frère dont je dépends. »

 

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