"Il neige depuis une semaine. Près de la fenêtre je regarde la nuit et j’écoute le froid. Ici il fait du bruit. Un bruit particulier, déplaisant, donnant à croire que le bâtiment, pris dans un étau de glace, émet une plainte angoissante comme s’il souffrait et craquait sous l’effet de la rétraction." ainsi commence Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois.
Et en effet, dans ce roman qui semble explorer les limites de son genre, la neige, la glace, l'eau, la pierre, la chaleur, le froid, la tempête sont autant de perception du monde que l'on découvre à travers une famille franco-danoise et québécoise que l'on accompagne sur deux générations mais aussi à travers de nombreux autres personnages hauts en couleurs comme " Patrick Horton, un homme et demi qui s’est fait tatouer l’histoire de sa vie sur la peau du dos – Life is a bitch and then you die – et celle de son amour pour les Harley Davidson sur l’arrondi des épaules et le haut de la poitrine. Patrick est en attente de jugement après le meurtre d’un Hells Angel" ou Kieran Read, le casualties adjuster, qui travaille à chercher les fautes des morts pour éviter aux assurances de payer ou encore l’odieux Sedgwick. Mais c’est surtout la fabuleuse Winona qui m’a touchée, seule femme véritablement présente dans ce roman si l’on excepte la « beauté exceptionnelle » de la sulfureuse mère du héros. Celui-ci ne tarit pas d’éloge pour son épouse, squaw de Maniwaki de mère irlandaise : Winona représentait à mes yeux le formidable condensé de deux mondes anciens. De sa mère irlandaise elle tenait cette force de brasser la terre à l’égal de la vie, déblayant les obstacles comme si chaque jour était à faire de ses propres mains. Joueuse, heureuse, d’une loyauté sans défaillance, elle avait de surcroît cette défiance héréditaire à l’endroit de l’Anglais. De sa part autochtone elle avait retenu cette capacité à s’intégrer dans le monde intangible, à faire corps avec lui, lisant les messages du vent, les rideaux de la pluie, écoutant grincer les arbres. Elle avait grandi dans le corridor des légendes, ces histoires édifiantes qui refaçonnaient l’origine des temps, qui disaient que les loups avaient appris aux hommes à parler, qu’ils leur avaient enseigné l’amour, le respect mutuel et l’art de vivre en société. Et aussi les ours. Et les caribous. Ils étaient nos ancêtres comme les aigles, et les arbres de la forêt, les herbes des prairies. Nous mangions tous cette même terre et, le moment venu, elle aussi nous mangerait.
En réalité, outre quelques lamelles de son cerveau profondément algonquines, Winona était aussi une femme pragmatique habitant le ventre des aéronefs et tâtant leur voilure dont il fallait tous les jours vérifier le squelette. »
Alors oui ce roman en atteste, « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » J'ai beaucoup aimé la magnifique galerie de portraits de ce roman.