Derrière trois citronniers et un cep de vigne
Ce roman commence à la fin du XIXe siècle, lorsque le phylloxera détruit les vignobles du Juras.
Comme plusieurs de ses contemporains, le héros quitte le pays, un cep encore sain en poche, et prend un navire en direction de la Californie. Le hasard fait cependant qu'il s’arrête au Chili et s'installe à Santiago dans une demeure de style andalou dont la façade était cachée par trois citronniers. Là il fonde une famille qui n'aura de cesse de quitter le bercail pour la France puis de rentrer au bercail, au moins lorsque cela reste possible. Le roman nous raconte l'histoire de cette famille nommée Lonsonnier à la suite d'une confusion avec la ville de ses origines, Lons-le-Sonnier et c'est aussi l'histoire du monde qui heurte de plein fouet plusieurs de ses membres : les tranchées de la première guerre mondiale fauchent deux des fils Lonsonnier, les batailles aériennes de la seconde guerre mondiale meurtrissent sa petite-fille et pour finir la dictature de Pinochet oblige son arrière petit-fils à l'exil en France. Les pages qui évoquent la torture des prisonniers de Pinochet à la villa Grimaldi sont particulièrement saisissantes.
Mais ce roman ne se résume mais si aisément. Outre l'arrière-plan historique, il est étonnant par le rôle de l'élément magique qui sert souvent de lien entre les éléments : "vieille femme couverte de bracelets, aux lèvres jaunes, assise sur une chaise de rotin, au front tatoué d’étoiles" d'abord puis, à plusieurs reprises, "un machi célèbre, un guérisseur mapuche, appelé Aukan, qui fascinait les foules autant qu’il repoussait les scientifiques. Cet homme étrange, promis à jouer un rôle essentiel dans l’histoire familiale, disait être né dans la Tierra del Fuego, issu d’une interminable descendance de sorciers et d’ensorceleurs. Il avait traversé l’Araucanie à pied, fuyant les missionnaires et les frères jésuites qui fondaient des communautés, où il avait gagné sa vie en se livrant à des prescriptions de médecine surnaturelle, là où la médecine naturelle avait échoué. Il avait dans son sourire un soupçon de malice, des anneaux aux poignets et une bague à son index trouvée dans l’estomac d’un poisson. Son dos était comme un chêne large, sur lequel tombaient de longs cheveux noirs, attachés avec une barrette indigène. Toujours vêtu d’un poncho qui laissait à découvert son épaule gauche, il portait un épais ceinturon d’argent, adorné de grappes de cascabelles, et un pantalon en peau de vigogne dont le pli effleurait la chaussure. Quand il souriait, ses dents avaient une lueur bleuâtre et, quand il parlait, des paroles étranges aux inflexions mystiques, avec un accent insituable, semblaient venir non pas tant d’un autre pays, mais d’un autre temps, d’une langue si singulière qu’on n’aurait su dire si elle existait ou s’il l’inventait sur-le-champ."
J'ai beaucoup aimé ce savant assemblage du réalisme historique et de la magie, les personnages sont attachants et remarquablement dessinés.