L'oxymore du titre constitue déjà tout un programme ! Comment, pour qui, pourquoi un crime peut-il être sans importance ? C'est aussi ce qui préoccupe Irène Frain qui introduit ainsi son oeuvre : " J’ai entrepris d’écrire ce livre quatorze mois après le meurtre, quand le silence m’est devenu insupportable."
En effet, alors que sa sœur aînée, Denise, a été sauvagement molestée et laissée pour morte dans sa maison de Brétigny-Sur-Orge et qu'elle est restée sept semaines dans le coma avant de décéder après cette violente agression, personne ne s'est donné la peine d'avertir Irène Frain avant son enterrement, personne n'a cherché à resserrer les liens familiaux pour faire face au drame, les policiers en charge de l'enquête trainent à rendre leurs conclusions et la justice est un "Mastodonte" qui peine à réagir. Comment dans ce cas parvenir à faire face à cette catastrophe ? Même si l'autrice n'a pas revu sa sœur depuis des années, Denise était pour elle, sa marraine et même une mère de substitution et un modèle. Elles ont dormi dans le même lit, elles ont lu et nagé ensemble lorsqu'elles habitaient encore à Lorient. La mort atroce de Denise ne cesse de tourmenter l'auteure qui passe de l'espoir à la colère et à la culpabilité, de l'attente à l'action, pour enfin prendre la décision d'écrire ce livre. Alors ce livre, comment le qualifier ? Un roman ? Il est vrai que lasse de n'avoir aucun interlocuteur, l'autrice imagine ses entretiens avec le procureur et retrace ainsi ses relations avec Denise et avec le reste de sa famille. Depuis des années les liens sont rompus, Denise s'est mariée sans inviter sa famille, sa mère, par le biais d'une lettre d'une sœur plus jeune a rendu l'autrice responsable de découvrir ce qui avait conduit Denise à l'hôpital psychiatrique. C'est pour l'autrice, une découverte, elle ignorait que sa sœur, une jeune femme brillante et intellectuellement précoce, était malade. Et comment avoir des réponses alors que le secret médical impose le silence. Elle réussit cependant à apprendre que sa sœur souffrait de bipolarité et le médecin la met en garde car elle est personnellement menacée...
Le texte est écrit naturellement comme composé à partir de notes, cette écriture donne du crédit à la dimension autobiographie du récit et contribue pour une large part à l'émotion que suscite le texte et à l'intérêt qu'il suscite. Les précisions sociologiques qui situent le lieu du crime donnent aussi du relief à ce récit, ancré dans une réalité sociologique et urbanistique. Alors, roman ? Récit autobiographique ? Roman autobiographique ? Chronique judiciaire ? Ce livre est inclassable mais il est à lire, assurément.
Extrait choisi : " L’automne incendie les rangs de peupliers et les ultimes vestiges des forêts. Entre les taillis, chapelets d’entrepôts, agglomérats de caravanes, puis une plaine d’où surgit un amas d’énormes caisses de tôle qui se donnent des airs de cavernes d’Ali Baba. Interminable ruban d’enseignes. Kiabi, Darty, La Foir’fouille, Picard, Mobalpa, Bébé 9-la Maison du bonheur, Roady, Cuir Center, Castorama, Saint Maclou, Kiloutou, j’en ai déjà le tournis, seulement c’est loin d’être fini, au premier croisement, nouvelle guirlande de néons, Celio, Cuisinella, Gémo, Etam, Carter-Cash. Et McDo, c’était fatal, Buffalo Bill, Pizza Hut, à quoi s’enchaîne l’entière déclinaison des croissanteries, crêperies, sandwicheries.
Un espace de coworking, quelque chose qui ressemble à une banque, on souffle. Et illico ça repart, bijouterie, animalerie, chocolaterie, magasin de téléphonie, de lingerie, de literie. On n’en verra jamais le bout.
Mais si. À l’angle de deux rues, la grande parade de la marchandise s’épuise. On va rejoindre la rocade sur une note gaie : une boutique de cotillons. Au-dessus d’une vitrine où grimacent tous les genres et sous-genres de vampires, sorcières et squelettes, une joyeuse banderole sanguinolente claque au vent : HALLOWEEN !
Halloween : c’est comme pour l’anniversaire de l’enterrement, j’avais oublié. Un an déjà, je n’y crois pas."