"Les paumes à bourrelets de Lili, les moignons déformés de la mère Aldonza, les doigts durs de Charlotte Peloux avaient saisi ses mains, ses manches, son sac de mailles d’or. Elle s’arracha à toutes ces pattes et réussit à rire encore avec un air taquin : « Non, c’est trop tôt, ça gâterait tout ! c’est mon secret !… » Et elle s’élança dans le vestibule. Mais la porte s’ouvrit devant elle et un ancêtre desséché, une sorte de momie badine la prit dans ses bras : « Léa, ma belle, embrasse ton petit Berthellemy, ou tu ne passeras pas ! » Elle cria de peur et d’impatience, souffleta les os gantés qui la tenaient, et s’enfuit."
Cette scène est pour Léa, héroïne de Chéri, un véritable cauchemar. Elle se déroule peu après le mariage de Chéri, son jeune amant depuis quelques années. Le jeune homme a 25 ans, sa jeune épouse 19 ans or Léa, encore belle et fine pourtant, en a déjà 50 et fuit dans le passage ci-dessus la compagnie de ses amis dont la laideur liée à l'âge lui renvoie l'image de ce qu'elle voudrait éviter. Avec Chéri, même s'il la traitait avec désinvolture, elle s'était toujours sentie jeune et belle. Lui parti, elle tente de donner le change en prétendant avoir un secret, mais c'est vain, elle languit et tremble de vieillir. Lorsqu'il lui revient, une nuit, et qu'ils se disent combien ils s'aiment, mieux vaut qu'il ne revienne pas. Il ne faut pas gâter le charme.
Ce roman, publié en 1920, a suscité de nombreuses conjectures sur sa dimension autobiographique, mais est-ce si déterminant ? La finesse du traitement des personnages, la délicatesse de leur psychologie, la richesse et la précision et la poésie de la langue de Colette sont des atouts indiscutables