Extrait : De chaque déchirure naît une étincelle, de chaque faille, naissent des merveilles, alors il est pris dans un cycle paradoxal : construire son art ou se détruire. Car il est ainsi fait. Staël est un homme de rupture. Il ne se retourne jamais.
Ce texte est présenté comme le roman d’un chef-d'œuvre. Il a en effet pour sujet central le dernier et très grand tableau (3m 50 x 6 m) de Nicolas de Staël « Le Concert ». Le récit part du dernier jour de la vie du peintre qui venait de passer la journée à peintre ce tableau "immense et rouge" avant d’abandonner et de se jeter dans le vide.
En remontant le temps, le récit s’attarde sur la passion de Nicolas de Staël pour Jeanne, ex-maîtresse de René Char et motif de la brouille de ces deux hommes qui avaient tout pour s’entendre. Le jour de son suicide, le jeune peintre est seul, ni Jeanne, ni Françoise, sa deuxième épouse, ne viendront. Le tableau reste inachevé. À 41 ans, l'artiste, en plein succès, renonce à la vie.
C'est que Nicolas de Staël se moque bien du succès de ses œuvres chez les galeristes new-yorkais et de leurs exigences de tableaux non figuratifs : Le Concert est un tableau figuratif, le piano noir, la partition et même le violoncelle sont bien identifiables. Et le peintre étale autour un rouge lisse, sans mouvement, ce rouge qui "avait envahi [son] esprit alors qu'il assistait à un concert de Webern le week-end" précédant.
Or ce rouge ne serait-il pas celui des lueurs de l'incendie et de la colère du peuple russe de 1917 sous les fenêtres de la famille de Staël sur la perspective Nevski de St Petersbourg ? Nicolas de Staël est en effet issu d'une famille de l'aristocratie russe, proche du tsar Nicolas 1er. Sa mère avait beau jouer du piano pour ses enfants, la fuite était inéluctable. Les parents de Nicolas n'y survivent pas longtemps, mais les enfants ont la chance d'être recueillis dans une famille bienveillante et riche à Bruxelles. Pourtant, dès ses 18 ans, Nicolas de Staël quitte ce cocon pour une vie de bohème où il entraine sa première épouse qui n'y survivra pas.
Le roman retrace ainsi l'existence tumultueuse du peintre en quête d'une explication de ce tableau. La bibliographie donnée en fin de l'ouvrage illustre le sérieux de la recherche. Des textes de Stéphane Lambert, Edouard Dor, Anne de Staël et Laura Greilsamer apportent pour finir des "regards croisés"
Cette lecture m'a passionnée, d'une part car j'ai eu l'occasion d'étudier ce tableau avec des étudiants
et d'autre part car j'espère aller voir bien l'exposition Nicolas de Staël au musée d'arts modernes de Paris