Voilà un titre bien énigmatique ! À qui s'adresse cette injonction ? À quelle brute ? Au Président Georges, chasseur d'enfants ? au père jaloux et violent de la petite Lucie ? En exergue, ce poème de Baudelaire peut-il nous éclairer ?
Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher ! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.
Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute.
Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute ;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte !
Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur !
Le Printemps adorable a perdu son odeur !
Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur ;
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.
Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute ?
Dans ce roman, le sommeil joue un rôle essentiel, mais c'est surtout celui des jeunes enfants, tout autour de la terre. Leur endormissement déclenche des catastrophes planétaires que l'on assimile bientôt au sept plaies d'Égypte, or, le point de départ semble être la jeune Lucie, réfugiée avec sa mère Eva dans les marais de Camargue pour échapper à la violence de Pierre, son père. Lucie et sa mère, Eva, paraissent pourtant avoir trouvé leur bonheur au cœur de la vie sauvage des marais, auprès de Serge, le géant solitaire à l'éternel pull bleu ciel en maille diamant.
C'est ainsi que le roman glisse vers la poésie et le réalisme magique qui fait sa beauté. Alors, Lucie peut couver des œufs d'oies sauvages et même s'envoler avec ces oies sauvages qu'elle a couvées. " Elle vole ? Lucie vole ? La Terre s’est retournée ? Tout bascule dans cette obscurité. Vous ne bougez plus, sous ce fil tendu, tu as peur qu’il ne casse, tu lui laisses du mou, puis tu tires un peu, pour dire à Lucie que vous êtes là sur la Terre, à l’autre bout, et que vous la retenez où qu’elle soit, que vous la soutenez, que vous l’aimez, alors le fil se détend, tu le roules en pelote, le mieux possible, tu tentes de ne pas l’emmêler comme quand tu étais enfant, tu ne sais pas combien de mètres il reste encore entre vous et Lucie, mais vous entendez le caquètement des jeunes oies, tout près." Ces fils sont bien entendus ceux du pull-over bleu ciel aux mailles diamant.
J'aime beaucoup ce genre de romans qui ne se contentent pas de nous livrer une image de la réalité sociale et qui osent déborder dans l'univers de la magie et de la poésie. Ici, le récit assumé à tour de rôle par les divers personnages, sans transition, conjugue avec brio réalité, rêve, magie, imaginaire.
extrait choisi :
Nous sommes sorties sous le soleil dans le paysage que les fleurs commençaient à barioler. Nous avons marché jusqu’au grand étang et vu les trois arbres que feuilles et fleurs habillaient d’une sorte de robe pointilliste. La petite a voulu prendre au plus court et quitter le sentier, mais je le lui ai interdit. Il valait mieux ne pas s’aventurer dans les marais. Il nous l’avait dit, « ils sont dangereux ». Tout comme lui, avait-il précisé, et pourtant nous étions en chemin vers son antre. Je ressentais une étrange sensation à mesure que je m’approchais de la maison du colosse. J’entrais sur son territoire, comme sur celui d’une bête sauvage, ma fille m’entraînait dans un monde où je ne devais pas m’égarer et je lui tenais la main plus fort.