Ce roman ne date certes pas de la dernière pluie puisqu'il a été publié en 1958 mais je viens de le relire pour les besoins du travail et, stupeur, il a conservé toute la fraîcheur d'une pluie d'été justement. Comme toujours avec Duras qui ne rate jamais son affaire, je suis encore sous le charme, subjuguée par le je-ne-sais-quoi des romans de Marguerite Duras.
Moderato Cantabile c'est l'histoire d'une sonatine de Diabelli encore et encore répétée, de la sirène hurlante de l'arsenal, d'une villa au bord de la mer, d'un arsenal, d'un café, d'une fleur de magnolia qui n'en finit pas de fleurir puis de faner, d'un cri de femme, du rose de journées finissantes, du rouge du crépuscule, du vin qui empoisonne, du sang d'un crime passionnel et du tricot d'une patronne de café, ,... toujours les mêmes comme une obsession lancinante qu'il s'agit pourtant de faire aboutir.
Entre Anne Desbaresde, l'épouse oisive du directeur d'Import-Export et des Fonderies de la Côte et Chauvin ancien ouvrier des Fonderies, il y a un monde et pourtant :
"Le service de canard à l'orange commence. Les femmes se servent. On les choisit belles et fortes, elles feront front à tant de chère. De doux murmures montent de leur gorges à la vue du canard d'or. L'une d'elle défaille à sa vue. Sa bouche est désséchée par d'autre faim que rien non plus ne peut apaiser qu'à peine, le vin. Une chanson lui revient, entendue dans l'après-midi dans un café du port, qu'elle ne peut pas chanter. Le corps de l'homme sur la plage est toujours solitaire. Sa bouche est restée entrouverte sur le nom prononcé.
_ Non merci.
Sur les paupières fermées de l'homme, rien ne se pose que le vent et, par vagues impalpables et puissantes, l'odeur du magnolia, suivant les fluctuations de ce vent.
Anne Desbaresde vient de refuser de se servir. Le plat reste cependant encore devant elle, un temps très court, mais celui du scandale."