"Le retour, en grec, se dit nostos. Algos signifie souffrance. La nostalgie est donc la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner [...] En espagnol, añoranza vient du verbe añorar (avoir de la nostalgie) qui vient du catalan enyorar dérivé lui, du mot latin ignorare (ignorer)." (p.10/11).
Pour un lecteur qui n'a vécu le déracinement autrement que par procuration à travers la destinée de quelques héros épiques dont Ulysse est le parangon, cette parenté entre la nostalgie (Heureux qui, comme Ulysse, ...") et l'ignorance est bien surprenante et le titre de ce livre en devient énigmatique..
C'est pourtant cela que Milan Kundera explore dans ce roman à travers le retour au pays de ses deux protagonistes, tous les deux d'origine tchèque, comme lui, tous les deux émigrés depuis l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1969, l'un, Josef, au Danemark, l'autre Irena, à Paris.
Au moment où, vingt ans plus tard, leur pays est libéré du joug soviétique, en 1989, leur entourage qui jusque là les avait accueillis avec compassion comme des réfugiés politiques, ne comprend pas leur manque d'empressement à rentrer dans leur pays. Sylvie, l'amie parisienne d'Irena, la presse de rentrer et finalement prend ses distances avec cette réfugiée qui n'est pas pressée de rentrer. Gustaf, le mari suédois d'Irena, a convaincu sa firme d'ouvrir une agence à Prague et presse Irena de venir. Elle est obligée de céder.
Josef, au Danemark, a perdu son épouse mais son chez lui est toujours sa maison danoise avec le sapin autrefois planté par sa femme. Lorsqu'il revient à Prague en 1989, il retourne sur la tombe de sa mère et ne reconnaît plus le cimetière, il revoit son frère, sa belle-soeur, un ami d'autrefois mais rien à faire, le passé ne revit pas, les souvenirs sont indécis, ce retour n'a pas de sens. Il refuse de rencontrer la fille de sa première épouse. Son retour ne sera qu'un passage.
Irena aussi est confrontée à cette incompréhension. Ses amies d'autrefois n'ont aucune curiosité pour ce qu'elle a vécu sans eux, elle même ne sent aucune envie de se conformer à leur mode de vie. Ce retour est un cuisant échec.
Or, dans une salle d'embarquement, alors que Josef et Irena allaient prendre l'avion pour ce retour à Prague, Irena avait reconnu Josef. Avec lui, il y a plus de 20 ans, une histoire d'amour aurait pu naitre. Elle lui donne rendez-vous à Prague. Ils se revoient, leur histoire d'amour dure une nuit, Josef repart, il ignore qui elle est et n'a pas voulu le lui dire.
L'ignorance est donc bien au coeur de ce roman, livrant les êtres à une errance solitaire. Le retour d'Ulysse revisité dans ces pages, prend une toute nouvelle dimension. "Calypso, ah Calypso ! Je pense souvent à elle. Elle a aimé Ulysse. Ils ont vécu ensemble sept ans durant. On ne sait pas pendant combien de temps Ulysse avait partagé le lit de Pénélope, mais certainement pas aussi longtemps. Pourtant on exalte la douleur de Pénélope et on se moque des pleurs de Calypso." (p 14)