Ce roman de Milan Kundera est le plus surprenant de ceux que j'ai lus. Publié en 1973, il traite, paradoxalement à travers le genre romanesque, de la poésie lyrique. Le titre initialement prévu était L'âge lyrique c'est à dire pour l'auteur, la jeunesse. Le héros Jaromil a d'ailleurs failli s'appeler Apollon et sa mère se plait à croire qu'Apollon est réellement son père. L'histoire remonte à sa conception !
Alors Jaromil _celui qui aime le printemps ou celui qui est aimé du printemps_ avait-il vraiment d'autre choix que celui de devenir poète ? Dès son plus jeune âge sa mère fière de ses prédispositions allait jusqu'à encadrer ses plus beaux vers. Cette adoration maternelle le conduit certes à se construire une carapace pour se protéger des railleries de ses camarades de classe mais elle valorise aussi sa sensibilité artistique. Sa mère lui fait donner des cours d'art par un peintre dont elle est devenue la maîtresse et celui-ci (avec manteau de cuir et chien loup à la manière de Breton) se plait à l'initier au surréalisme et à le faire découvrir la poésie d'Eluard.
Cette éducation ne suffirait sans doute pas s'il n'y avait eu aussi le passage difficile de l'adolescence, l'épreuve de la puberté qui constitue chez Jaromil une étape longue et douloureuse car la surprotection de sa mère et son don pour la poésie le singularisent : " Je suis un grand poète, je possède une imagination démoniaque, je sens ce que les autres ne sentent pas..." écrit-il.
Mais le poète ne vit pas hors du monde. Rimbaud ne serait sans doute pas tout à fait Rimbaud sans la guerre de 70. Et Jaromil ne serait pas Jaromil sans l'invasion russe de la Tchécoslovaquie. Jaromil choisit son camp : il est communiste. Il renie alors le surréalisme, "art bourgeois", et par la même occasion son maître, le peintre. Il va même jusqu'à dénoncer à la police le frère de son unique conquête féminine croyant qu'il allait quitter le pays. Ces décisions lui vaudront une correction humiliante lors d'une soirée où il était venu à l'invitation d'une jolie cinéaste. Ridiculisé par cette cuisante humiliation, Jaromil meurt dans son lit, sous les yeux de sa maman.
En somme voilà le poète bien malmené. Lui qui est sans cesse comparé à Rimbaud, à Lermonov, et à de nombreux autres poètes est placé par le romancier sous "l'observatoire"
"Seul le vrai poète sait comme il fait triste dans la maison de miroirs de la poésie. Derrière la vitre, c'est le crépitement lointain de la fusillade, et le cœur brûle de partir. Lermontov boutonne son uniforme militaire ; Byron pose un pistolet dans le tiroir de sa table de nuit ; Wolker défile dans ses vers avec la foule ; Halas rime ses insultes ; Maïakovski piétine la gorge de sa chanson. Une magnifique bataille fait rage dans les miroirs.
Mais attention ! Dès que les poètes franchissent par erreur les limites de la maison de miroirs, ils trouvent la mort, car ils ne savent pas tirer, et s'ils tirent ils n'atteignent que leur propre tête," commente le narrateur.