Publié à la NRF chez Gallimard, ce roman est le troisième que je lis de Modiano, bien après Villa Triste et Remise de Peine. Plusieurs années plus tard, c'est la même impression d'une mélodie envoûtante répétée en sourdine dans un décor blanchâtre de dédales de rues où se croisent entre présent et passé le poète Tristan Corbière, Jeanne Duval, la maitresse de Baudelaire, la mystérieuse baronne Blanche et puis Jean, le narrateur au petit carnet noir, et aussi Dannie, Paul Chastanier, l'homme à la Lancia rouge, Aghamouri, Marciano, Duwelz... Sans doute, les Parisiens qui connaissent bien leur ville peuvent-ils éprouver un plaisir supplémentaire dans les balades parisiennes où nous entraîne le narrateur au carnet noir.
Et puis dans cet amalgame étrange, une intrigue se dessine autour du personnage de Dannie dont l'identité varie et dont on finit par perdre toute trace. Sans doute est-elle mêlée à une affaire de meurtre, on croit deviner des allusions à la mystérieuse disparition de Ben Barka en 1965 mais rien de précis, tout est juste suggéré. C'est là ce qui fait la magie sans cesse renouvelée de l'écriture de Modiano.
Voici une carte des déambulations du narrateur de ce roman.
Quant à l'affaire du carnet noir, mais aussi du manuscrit perdu, du dossier jaune ou de la lettre que Dannie envoie à Jean à la fin du roman ce sont autant d'alertes lancées sur l'écriture, la fiction et le réel, la trace écrite... Ainsi :
"En feuilletant le carnet noir, j'éprouve deux sentiments contradictoires. Si ces pages manquent de détails précis, je me dis qu'à cette époque-là je ne m'étonnais de rien. L'insouciance de la jeunesse ? Mais je relis certaines phrases, certains noms, certaines indications et il me semble que je lançais des appels de morse pour plus tard. Oui, c’était comme si je voulais laisser, noir sur blanc, des indices qui me permettraient, dans un avenir lointain, d'éclaircir ce que j'avais vécu sur le moment sans bien le comprendre.Des appels de morse tapés à l'aveuglette, dans la plus grande confusion. Et il faudrait attendre des années et des années avant que je puisse les déchiffrer" ( p. 42)
J'ai saisi ce livre, presque par hasard, au détour de mes pérégrinations en librairie, le hasard produit parfois de belles rencontres, dans ce cas des retrouvailles très plaisantes.
J Bicrel, janvier 2013