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12 décembre 2023 2 12 /12 /décembre /2023 17:42

Publié aux Éditions Arthaud le 12 avril 2023, ce livre a été couronné par le prestigieux prix Albert Londres en novembre 2023 : " Le jury du Prix Albert Londres applaudit ce travail d’enquête au long cours sur un sujet essentiel, vital, qui concerne chacun d’entre nous. Cette immersion dans l’agro-industrie bretonne est un travail difficile, brillant, documenté qui révèle une atmosphère sournoise de féodalité, et décortique les méthodes, ce que l’on pourrait aussi appeler la « Breizh mafia »." Est-ce ce qui explique qu'à cette approche de noël le livre version papier est introuvable ? Heureusement, la version numérique reste accessible.

Voilà en effet un travail d'enquête de sept années devenu un incontournable pour tout breton et tout curieux de la Bretagne, une œuvre si documentée que la mention des sources occupe plus de deux cents pages sur les 451.

Le livre se présente comme une série d'enquêtes jalonnées de témoignages et réparties en trois grandes étapes :

I Les fondements de l'empire armoricain

Après le rappel de ses racines agricoles, l'auteur assène quelques témoignages qui donnent le ton. Ainsi celui d'Emmanuel, éleveur — Mes parents ont commencé avec cinq vaches. On vivait bien. Moi, j’ai débuté avec soixante, aujourd’hui j’en ai cent cinquante. On gagne 2 000 euros par mois à deux. On travaille entre douze et quatorze heures par jour. Comme on dit avec ma femme : le week-end, pour nous, ça commence le dimanche à 12 heures et ça finit le même jour à 18 heures, pour la traite. On se retrouve obligés d’investir, mais c’est juste pour garder notre revenu. Pour continuer à remplir le Caddie. On est dans la course à l’échalote pour pouvoir rester là. Heureusement que ma femme travaille à l’extérieur, pour qu’on puisse payer les courses. Je ne peux pas me permettre d’engager quelqu’un. Je peux vous présenter des amis éleveurs chez qui le grand-père continue de travailler sur la ferme, à 70 ans… Y a des moments, quand on perd de l’argent à travailler… Quand j’ai commencé, y avait dix-sept producteurs laitiers dans la commune. Aujourd’hui, on n’est plus que trois. Ma laiterie ? C’est les mêmes gangsters que les autres… Ça n’a pas de sens… Mais je suis là, j’ai des prêts à rembourser. Faut bien que je vive. J’ai des amis qui se sont suicidés. Mon voisin, il est parti avec son télescopique 3 , il a pris une corde, il s’est pendu dans un coin de la ferme. Et voilà."

Le chapitre s'attache alors à remonter le fil qui a mené à cette croissance qui appauvrit les agriculteurs, élimine les plus petits et les désespère parfois en leur livrant une guerre sourde pour peu qu'ils aient émis quelques velléités de rébellion.

Il remonte ainsi aux années 60 qui a vu le développement en Bretagne de l'agro-industrie autour de quelques personnalités souvent issues des Jeunesses Agricoles Catholiques et assez souvent aussi du lycée agricole du Nivot. Parmi celles-ci, Alexis Gourvennec. . "Au début des années 1990, il pouvait prétendre au titre de premier éleveur porcin breton, avec trois mille huit cents truies pour une production annuelle de quatre-vingt mille animaux, soixante-cinq salariés et 550 hectares au total répartis sur trois sites. Il a possédé un élevage au Venezuela (cinquante salariés, mille sept cents truies), ce qui revenait, d’une certaine façon, à participer au dumping social à l’encontre de ses propres confrères français. À cela s’ajoutait une importante entreprise piscicole, adossée à une société de transformation et de surgélation de poissons." Ce système de croissance exponentielle, c'était le modèle qu'il voulait développer en Bretagne, quitte à éliminer tous les petits producteurs qu'il désignait comme "minables" Mais ce développement n'est pas à la portée de n'importe qui. Alexis Gourvennec était aussi président du Crédit agricole qui finançait son développement, président et créateur de la Britanny Ferry, créateur de la SICA de St Pol de Léon et du lobby Breiz-Europe !  Il côtoyait la sphère politique de droite. Bref, il avait tous les atouts en main.

Le comte Hervé Budes de Guébriant, un catholique royaliste, agronome de formation, est autre figure de cette transformation de la Bretagne, il dirigeait l'Office central (assemblage d'organismes agricoles) et possédait une centaine de fermes en Bretagne.  Lui voulait la modernisation des campagnes, mais pas le capitalisme ni le libéralisme.  Il est à l'origine de la création du lycée agricole du Nivot. L'Office central s'est disloqué dans les années 60  : " le Crédit Mutuel de Bretagne, la coopérative Coopagri (rebaptisée Triskalia, puis Eureden : 3,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, dix-neuf mille cinq cents coopérateurs), la caisse bretonne de l’assureur Groupama, la Mutualité sociale agricole de Bretagne ainsi que l’hebdomadaire Paysan breton, principal organe d’information professionnelle du monde agricole breton (fondé quant à lui par un résistant, Pierre Guillou), sont tous des « enfants » de l’institution landernéenne"

Ces années sont aussi celle de la création de l'un des plus grands empires de la grande distribution : Leclerc dont le but est de vendre à des prix imbattables. Leclerc possède les abattoirs de Kerméné et avec Intermarché, autre mastodonte breton, ils abattaient en 2018 un tiers des porcs bretons, pour vendre la viande au plus bas prix possible. 

L'élevage hors-sol est emblématique de cette modernisation à tous crins : Volailles et porcs (comme fraises et tomates !) sont élevés par des agriculteurs qui se retrouvent liés à des firmes ou à des coopératives auxquelles ils achètent les animaux, leur alimentation, leur médication et auxquelles ils revendent les animaux destinés à l'abattoir. Au fil des crises, on assiste à l'élimination des plus fragiles, et cela, même au niveau des abattoirs : Gad, Doux, Tilly, des abattoirs ferment, victimes de la concurrence acharnée, des centaines de salariés perdent leur emploi, les patrons, comme Loïc Gad   quittent le navire avec des parachutes dorés. On assiste par la même occasion à l'invasion des algues vertes sur les côtes et des nitrates dans l'eau des rivières.

La culture intensive de la pomme de terre et du maïs sont un autre aspect de la modernisation galopante : le maïs est destiné à l'alimentation animale, mais comme il n'apporte pas assez de protéines, il faut acheter du soja aux USA. Pour le cultiver et le récolter, de grosses machines sont nécessaires, ce qui a sonné le glas des talus lors du remembrement et ce qui a développé le marché des engins agricoles. La pomme de terre, aussi use la terre et draine des marchés de produits de traitement :" En itinéraire « conventionnel », en 2017, en France, un champ de pommes de terre recevait en moyenne 20,1 traitements (insecticides, herbicides, fongicides et adjuvants divers) entre la plantation et la récolte, soit près de trois fois la moyenne toutes catégories confondues (7,025 traitements par an)" La terre gorgée de ces pesticides glisse lors des pluies abondantes des plateaux d'Irvillac jusqu'à la rade de Brest où l'huitre plate a déjà disparu tandis que l'élevage des huitres creuses et des moules est devenu impossible.

II Le bal des vampires

En somme, la modernisation de la Bretagne tant voulue par Gourvennec comme par de Guébriant et à leur suite par la FNSEA fait beaucoup de dégâts latéraux et ceux qui tentent de résister sont souvent incompris sinon malmenés, c'est ce que développe la deuxième partie de l'enquête. Refus de prêts, report de l'enlèvement des porcs vendus, livraison d'animaux de seconde classe dits "queues de lots", menaces de mort, intimidations diverses, mises au ban... Les procédés "mafieux" ne manquent pas et les victimes se taisent, se suicident ou rentrent dans le rang. L'auteur recueille plusieurs témoignages glaçants, mais les victimes témoignent presque toujours sous couvert d'anonymat. Cela pose bien sûr un problème au journaliste qui s'attache alors à croiser les sources.

III Une lumière d'automne

Dans cette dernière partie, l'auteur rassemble enquêtes et témoignages sur les prises de consciences, les alternatives et les solutions. Certaines maladies professionnelles commencent à être prises en compte. Des associations de défense de la nature parviennent à faire entendre leur voix. Des éleveurs assument des choix plus écologiques et humains et en font la promotion. Cette "lumière d'automne" n'est peut-être pas près de s'éteindre. Laissons Eluard conclure ainsi :

La lumière toujours est tout près de s'éteindre
La vie toujours s'apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini

(Eluard, Dit de la force de l'amour)

 

 

 

 

 

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3 décembre 2023 7 03 /12 /décembre /2023 18:25

Prix Goncourt 2023, ce roman présente l'agonie du personnage principal en 580 pages ! Cette agonie offre l'occasion à Mimo de revoir toute son existence, ce qui permet au lecteur de découvrir de façon chronologique son enfance en France, la mort de son père, la pauvreté puis son départ pour l'Italie, pays d'origine de sa famille. Sa mère l'avait confié à un ami sculpteur qui devait le conduire à un cousin italien. La vie du jeune Mimo semble devoir s'écouler sur le mode Sans Famille. Tout va mal pour lui, même son talent pour la sculpture lui cause des ennuis. Les âmes charitables qu'il croise dans sa vie son comme lui, des êtres atypiques, marginaux comme Bizarro et sa sœur Sarah qui l'engagent un temps dans leur cirque, car sa petite taille sied au rôle du spectacle présenté au cirque.

Pourtant, le vent tourne lorsque Mimo rencontre, dans un cimetière, celle qui deviendra pour lui une sorte d'âme sœur, Viola Orsini. Cette rencontre, tout à fait improbable, est l'occasion de scènes dignes de romans pour jeunes lecteurs et même, plus tard, d'une scène grotesque : la fessée publique de Mimo chez les Orsini !

Or Viola a beau être d'un autre monde, elle aussi est atypique, ce qui irrite bien sa famille : non seulement elle s'allonge sur les tombes pour communiquer avec les morts, mais en plus, le jour de ses fiançailles, elle se lance d'un toit, espérant voler. Plus tard, elle veut aller en Amérique et plus tard encore, elle est candidate aux élections dans une Italie à peine remise du régime de Mussolini !

Alors bien sûr, on parcourt avec plaisir Florence et même Rome, on balaie l'histoire de l'Italie de la première guerre mondiale aux années 55-60, mais cela reste un peu superficiel à mon avis.

En somme, un roman qui se lit facilement, mais qu'en restera-t-il ?

Extrait représentatif un des premiers dialogues entre Mimo et Viola Orsini :  

"– C’est le caveau de ma famille. Virgilio est là, maintenant.

– C’est votre frère ?

– Arrête de me vouvoyer, ça m’énerve. Oui, c’est mon frère. Virgilio était très intelligent. Je n’ai même jamais rencontré quelqu’un d’aussi intelligent.

– Mon père est mort à la guerre, lui aussi.

– Foutue guerre, maugréa Viola. Tu en penses quoi ?

– De la guerre ?

– Oui. Moi, je crois que l’entrée des États-Unis va changer la donne, et que Caporetto n’était qu’un revers passager davantage dû à l’impréparation de Cardona et aux circonstances météorologiques. Mais je me méfie des promesses qui nous ont fait rejoindre la Triple Entente. Je veux dire, c’est bien gentil que les Français nous promettent les terres irrédentes, mais tu ne crois pas que Wilson aura son mot à dire ? Ça risque de mal finir, non ?

– Euh, oui.

– « Euh oui » ?

– Je sais pas trop, je n’y connais rien.

– Tu attends quoi, la visite du Saint-Esprit ?

– Comment tu sais tout ça ? demandai-je, un peu vexé.

– Comme tout le monde. Je lis les journaux. Je n’ai pas le droit, ma mère dit que ça brouille le teint d’une jeune fille. Mais quand mon père jette son Corriere della Sera, le jardinier me le redonne avant de le brûler, en échange de quelques lires.

– Tu as de l’argent ?

– Je le vole à mes parents. C’est pour leur bien, pour qu’ils n’aient pas une fille ignare. Ça t’intéresse que je te prête des livres ?

– Des livres sur quoi ?

– Qu’est-ce que tu connais bien ?

– La sculpture.

– Alors sur tout, sauf la sculpture. Encore que… Quelles sont les dates de naissance et de mort de Michelangelo Buonarroti ?

– Hmm…

– 1475-1564. Tu n’y connais rien en sculpture. En fait, tu ne sais rien de rien. Je vais t’aider. Pour moi c’est facile, si je vois ou si j’entends quelque chose, je le retiens.

J’appuyai sur mes yeux – tout allait trop vite. Viola, au fond, était futuriste. Lui parler, c’était rouler à tombeau ouvert sur une route de montagne. J’en revins toujours épuisé, terrifié, exalté, ou un mélange des trois.

Nos souffles se condensaient en boules blanches dans l’air froid de la nuit. Viola lissa sa robe.

– Ta mère, reprit Viola, elle est où ?

– Loin.

– Elle sent quoi ?

– Hein ?

– Une mère, ça sent toujours quelque chose. Elle sent quoi, la tienne ?

– Rien. Enfin si, le pain. Et la vanille, de quand elle fait les canestrelli. Et aussi l’eau de rose que mon père lui avait offerte pour son anniversaire. Et un peu la sueur. Et la tienne, elle sent quoi ?

– Le chagrin. Bon, il faut que je rentre.

– Déjà ?

– Si je ne suis pas à l’heure pour la messe de minuit, ça va barder.

– Quelle messe de minuit ?

– La messe de Noël, idiot.

Mon deuxième Noël loin de ma famille. Cette fois, j’avais jugé bon de l’oublier complètement.

– Qu’est-ce que tu as demandé comme cadeau ? voulut savoir Viola.

Je dus improviser.

– Un couteau. Avec un manche en corne. Et une automobile miniature. Et toi ?

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7 novembre 2023 2 07 /11 /novembre /2023 11:41

Ce roman a obtenu cette année le grand prix du roman de l'Académie française, ce qui a suscité ma curiosité : le souvenir du Mage du Kremlin et surtout après Mon Maitre et mon vainqueur. 

Ici, nous sommes entraînés dans une quête du passé, un peu à la manière d'Annie Duperey dans Le voile noir ou même de Modiano dans beaucoup de ses œuvres :la  narratrice n'a pratiquement pas de souvenir, elle reconstitue le passé à partir de quelques photos et d'un article de journal. Elle cherche à recréer l'histoire de sa tante Madeleine, décédée il y a peu de temps. Cette tante était une belle femme, elle ressemblait dans sa jeunesse à Michèle Morgan, mais c'était une femme très discrète et réservée. Élevée dans une pension catholique dans la région de Nantes, elle aimait lire et son livre préféré était Thérèse Desqueyroux, l'histoire "d'une femme qui empoisonne son mari" !   À 26 ans, elle s'est mariée, sans doute, car elle pensait avoir atteint l'âge !  Son mari, Guy, était très amoureux. La même année, ils se sont envolés pour Douala où Guy travaillait dans le commerce du bois. En 1958, leur unique enfant, Sophie, était venue au monde. Madeleine, toujours aussi réservée, vivait en marge, mélancolique, uniquement préoccupée de sa fille. Cette mélancolie offre l'occasion de belles descriptions de son environnement chargé de bruits et de pluie :   " De grosses pluies survenaient le soir, elles amenaient des nuées de moustiques, et, quand les pièces étaient éclairées, on voyait courir de travers sur les murs de petits lézards froids, furtifs et dodus, les « margouillats ». Quelquefois, ils vous tombaient dans le cou. Des roussettes, qui dormaient dans les manguiers sauvages, frôlaient le toit. La case laissait entrer les bruits de la nuit : des frôlements d’animaux, des glissements dans les feuilles, des coassements, des croassements, le bruit de la radio qui venait de la case la plus proche". Tous ces bruits créent une atmosphère inquiétante. Pourtant, les colons font la fête et vivent entre eux dans un petit monde insouciant et joyeux autour du "délégué et de sa femme Jacqueline" dont chacun savait qu'elle était la maitresse du docteur Ambrières.  Guy explique à sa femme tout ce qu'il faut savoir pour ne pas commettre d'imper dans ce microcosme.  Malgré tout, Madeleine se tient à l'écart, elle est perçue comme provinciale et timide.  Un jour, un visiteur venu de Yaoundé l'invite à danser... C'est le début d'une histoire que l'on ne peut vraiment nommer aventure, car la discrétion de Madeleine conserve ses sentiments dans le secret de son cœur.

Cependant, la révolte gronde, Guy conserve un fusil dans leur chambre jusqu'au moment où en octobre 1959 il met sa femme et sa fille dans l'avion, car l'indépendance du Cameroun est inéluctable.

Une recréation très fine de l'atmosphère de ces sociétés coloniales installées en Afrique après-guerre et jusqu'à l'indépendance, de ces ex-colons rentrés en France mais encore nostalgiques des années après, de ces personnages du microcosme colonial dans une écriture soignée, précise, évocatrice, sont à mes yeux les atouts de ce roman, mais le sujet crée une sorte de malaise : le passé colonial n'est pas précisément ce dont on aime se souvenir.

Extrait : Les boys en blanc, sous la surveillance de Bogart qui affichait toujours la même lassitude, le même léger mépris, circulaient entre les convives avec des plateaux et des verres. On buvait sec aux frais de la République, les plats se dégarnissaient comme si les gens n’avaient pas mangé depuis quinze jours. Des types groupés parlaient entre eux de leur carrière, des planteurs de passage donnaient la « température du pays » ; on disait en hochant la tête : C’est inquiétant, très inquiétant ; on déplorait les progrès des « upécistes », on critiquait l’armée, le gouvernement, les décisions de la métropole (Ils ne comprennent rien à Paris), on disait du mal du haut-commissaire. Des Pères blancs incongrus et buveurs de whisky parlaient de la vie de leur mission, du catéchisme, des cérémonies de baptême. Et finalement, à ces détails près, quand les couples tournaient sur « La java bleue » ou improvisaient à petits pas pressés, à petits déplacements d’avant en arrière, à gauche et à droite, les évolutions syncopées d’une rumba ou d’un tango très décent et très ralenti, je crois qu’à la délégation de Douala, on aurait pu se croire en France par un été chaud, à n’importe quel bal de village. On y jouait les succès qui passaient à la radio :

« Bambino » de Dalida,

Mouloudji : « Un jour tu verras / On se rencontrera »,

Guy Béart : « Si tu reviens jamais danser chez Temporel / Un jour ou l’autre… »

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2 novembre 2023 4 02 /11 /novembre /2023 14:59

Court roman, tout léger, léger, comme la danseuse dont le narrateur se souvient, alors qu'il déambule dans un Paris qu'il ne reconnait pas et qui ressemble "à un grand parc d’attractions ou à l’espace « duty-free » d’un aéroport.[...] Les passants march[ai]ent par groupes d’une dizaine de personnes, traînant des valises à roulettes et la plupart portant des sacs à dos." Le narrateur, qui ressemble bien à l'auteur, se demande où vont tous ces gens. 

Léger, léger, comme la déambulation dans un passé révolu, mais retrouvé par images en clair-obscur, éclatées, répétées, parfois estompées, comme éludées telles des peintures impressionnistes ou comme les mouvements de la danseuse : "diagonale, variation, déboulé, barre à terre ou la barre au sol, « casser le coude » pour donner une impression de fragilité"

Ce narrateur se souvient ainsi de ce temps où il était encore un jeune homme, sans argent, sans métier, il faisait ses tout premiers pas comme écrivain, chargé par un éditeur, Maurice Girodias, de compléter et d'arranger des romans anglais censurés dans les pays anglo-saxons !  Il était logé par un certain Serge Verzini, qu'il rencontre par hasard des années plus tard dans le Paris "parc d'attraction". À l'époque, la danseuse aussi faisait son apprentissage "avec Boris Kniaseff, un Russe que l’on considérait comme l’un des meilleurs professeurs…"  Elle avait un enfant d'une dizaine d'années, Pierre, dont le narrateur s'occupait avec un certain Hovine dont on ignore à peu près tout. Évoquant le passé de la danseuse, Verzini explique : "Nous appartenions à un milieu un peu particulier. » Il n’avait pas besoin de me donner des précisions. J’avais compris. Mon père lui-même et ses amis…" précise le narrateur qui suggère un univers interlope qui lui rappelle ses propres origines car "lui aussi" avait "besoin d'une discipline." 

Cet art de la suggestion se retrouve aussi dans l'évocation de quelques scènes érotiques : "un manteau d’homme sur le grand canapé. Pola Hubersen était sûrement en compagnie de quelqu’un dans sa chambre"

En somme, lire Modiano, c'est entrer dans un univers, se couper du monde, se laisser entraîner dans un temps révolu à travers Paris, mais lire La Danseuse, c'est découvrir un univers plus épuré, plus aérien et se laisser perdre entre tous ces noms de personnes mêlés aux noms de personnages ! 

Extrait : Beaucoup moins de monde sur le boulevard, mais encore quelques bataillons de touristes, étranges touristes dont on ne savait pas d’où ils venaient, ni quelles étaient leurs langues si on les écoutait parler. Ils traînaient toujours derrière eux leurs valises à roulettes et portaient les mêmes casquettes à visière, les mêmes shorts et les mêmes tee-shirts. Et les mêmes sacs à dos. Vers quoi marchaient-ils ? Vers un corps d’armée qui stationnait en un point précis de Paris ? J’avoue que cela m’était indifférent et que j’étais pressé de rejoindre le café désert où nous avions fait halte avec Verzini, ce café qui semblait encore protégé de la dureté du temps présent.

 

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29 octobre 2023 7 29 /10 /octobre /2023 15:56

Magnifique roman que ce Grand Secours ! Tellement vrai et si poétique ! Le cadre du récit  : Bondy, dans la banlieue parisienne, un univers où s'entremêlent acier, béton, asphalte, entrepôts et autoroute entre lesquels vivent ou survivent gitans, arabes, africains et tous les relégués de la vie parisienne.

 

Dans cet univers, Momo, un jeune lycéen, quitte tôt l'appartement, car sa mère souhaite qu'il évite ainsi les mauvaises rencontres. Il flâne un peu, aperçoit de loin sa prof de français qui s'approche du lycée à vélo et aussi un attroupement, une bagarre entre quelques lycéens et un homme qui avait préféré écraser la moitié de sa cigarette plutôt que de laisser le mégot à un mendiant. Peu après, sur le quai du métro, il retrouve cet homme qui sort son portefeuille pour en sortir sa carte : sur la photo, on distingue clairement les couleurs ; bleu, blanc, rouge. La photo fait un buzz sur les réseaux sociaux...

On accède au lycée de Momo en prenant "la ligne 5 jusqu’au bout, puis le tramway, arrêt Pont-de Bondy, [... Il faut alors] traverser la nationale » et « passer sous l’autoroute » [...] Doit-[on] s’inquiéter ? " Dans ce lycée, une équipe de profs, surveillants, CPE, œuvre avec énergie pour plus d'un millier de jeunes, tous arabes ou noirs, depuis que même les profs n'y inscrivent plus leurs enfants. Candice y est professeur de français, elle étudie La Princesse de Clèves avec ses élèves de première, elle travaille Le Bourgeois gentilhomme dans un groupe de théâtre, elle a invité un poète, Paul, à animer, dans ses classes et celles de ses collègues, un atelier d'écriture... Autant d'exemples qui pourraient se dérouler dans n'importe quel lycée et donnent de l'espoir, mais l'espoir est fragile, car dans ces banlieues, tout semble fait de sorte qu'il faille trois ou quatre générations aux migrants pour s'en sortir "Faut qu’ils construisent un peu nos maisons et qu’ils nous fassent à bouffer, en attendant. Et qu’ils s’occupent de nos vieux.

_ Tu peux quand même pas dire ça.

_ Mais si Denis, parce que je dis ce que je veux. Tout le monde est content que tout le monde reste à sa place. Tu crois qu’il y aurait autant de travaux dans les rues à Paris, si le Mali, la Syrie et l’Afghanistan ne nous envoyaient pas autant de chair à béton ? " explique un des profs, désabusé. 

Heureusement, il y a la littérature, et la poésie, et l'amour.

Extrait : "Le canal à cette heure reflète les nuages de l’aube et file comme un trait d’argent, gris et sans éclat, sous le pont de Bondy et la rampe de l’autoroute A3 qui l’enjambe en s’envolant vers Roissy. Un peu plus loin s’alignent, le long de la nationale, les entrepôts et les magasins de marques qu’on reconnaît à leurs couleurs, jaune et rouge, rouge et blanc, jaune et bleu, et, sur l’autre rive, les usines de la cimenterie aux allures de carrière.

C’est un de ces lundis de janvier où l’on s’attend à ce qu’il neige, même si ce n’est plus arrivé depuis des années.

Accoudé à la balustrade du pont, Mo contemple en contrebas les rangées de tubes d’acier de diamètres variés du Comptoir général des fontes de Bobigny qui jouxte, en bordure du canal, le campement des Roms entouré de palissades, un bidonville de caravanes et de carcasses de voitures défoncées, de tuyaux de poêle bricolés en zinc, de tables en bobines de câbles, de toits de tôle et de cloisons de palettes, un village aux ruelles minuscules, un dédale miniature, à peine visible de la rue."

 

 

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22 octobre 2023 7 22 /10 /octobre /2023 15:12

Étrange expérience que cette lecture en octobre 2023 d'un récit qui se déroule au premier trimestre 2020 !

La COVID est l'occasion de retrouvailles d'une famille que l'héritage avait divisée depuis une quinzaine d'années : Alexandre avait repris seul la ferme familiale, chacune de ses trois sœurs avait installé une éolienne sur le terrain qui lui revenait et était partie vivre en ville, ses parents avaient poursuivi un peu plus loin des activités horticoles d'autosubsistance,

Le confinement est i le motif qui ramène toute la famille au bercail avec enfants et conjoint. Avec l'aide de trois petits chiens arrachés à des trafiquants et grâce à l'extraordinaire patience d'Alexandre, la famille parvient même à se ressouder. L'urgence climatique devient aussi l'occasion d'une coopération jusque-là inespérée lorsqu'il s'agit de sauver la forêt en brûlant des arbres victimes de colonies de scolytes. Même au niveau planétaire, les tensions se sont mises en sourdine : la Chine aide la Russie qui à son tour vient secourir les USA.

En ce mois d'octobre 2023, le confinement, c'est déjà de l'histoire ancienne et on voit bien la sagesse est du côté des anciens, Jean et Angèle qui ont bien pris la mesure des choses en concluant que "la vie va d’une peur à l’autre, d’un péril à l’autre, en conséquence, il convient de s’abreuver du moindre répit, de la moindre paix, parce que le monde promet de donner soif."

Extrait : "C’est la tempête de décembre 1999 qui avait décidé de la vie d’Alexandre, parce que en plus de balayer les bâtiments de sa ferme géante, elle avait soufflé l’idée des éoliennes à ses sœurs. Dans ce réveillon de l’an 2000 tant fantasmé, ce changement de siècle et de millénaire fêté à la bougie, il aurait fallu voir un signe : cette nouvelle ère porteuse de progrès et de paix ne tiendrait peut-être pas toutes ses promesses"

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12 octobre 2023 4 12 /10 /octobre /2023 20:28

Avant de lire ce livre, je savais qu'il était potentiellement et même probablement primé ou multiprimé. La lecture a donc été l'occasion de découvrir son sujet :  le viol de l'autrice pendant environ sept ans de son enfance, régulièrement et en de multiples lieux par son beau-père !

C'est évidemment un sujet choc, très dur ! depuis le Voyage dans l'Est de Christine Angot, je m'étais dit que j'éviterais à l'avenir ce type de livre.  Mais Triste Tigre n'est pas un récit de vie, bien plus, il s'agit d'un essai lyrique dans lequel nous découvrons sans ménagement les horreurs du viol mais bien plus. L'autrice ne cesse de se poser des questions sur son prédateur et sur les prédateurs, sur elle-même et sur les victimes, sur les conséquences pour les uns et les autres, sur les causes... Elle convoque pour cela un très grand panel d'exemples littéraires, cinématographiques ou empruntés à la réalité et cela permet d'éviter les conclusions simplistes. En particulier, elle s'attarde sur Lolita de V Nabokov, mais aussi sur Le Voyage dans l'Est de C Angot, A ce stade de la nuit de M de Kerangal et beaucoup, beaucoup d'autres comme pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé et ce qui lui arrive. Construit sur un système de point contrepoint, c'est un essai lyrique tout à fait intéressant d'un point de vue littéraire et aussi du point de vue du traitement du sujet.  

Extrait :

Raisons que j’ai de ne pas vouloir écrire ce livre

1) Ne pas se spécialiser dans l’écriture sur le viol.

2) A priori, je me méfie des livres qui ont des sujets, et là, difficile d’y échapper. Comment écrire quelque chose de neuf, d’esthétiquement valable si on est écrasé par le sujet ?

3) J’aimerais faire autre chose, j’aimerais penser à autre chose, avoir une vie qui ait un autre centre.

4) Plein de livres chaque année sont écrits là-dessus par des survivantes et des survivants. Surtout des fictions. Dès que je tombe dessus je les feuillette. Ils sont parfois très bien écrits, parfois mauvais. Je les lis avec le même œil. Je cherche la description précise des faits. Je veux savoir ce qu’il lui a fait exactement, combien de fois, où, ce qu’il disait, etc. Je déteste l’idée que quelqu’un ouvre ce livre et cherche ce qu’on m’a fait exactement, où on m’a mis la bite, et le referme après sans y avoir rien trouvé d’autre que cette bizarre constatation.

5) Je ne suis pas sûre de pouvoir apporter quoi que ce soit aux victimes, aux proches de victimes, aux agresseurs ni même à ceux qui veulent mieux comprendre le sujet.

6) Je ne suis pas sûre que ce livre m’apporte quoi que ce soit à moi, en tant qu’être humain, ni en tant qu’écrivaine.

7) Je ne crois pas à l’écriture comme thérapie. Et si ça existait, l’idée de me soigner par le livre me dégoûte. Si ce n’est ni pour les autres ni pour moi, alors à quoi bon ?

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8 octobre 2023 7 08 /10 /octobre /2023 20:51

J’ai beaucoup aimé cette lecture.
Bretonne, je connais Belle-ile-en-Mer, les vestiges de la colonie pénitentiaire et quelques éléments de son histoire et j’avais déjà lu Paroles de Prévert et le magnifique poème « La chasse à l’enfant » et j’ai lu récemment Les mal aimés de JC Tixier.
C’est avec cet arrière-plan que j’ai lu et apprécié ce roman.


En effet, l’auteur connaît bien l’enfance maltraitée puisqu’il en a été victime et c’est avec ce regard particulier qu’il fait vivre celui que l’on surnomme « la Teigne » prisonnier des hauts murs de la colonie pénitentiaire, des gardiens, des gaffes ou surveillants et de l’île entourée par l’océan ! Avec lui, on observe la violence entre colons et de la part des gardes et on découvre le raffinement dans l’invention des sanctions : le bal notamment.
Mais Chalandon connaît aussi particulièrement bien par sa jeunesse et par ses relations avec les combattants d’Irlande du Nord le sujet de la révolte et il décrit ici la révolte des colons en 1934 après une sanction totalement disproportionnée à la faute : un colon avait mangé son fromage en premier au lieu de suivre l’ordre du repas ! Absurdement, les enfants profitent pour franchir le mur, oubliant qu’ils sont prisonniers de l’océan ! Tous sont capturés dès le lendemain grâce aux secours des « braves gens », belle-îlois et touristes, lancés aux trousses des enfants pour 20 francs de récompense ! Tous, sauf un : Jules Bonneau  (clin d’œil aux anarchistes) alias la Teigne.
Enfin, l’auteur est journaliste, ce qui donne un roman extrêmement bien documenté sur les journaux, les courants politiques, la marine à voile, les traditions des morbihannais, le travail de faiseuse d’anges et les risques encourus pour cette pratique illégale.
J’ai trouvé très touchante l’amitié qui unit le héros avec son patron et avec l’équipage du Sainte-Sophie. Cette amitié amène le héros à desserrer son poing pour serrer une main, à remiser « la Teigne » pour assumer son nom, Jules Bonneau.
En somme, un très bon roman, riche, émouvant, documenté.
Extrait :  Je l’ai regardé une fois encore. Sa tête de piaf. Son regard tombé du nid. Au pied des deux échelles, ils n’étaient plus que trois. Loiseau m’a donné une bourrade dans l’épaule.
— Allez, on y va, Bonneau !
Sans plus attendre, il a saisi le cordage qui pendait. Et il a commencé à descendre, sans me quitter des yeux. Il grimaçait de douleur.
— Allez viens, merde !
J’ai craché dans l’obscurité.
— Regarde-toi ! Tu ne pourras même pas marcher.
— Je n’ai pas le choix.
La sirène a repris. Il était dans l’herbe, une joue posée contre la corde.
— C’est trop tard, Bonneau. Tu as vu les dégâts ? On va le payer très cher !
Il avait raison, je le savais. Nous allions le payer. Mais pourquoi s’évader ? S’évader où ? Personne n’avait jamais eu l’intention de s’évader. Seulement avoir un peu de temps en plus. Voler quelques heures pour nous. Et puis leur faire mal. Que la peur change de camp.

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1 octobre 2023 7 01 /10 /octobre /2023 12:16

Extrait : De chaque déchirure naît une étincelle, de chaque faille, naissent des merveilles, alors il est pris dans un cycle paradoxal : construire son art ou se détruire. Car il est ainsi fait. Staël est un homme de rupture. Il ne se retourne jamais.

Ce texte est présenté comme le roman d’un chef-d'œuvre. Il a en effet pour sujet central le dernier et très grand tableau (3m 50 x 6 m) de Nicolas de Staël « Le Concert ». Le récit part du dernier jour de la vie du peintre qui venait de passer la journée à peintre ce tableau "immense et rouge" avant d’abandonner et de se jeter dans le vide.
En remontant le temps, le récit s’attarde sur la passion de Nicolas de Staël pour Jeanne, ex-maîtresse de René Char et motif de la brouille de ces deux hommes qui avaient tout pour s’entendre. Le jour de son suicide, le jeune peintre est seul, ni Jeanne, ni Françoise, sa deuxième épouse, ne viendront. Le tableau reste inachevé. À 41 ans, l'artiste, en plein succès, renonce à la vie.

C'est que Nicolas de Staël se moque bien du succès de ses œuvres chez les galeristes new-yorkais et de leurs exigences de tableaux non figuratifs : Le Concert est un tableau figuratif, le piano noir, la partition et même le violoncelle sont bien identifiables. Et le peintre étale autour un rouge lisse, sans mouvement, ce rouge qui "avait envahi [son] esprit alors qu'il assistait à un concert de Webern le week-end" précédant.

Or ce rouge ne serait-il pas celui des lueurs de l'incendie et de la colère du peuple russe de 1917 sous les fenêtres de la famille de Staël sur la perspective Nevski de St Petersbourg ? Nicolas de Staël est en effet issu d'une famille de l'aristocratie russe, proche du tsar Nicolas 1er. Sa mère avait beau jouer du piano pour ses enfants, la fuite était inéluctable. Les parents de Nicolas n'y survivent pas longtemps, mais les enfants ont la chance d'être recueillis dans une famille bienveillante et riche à Bruxelles. Pourtant, dès ses 18 ans, Nicolas de Staël quitte ce cocon pour une vie de bohème où il entraine sa première épouse qui n'y survivra pas.

Le roman retrace ainsi l'existence tumultueuse du peintre en quête d'une explication de ce tableau. La bibliographie donnée en fin de l'ouvrage illustre le sérieux de la recherche. Des textes de Stéphane Lambert, Edouard Dor, Anne de Staël et Laura Greilsamer apportent pour finir des "regards croisés"    

Cette lecture m'a passionnée, d'une part car j'ai eu l'occasion d'étudier ce tableau avec des étudiants

 et d'autre part car  j'espère aller voir bien l'exposition Nicolas de Staël au musée d'arts modernes de Paris

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28 septembre 2023 4 28 /09 /septembre /2023 08:29

Dans ce roman, tout est dédoublé : l’auteur lui-même a son double qui écrit un roman qu’il intitule «  La mangeuse de tableau ». Ce romancier écrit à sa demande l’histoire de Sarah, une jeune femme qui vit en Bretagne et choisit de doubler cette histoire par celle de Suzanne, une autre jeune femme de son invention qui vit à Dijon. Or ces deux femmes ont quasiment la même vie.  L’une est architecte, l’autre est généalogiste et toutes deux vivent dans une famille bourgeoise avec deux adolescents et un mari avocat fiscaliste.


Toutes deux en rémission d’un cancer du sein quittent leur emploi et décident de se réaliser, l’une par la création d’œuvres d’art architecturales dans son jardin, l’autre par l’écriture. Or la passion que toutes deux manifestent à créer s’accompagne d’un repli de leur conjoint qui déjà s’était montré très distant face à leur maladie. Puis ce mari ne se contente pas d’être distant, il se révèle aussi calculateur, froid, cruel et Sarah comme Suzanne finissent par aller vivre ailleurs, juste le temps qu’il réfléchisse. Elles ne s’en doutaient pas, mais elles allaient alors vivre un enfer : impossible de rentrer à la maison. Le mari est aux abonnés absents, la fille est fâchée et le fils finit aussi par prendre ses distances. Voilà qui les conduit à l’hôpital où leur mari ne trouve rien de mieux à faire qu’à leur présenter les papiers d’un divorce avec des clauses très défavorables à leur épouse. De guerre lasse, Sarah signe…
Tout au long de cette descente aux enfers, on souffre avec les héroïnes, on compatit et on s’accroche pour aller jusqu’au bout de la dégringolade de plus en plus violente.
On retrouve ici bien des thèmes et des techniques d’écriture communs avec l’amour et les forêts, mais poussés à leur paroxysme. Le roman, très bien écrit, joue sans cesse avec les notions de personnes et de personnages, de similitudes et de différences, de mises en abyme et de parallèle, de beauté et d’art. 

Extrait choisi : — Dix mille, je ne peux pas. Vraiment. Huit mille, en revanche… peut-être que je… oui, pourquoi pas, je suis d’accord. Va pour huit mille. Huit mille c’est déjà énorme pour un tableau qui en vaut deux mille. Faisons vite fait cette transaction et n’en parlons plus.

— Dix mille euros. C’est mon dernier prix. Je n’en bougerai pas, soyez-en assurée.

— Vous êtes cruel.

— Je ne crois pas, non. Je mets un juste prix à l’attachement qui est le mien pour cette peinture, voilà tout. Je ne vous force pas à l’acheter. La décision vous appartient, ne m’en faites pas porter le poids – sur le plan moral je veux dire. Ce serait un comble.

— …

— …

— OK. Comment fait-on ? Un chèque ?

— Et puis quoi encore ? En bons du Trésor tant que vous y êtes ! Il ne va pas falloir essayer de m’arnaquer ma petite dame.

— Un virement via mon appli bancaire ?

— Pour qu’il me soit signifié dans deux jours que le virement a été rejeté pour cause de fonds insuffisants ?

— Je vous montre mon solde si vous voulez, il est positif, j’ai largement de quoi payer. Donnez-moi vos coordonnées bancaires, je les rentre, je vous montre mon solde et je fais le virement sous vos yeux, ça vous va ? — Ça me va. Je vais vous chercher mon RIB. Je vous emballe votre tableau ? Je crois que j’ai gardé le papier kraft et la ficelle de l’antiquaire de Dijon, je dois avoir mis ça quelque part, attendez ici quelques instants.

Susanne va acheter ce tableau dix mille euros ?

Oui.

Vous êtes cruel comme écrivain.

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