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17 janvier 2022 1 17 /01 /janvier /2022 11:14

Dans Le Printemps des monstres, Philippe Jaenada reprend le genre du roman enquête qu’il avait déjà exploité notamment dans La Serpe. Cette fois, il s’intéresse à une histoire particulièrement touchante car il s’agit du meurtre d’un enfant dont s’est accusé un homme qui probablement n’était pas véritablement le coupable. Cet homme, en s’accusant sans doute à la place d’un autre, n’était pas en mesure de prévoir qu’il passerait en prison plus de quarante années. Pendant ces années, sa compagne et lui échangeront de nombreuses lettres puis cesseront brutalement toute correspondance. Cette compagne meurt à trente et un ans, sans que son mari en soit informé !

Pourtant, à en juger par les lettres qu’ils s’écrivaient, ils formaient un couple très amoureux. Le meurtre en question est celui du petit Luc Taron en 1964 et l’accusé est un infirmier nommé Lucien Léger, un homme qui s’est laissé entraîner dans une folle fanfaronnade s’accusant d’être “l’étrangleur”! Bien sûr il devient ainsi célèbre et les journalistes s’empressent de publier ses élucubrations. Dès lors, la police, la justice, la presse et l’opinion publique voient en lui le monstre sans même se dire que l’enfant n’avait pas été étranglé !

L’auteur se lance alors dans une enquête méticuleuse qui le conduit partout sur les traces de Luc, de Lucien Léger et de son épouse Solange. Il va sur les lieux, rencontre des témoins, fouille des archives et particulièrement nous fait découvrir la personnalité riche et touchante de Solange. Les lettres qu’elle échange avec son mari témoignent de son intelligence et de son humanité sensible et chaleureuse! Or l’auteur découvre que ces lettres étaient contrôlées par l’administration et parfois interceptées à tel point que le couple finit par se défaire.

Dans cette histoire les monstres ne sont pas ceux que l’on prévoit : policiers, journalistes, justice, médecins ont des comportements qui frisent la monstruosité, broyant les gens modestes sans vergogne et tous les malfrats dans l’entourage d’Yves Taron sont manifestement monstrueux.

Ce roman enquête fleuve est surtout intéressant pour le personnage de l’enquêteur dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il se confond avec l’auteur. Cet acharnement à faire renaître le passé et à exprimer l’humanité poignante d’êtres à jamais disparus, comme Solange, (on ne sait même pas où elle a été enterrée !) est touchant et précieux.

Extrait choisi : Mais « nullement mystérieux », Delarue pousse le bouchon. Elle abusait des cachets, elle mangeait peu et mal, elle était de faible constitution, mais elle avait trente et un ans. Elle était régulièrement victime d’étouffements, ou de sensations d’étouffement, l’autopsie a révélé des œdèmes pulmonaires, mais si elle s’était asphyxiée, ce serait assez facilement visible et donc noté quelque part, non ? Or pas un mot à ce sujet. (Des œdèmes pulmonaires ?) On ne tombe pas comme ça, morte, à trente et un ans, de façon nullement mystérieuse. Et quand le commissaire écrit que « le Dr Martin conclut à un suicide par barbituriques », c’est faux, du moins c’est une autre de ces interprétations abusives qui lui sont si souvent utiles dans son rapport : le docteur Martin n’a pas conclu ça. Sur le registre de l’Institut médico-légal de Paris, complété après l’autopsie, en face du numéro d’ordre 108, celui de Solange Léger née Vincent, on peut lire, dans la colonne « Genre de mort » (où il doit être précisé s’il s’agit d’une mort naturelle ou violente – en particulier accidentelle, toxique, asphyxique…) : « Inconnu », et dans la colonne « Causes présumées » : « Inconnues ». Ce n’est pas exactement « suicide par barbituriques » ni même « absorption de barbituriques ». Lucien, naturellement, n’a pas été autorisé à s’occuper des obsèques de sa femme. Il n’a même pas été prévenu. Si : le lundi 12 janvier, un gardien de la prison de Château-Thierry qui sortait de sa cellule s’est retourné vers lui avant de refermer la porte, comme s’il avait oublié quelque chose, et lui a lancé : « Ah, au fait, t’es veuf ! »

 

 

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12 novembre 2021 5 12 /11 /novembre /2021 19:09

Comment écrire le roman d'une passion amoureuse après Anna Karénine ou après Belle du Seigneur _ que notre auteur admire et qui reçut en son temps (1968) comme Mon maître et mon vainqueur cette année le Grand Prix du roman de l’Académie française ? L'amour et la passion ne sont-ils pas des chimères d'un temps révolu à l'époque de Tinder ou de YouPorn ?  Désérable relève le défi et c'est une réussite magistrale.

Enfin, j'ai retrouvé ce que j'attends d'un roman : une histoire sublime, une belle écriture qui conjugue poésie et fantaisie, des personnages bien campés, drôles comme le juge ou le greffier, émouvants comme Tina et comme Vasco, captivant et drôle comme le narrateur, du suspense aussi même la tragédie et son fatum sont annoncés bien avant l'issue... Cette tragédie d'ailleurs se mue en comédie.

Le narrateur est au tribunal face à un juge, il est présent comme témoin et ami de  Vasco et de Tina. Or tout le débat tourne autour d’un banal cahier Clairefontaine, sur la couverture duquel est écrit au feutre noir, « Mon maître et mon vainqueur ». Dans ce cahier, Vincent Ascot dit Vasco a consigné son histoire mais sous forme de poèmes qu'il convient de lire et d'interpréter. C'est que Tina est une grande admiratrice de Verlaine et que Vasco est poète jusque dans ses actes :

"Ni Colt ni Luger

Ni Beretta ni Browning

Bois ta soupe Edgar"

est par exemple un haïku dont le sens s'éclaire par le récit.

Étrange ballotage finalement du lecteur tantôt amusé par les jeux d'esprit, les références littéraires, tantôt ému par le lyrisme ou par la tragédie. Comment rester indifférent ?  Je peine à choisir un extrait à citer tant j'ai envie de tout retenir, car c'est un roman vraiment exceptionnel.

Voici quand même un extrait du cahier de Vasco :

 

Nous avions la nuit pour adresse

Pour compagnons d'âpres vins blancs

Au fond des yeux plein de tendresse

Et quelque chose de troublant

 

Nous étions assis face à face

Dans ce café en clandestins

Où nous écrivions ce qu'effacent

À présent les tours du destin

 

J'avais tes yeux d'un vert agreste

Rien que pour moi et pour cela

Je pourrais donner ce qui reste

De ma vie pour ces heures-là

 

Ces heures qui soudain revient

Dans la scansion de mes vers

Je voudrais que tu t'en souviennes

Comme d'un beau ciel bleu l'hiver

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7 novembre 2021 7 07 /11 /novembre /2021 16:20

Dépression sur les Glénans est un roman de Serge le Gall. C’est un roman policier dont l’intrigue se déroule dans la région des Glénan comme indiqué dans le titre. C’est cela qui m’a attirée, moi qui ne suis pas coutumière des romans policiers.

Dans celui-ci, il est question d’un gourou, Lanza, et de ses victimes. Il prétend guérir ses patientes des traumatismes de la vie tandis que son acolyte donne des cours de yoga. Tous deux exercent dans une bâtisse préservée des regards et bien gardée par des vigiles. Chantal, mère d’une adolescente qui vient de se suicider est la principale victime de ce duo mais c’est par le biais d’une ancienne cliente que Lorraine Bouchet, magistrate s’intéresse à l’affaire puis rentre à Paris où elle doit exercer son métier. On ne l’évoque plus qu’à la fin du roman. Le commissaire Landowski venu en Bretagne pour arrêter deux « etarras » s’intéresse alors à l’affaire du fameux gourou car des hommes sont brutalement assassinés dans la région et le gourou pourrait être lié à l’affaire. C’est le commissaire qui met fin aux agissements crapuleux du gourou et de son acolyte, Jeanne. Les amateurs de romans policiers y trouveront peut-être leur compte. Pour ma part, je n’ai pas trouvé ce roman vraiment réussi: le personnage de Jeanne me semble très peu crédible, l’enquêtrice Lorraine Bouchet, disparaît trop brutalement au profit d’un commissaire comme tombé du ciel, les pages à dimension documentaire sur la SNSM ou sur les Glenan interviennent de façon très artificielle, la langue est parfois lourde. Mais voilà, c’est la première fois que je lis ce genre de roman. Il me reste juste un goût de nostalgie pour les Glenan et le Finistère.

 

Extrait : Le duo, en file indienne, longe la décor de ferme avant d’arriver à une entrée monumentale en ogive qui, elle, semblait avoir été arrachée à un autre édifice pour venir agrémenter celui-ci. S’en suivi une montée à l’étage par un escalier en pierre usé pour déboucher à l’entrée d’une pièce au parquet en points de Hongrie. – Attendez ici, dit l’homme en noir, avant de disparaître. Chantal pénétra dans la pièce. Elle n’avait pas l’intention de poireauter sur le palier comme une mendiante. Au centre, il y avait deux coussins rectangulaires bien rembourrés, un noir et un blanc, qui se faisaient face comme s’ils attendaient d’augustes postérieurs pour être utilisés.

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13 octobre 2021 3 13 /10 /octobre /2021 20:36

Ce texte est-il bien un roman ? Il semble que la fiction en soit totalement absente.

 Reste bien sûr la narration qui paraît d’abord suivre la chronologie mais se révèle ensuite bien plus tourmentée. C’est que la narratrice aussi est tourmentée par cet inceste qu’elle a subi de 13 à 28 ans ! Comment une adolescente peut elle supporter de rencontrer pour la première fois son père et en même temps d’être reniée par lui quand il en fait son objet sexuel ? Comment peut elle se soustraire à l’emprise de cet homme qui est à la fois le père qu’elle avait tant attendu de rencontrer, un homme cultivé, brillant, fringant et riche ? Pourquoi reste t elle incapable de réagir jusqu’à ses 28 ans face à ce père incestueux ? Comment peut elle faire comprendre aux autres ce qu’elle a subi ? Comment faire comprendre qu’on ne sort pas indemne d’une telle agression ? Que la vie reste chaotique longtemps après ?
La narratrice tourne et retourne ces questions en quête d’une paix inaccessible. Pour cela elle ne s’épargne et ne nous épargne aucun détail et décrit les scènes d’inceste avec une précision clinique. C’est qu’il s’agit de se libérer des soupçons qui pèsent sur les victimes : n’y aurait-elle pas trouvé de plaisir ? D’ailleurs cet homme était séduisant. Ne pouvait elle pas résister ? Ce qu’elle raconte est elle vrai ? Pas de témoin et le père incestueux n’a jamais reconnu les faits, d’ailleurs il n’a jamais véritablement reconnu sa fille en tous cas il ne lui a jamais accordé les mêmes droits qu’à ses autres enfants.
En somme, un roman ? Je ne le pense pas mais un récit bien plus fort et sans doute nécessaire.

Extrait : tentative de confidence à la mère

 

_ Ca s'est bien passé ? _ Moyen. _ Pourquoi moyen ? _ C'a été difficile. _ Qu'est-ce qui a été difficile ? _ Lui. Lui, il est difficile. _ Quoi en particulier ? _ Son caractère. _ Ah je sais. "Je sais" a tout foutu en l'air. Les mots sont repartis au fond de ma gorge. Le nœud s'est reformé. Je n'ai pas continué.

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18 septembre 2021 6 18 /09 /septembre /2021 10:20

Ce premier roman signé Romain Gary a été écrit entre 1941 et 1943 alors que son auteur combat comme aviateur des Forces Aériennes Françaises Libres sous son nom d'origine Roman Kacew. En 41, il est en Afrique du Nord et en 43, il est en Angleterre d'où il remplit des missions de bombardement avec la R. A. F. sur l’Allemagne.

L’action se déroule à Vilnius, ville d'origine de l'auteur, et dans la forêt près de cette ville en 1942-1943 pendant les combats de Stalingrad. Le jeune Janek Twardowski, âgé de 14 ans est envoyé par son père dans la forêt où un trou a été préparé pour mieux le protéger. Ses deux frères ont été tués par les Allemands, sa mère a été capturée et peu après, son père a été tué en cherchant à la libérer. Lorsqu’il rejoint les partisans, il suit son « éducation » qui consiste à apprendre toutes sortes de choses qui ne figurent pas dans les cursus d’institutions traditionnelles d’enseignement : survivre au froid et à la faim, aux bombes, aux massacres,  tuer...  Avec les Nazies c'est l'Europe de la culture qui disparait : la littérature, la musique, les grandes universités, l'humanisme.

Pourtant, Janek rencontre bien plus malheureux que lui : la jeune Zosia se prostitue pour soutirer vivres ou informations aux Allemands, mais elle y renonce par amour pour Janek ; le jeune juif Wunderkind, de son vrai nom Moniek Stern, est maltraité au milieu d’une bande de jeunes criminels à Vilnius. Pourtant, Stern « réhabilite » le monde en jouant de son violon devant Janek, et plus tard, lorsqu’il l’accompagne à la forêt, devant les partisans, mais il ne survit pas au froid de l'hiver en forêt. Janek rêve de paix et de musique, il écoute son ami Dobranski lire dans son cahier son livre en projet, Éducation européenne, et il entend au loin les canons de Stalingrad qui annoncent la victoire. "J'espère que je ne me ferai pas descendre avant d'avoir fini mon livre" confie-t-il à Janek comme en écho des circonstances dans lesquelles Gary a écrit ce livre. Le roman finit sur une paix retrouvée et une note d'espoir.

Extrait choisi : "Quand nous aurons des enfants, nous leur apprendrons à aimer et non à haïr.
- Nous leur apprendrons à haïr aussi. Nous leur apprendrons à haïr la laideur, l’envie, la force, le fascisme…
- Qu’est-ce que c’est, le fascisme ?
- Je ne sais pas exactement. C’est une façon de haïr.
- Nos enfants n'auront jamais faim. Ils n'auront jamais froid.

- Ni faim, ni froid.

- Promets-le-moi.

- Je te le promets. Je ferai de mon mieux.

Ce roman nous parvient après plusieurs rééditions, en 44 en Angleterre, en 45 en France puis en 56 dans une nouvelle édition. Il comporte de nombreux récits en abyme et la figure mythique du partisan Nadedja, sorte de symbole de la résistance, revient à plusieurs reprises en leitmotiv. Ce n'est sans doute pas le meilleur roman de Gary, mais on y trouve déjà l'humanisme viscéral de cet auteur.

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11 août 2021 3 11 /08 /août /2021 13:28

Quel magnifique premier roman ! J'en suis toute retournée. D'ailleurs, un roman ou un long poème ?

Le narrateur est un enfant, il est au bord de la mer, seul avec sa grand-mère et sa tante. Cette grand-mère qui l'humilie quand elle roule les r ou offre du foie haché en cadeau d'amitié à la famille du nouvel ami du jeune narrateur est son seul soutien. Elle l'abrite, le nourrit, le lave et lave son linge, mais ils ne se parlent pas. Sa tante vit recluse dans sa chambre, elle est laide et folle, l'enfant a surtout peur de lui ressembler un jour. Dans leur immeuble vivent aussi une très vieille dame avec son fils, ombre décharnée qui souffre de la même "maladie qu'Yves St Laurent", selon la grand-mère. À lui aussi, le jeune narrateur craint un jour de ressembler. Il écoule ainsi une vie mélancolique, observant le bonheur des familles sur la plage : "ce qui excitait [sa] curiosité, c'était de voir des parents avec leurs enfants. Le quotidien banal d'une famille normale". Sur sa famille à lui rien n'est vraiment dit : sa mère serait morte "exprès" ; de son père, il a des souvenirs fugaces et toujours vaguement inquiétants ;  de ses origines juives, restent quelques relents de personnes entassées, brûlées, mais tout cela reste imprécis, vagues, pas plus présent que les fourmis, que le jeune garçon observe patiemment et dont il tente de contrarier la route ou que les méduses que l'enfant triture avec un bâton lorsqu'il est avec son nouvel ami Baptiste ou encore que Vera le Playmobil qu'il est allé "inhumer" aux Vaches noires dans les sables mouvants qui ont commencé à engloutir Baptiste et on ne saura jamais si Baptiste en est sorti. Ce récit est plein de suggestions, mais de non dits et de détournements comme si le passé enseveli tentait de refaire surface dans la conscience du jeune narrateur. Cela donne des pages pleines de poésie et parfois de philosophie : "C'est l'automne sur le visage de Baptiste. Feuillage orange et fond bleu sur terre noire et gonflée. Baptiste s'est battu au club Mikey. C'est l'un des deux garçons rencontrés à la plage l'autre jour qui l'a obligé à renoncer pour quelques jours au rose élastique de sa pommette. J'ai du mal à comprendre pourquoi, quand une personne en frappe une autre, ce n'est pas celui qui a donné le coup qui en porte la trace."  

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7 août 2021 6 07 /08 /août /2021 19:18

Le roman de David Diop est une bien étrange histoire. Il nous entraîne d’abord sous l’Empire, en 1806, sur les pas d’un naturaliste français Michel Adanson. Ce dernier a brûlé sa vie pour réaliser son projet de rédiger une encyclopédie, négligeant sa famille et en particulier Aglaé, sa fille. Malgré ses efforts, un travail acharné et une mobilisation de tous les instants, le projet de sa vie ne verra pas le jour, déjà sa santé se dégrade.

Mais Michel Adanson a un secret, une face cachée et il ne veut pas et ne peut pas mourir sans transmettre à sa fille cet héritage. Suite au décès de son père, Aglaé reçoit en héritage des bibelots, des collections scientifiques, des meubles et tout un bric-à-brac dont on ne sait à quoi il pourra servir. Mais, encore attachée à son père, elle finit par découvrir, dans un tiroir à double fond, un marocain dans lequel son père raconte une partie de sa vie, alors qu’il était un jeune scientifique de 23 ans.

C’est le point de départ d’un récit enchâssé, sous forme de feed-back qui nous ramène 50 ans en arrière, dans une expédition au Sénégal, à la rencontre de pratiques culturelles nouvelles, de rapports differents entre les hommes et avec la nature. Le jeune scientifique qu’est Michel Adanson est séduit, il plonge dans cet univers culturel inconnu, réinterroge son rapport à la négritude et apprend le Wolof pour une intégration plus complète.

Or, tandis que Michel Adanson fait un travail scientifique, d’autres Européens, des Anglais, des Français, sont au cœur de l’organisation du commerce triangulaire dont Gorée est la plaque tournante. C’est de Gorée que partent les bateaux chargés de femmes, d’enfants, d’hommes vers l’inconnu pour un voyage sans retour et dans des conditions inhumaines.

Un chef de village, Baba Seck, raconte à Michel Adanson l’histoire étrange et captivante de la « Revenante » : Maram a disparu de son village et malgré des recherches et des démarches diverses, elle n’a pas été retrouvée. Après trois ans, un émissaire d’un autre village a prétendu que Maram était revenue des Amériques après avoir été esclave.

Michel Adanson part en quête de cette « Revenante » en traversant une partie du Sénégal, avec une escorte et un jeune guide de sang royal parlant Wolof, Ndiak. Ce sera l’occasion de découvrir toute une culture, des villages, des cérémonies, des paysages et des traditions du Sénégal. Durant le voyage, Michel Adanson est foudroyé par une fièvre. Considéré comme mort, il est confié aux soins d’une guérisseuse.

Dès lors, le roman réoriente son objet. D’une part il donne un éclairage plus sombre des relations intra familiales au sein de la société sénégalaise mais aussi des comportements des Français installés dans des concessions, occupés à l’esclavagisme.

D’autre part, il vient décrire la naissance d’une passion fulgurante de Michel Adanson pour un amour sans lendemain mais qui restera une plaie douloureuse tout au long de sa vie.

Le roman de David Diop à travers une histoire très romanesque nous ouvre sur une Afrique captivante, différente, riche culturellement. Il aborde de façon aiguë la question de l’esclavagisme, des aspects sordides de la traite négrière et du rapport des Européens à la population africaine. Comme le regard d’Adanson, c’est notre regard de lecteur sur l’Afrique qui s’enrichit et se transforme au cours du récit : il dépayse et enrichit tout à la fois. Après l’inoubliable Frère d’Ame, David Diop nous offre ici une nouvelle pépite littéraire.

Extrait choisi : "Je me crus sous le coup d’une nouvelle hallucination quand m’apparut une jeune femme que je jugeai spontanément très belle malgré l’emplâtre de terre blanche qui lui enlaidissait les joues et la bouche. Épargné par cette croûte blanche qui lui servait de masque, le haut de son visage révélait la noirceur profonde de sa peau, dont le grain très fin et brillant suggérait la douceur. Ses cheveux tressés rassemblés en chignon, son cou long et gracile lui donnaient le port d’une reine de l’Antiquité. La forme de ses grands yeux noirs fendus en amande, soulignée par de longs cils recourbés, me rappelait celle d’un buste égyptien que j’avais vu dans le cabinet de curiosités de Bernard de Jussieu, mon maître de botanique. Ses iris, aussi profondément noirs que sa peau et qui tranchaient avec la blancheur de neige de ses prunelles, étaient posés sur moi comme sur une proie." (p. 122)

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5 août 2021 4 05 /08 /août /2021 13:28

La disparition en 2019 de la petite Kimmy Diore, six ans, fille de Mélanie Claux est l'affaire qui occupe la brigade criminelle de Paris, plus particulièrement Clara Roussel, la procédurière mais pas seulement : au moins les cinq millions d'abonnés à la chaîne Happy Récré où Mélanie Claux exhibe quotidiennement ses enfants sont aux abois. Une semaine plus tard, l'enfant est restitué, l'enquête est finie mais douze ans plus tard on retrouve Sammy Diore frère aîné de Kimmy devenu paranoïaque puis Kimmy, révoltée.



C'est que Kimmy et Sammy ont toute leur enfance vécu sous l'œil de la caméra, leur mère en a fait des enfants stars de leur chaîne You Tube Happy Récré et à ce prix, ils sont gavés de jouets dernier cri, de sucreries et divers gadgets car les voila devenus « influenceurs ». Leur mère, ex fan de Loft Story, est convaincue qu'elle fait ainsi le bonheur de ses enfants et elle ne voit pas le problème, l'argent rentre sans difficulté, la famille vit au milieu des étoiles et paillettes...

La clairvoyance d'Elise Favart la conduira en prison. La bienveillance de Clara Roussel la conduira à relâcher sa surveillance puis à contribuer à la réaction de la jeune Kimmy Diore.

Le récit progresse comme une intrigue policière mais une fois l’énigme résolue, il sort de ce cadre un peu convenu et le narrateur ou la narratrice, plein/e d’empathie prend en charge l’épilogue plus de dix ans plus tard, cette histoire, c'est le désastre des réseaux sociaux alliés de la société de consommation !
Un roman très éclairant et facile à lire.

Dialogue entre Clara et son collègue Cédric Berger :

"Hier soir, j'ai pris le temps de regarder  quelques vidéos. Je vais te dire, Clara, je ne pensais même pas que ça pouvait exister. Il faut le voir pour le croire, non ? C'est dingue... Sérieusement, est-ce que les gens savent que ça existe ?

_ Les gens, je ne sais pas. Mais des centaines de milliers d'enfants et de jeunes adolescents rêvent d'avoir la même vie que Sammy et Kimmy. Une vie sous le signe de la profusion.

_ Qu'en dit l'Académie ?

_ Justement, je voulais t'en parler. Mélanie emploie le mot "partager" à tout bout de champ. Elle dit "je vous partagerai ça tout à l'heure." ou "nous avons plein de super nouvelles à vous partager". Un usage qui vient de l'anglais mondialisé. Or, en français, on partage quelque chose avec quelqu'un.

_ En réalité, ils ne partagent pas grand chose, si j'ai bien compris...

Cédric marqua une pause et enchaîna, plus sérieux.

_ Avec le fric qu'elle s'est fait, elle n'a sans doute pas tord quand elle dit qu'elle a des ennemis.

Il se perdit un instant dans ses pensées avant de continuer.

_ D'ailleurs à ce propos, le type de Minibus Team, il était en vacances tous frais payés avec ses filles dans un hôtel-club pour la Toussaint, il rentre aujourd'hui."

Un roman très éclairant et facile à lire.

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17 juin 2021 4 17 /06 /juin /2021 11:23

Ce roman écrit en anglais en 2019 et traduit et publié en français en 2020, nous transporte dans le comté du Hampshire dans les années 30. Il prend appui sur des réalités historiques avérées : le personnage de Louisa Pesel, brodeuse pour la cathédrale de Winchester et ses broderies, l'art campanaire et ses subtilités mais aussi cette réalité de l'entre deux guerres où les familles restaient meurtries des disparitions de leurs pères, fils, maris, fiancés  ou frères et où les jeunes filles ne trouvaient pas de mari, car la population masculine était décimée tandis qu'un certain Hitler gravissait les marches vers le pouvoir en Allemagne.

C'est dans ce contexte que nous suivons la jeune Violet, déjà 38 ans mais "femme excédentaire", sans époux. Avec elle, c'est l'émancipation de la femme que nous suivons : elle rencontre des hommes lors de ses sorties "Sherry", elle fume, elle travaille comme dactylo et ne craint pas de formuler revendications et suggestions d'amélioration à son patron, elle a quitté la maison familiale pour s'installer dans une pension à Winchester et elle sait résister aux prières insistantes de son frère de rentrer pour veiller sur leur mère au caractère irascible. Elle sort de son isolement en rejoignant le club des brodeuses de Louisa Pesel, prend des vacances pour se lancer dans une randonnée en autonomie malgré la menace d'une sorte d'homme des cavernes nommé Jack Well. Elle s'est éprise d'Arthur, un sonneur de cloches, c'est un homme marié qui pourrait être son père, le scandale menace. Puis elle élève leur enfant en mère célibataire, occupant la maison familiale de Southampton rebaptisée "maison du péché" par les voisins, avec ses amies, Gilda et Dorothy qui forment un couple, bravant, elles aussi, les qu'en-dira-t-on.

"Per angusta, ad augusta" dirait la prof de latin Dorothy !

Est-ce parce qu'il est si anglais ou parce qu'il tourne sans cesse autour des questions de mariage, de famille et de femmes en quête d'indépendance, ce roman rappelle par bien des aspects les romans de Jane Austen pour notre plus grand plaisir.

Extrait choisi : "Pour Violet, la broderie était comparable à la dactylographie, en plus satisfaisant. Il fallait se concentrer, mais une fois qu'on était suffisamment experte, on trouvait son rythme et on ne pensait plus qu'à l'ouvrage qu'on avait devant soi. La vie se résumait alors à une rangée de points bleus qui se muaient sur la toile en une longue tresse, ou à une explosion de rouge qui se transformait en fleur. Au lieu de taper des formulaires pour des gens qu'elle ne verrait jamais, Violet faisait grandir sous ses doigts des motifs aux couleurs éclatantes."

 

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5 juin 2021 6 05 /06 /juin /2021 12:01

Sido, c'est le titre de ce recueil, écrit par Colette en 1929 pour évoquer son enfance et sa famille. Certes l'ouvrage se compose de trois chapitres, "Sido", "Le Capitaine" et "Les Sauvages" accordant aux fils et au père une partie a priori égale à celle qui est consacrée à la mère, Sido mais  l'ensemble est clairement dominé par l'image de Sido, de sa complicité avec l'autrice enfant dans leur jardin rempli de fleurs et d'échos.

Pour recréer par l'écriture, ce jardin d'Éden de sa maison natale, Colette alors qu'elle est désormais âgée de 56 ans, retrouve les mille et un noms et couleurs des plantes cultivées par sa mère  : "O géraniums, o digitales... Celles-ci fusant des bois taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, [...] "Sido" aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la  croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais" Elle ajoute aussi quelques " bulbes de muguet, quelques bégonias et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules" sans oublier les arbres, "bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba."...

Au milieu de ce jardin d'Eden, Sido telle une majestueuse déesse, "repoussait en arrière la grande capeline de paille rousse, qui tombait sur son dos, retenue à son cou par un ruban de taffetas marron, et elle renversait la tête pour offrir au ciel son intrépide regard gris, son visage couleur de pomme d'automne.  Sa voix frappait-elle  l'oiseau de la girouette, la bondrée planante, la dernière feuille du noyer, ou la lucarne qui avalait, au petit matin, les chouettes ? Ô ¨surprise, ô certitude... D'une nue à gauche une voix de prophète enrhumé versait un "Non, Madame Colê...ê...tte !" qui semblait traverser à grand peine une barbe en anneaux, des pelotes de brumes, et glisser sur des étangs fumants de froid." 

Colette fait ainsi renaître les sensations de son enfance et avec elles tout un passé pourtant révolu. En effet, cette déesse-mère qui lui apprenait la vie et la nommait "mon Joyau-tout-en-or" finit par mourir laissant après elle son "Capitaine" qui "l'aimait sans mesure" mais qui "ne s'intéressait pas beaucoup, en apparence du moins, à ses enfants" et sa fille aînée "habitée par le fantôme littéraire des héros" et mal mariée, son fils aîné, un "sauvage" devenue médecin, son fils cadet, resté "sauvage" bien après l'enfance et notre Colette dont la plume magique fait renaître son enfance dans le paradis de la maison natale de Saint-Sauveur-en-Puisaye que j'espère visiter un jour.

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