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12 septembre 2020 6 12 /09 /septembre /2020 22:23

Ce roman est le 14ᵉ de la série des Rougon-Macquart mais certainement pas le plus lu parmi les nombreux récits de Zola.

Or celui-ci présente la singularité de montrer son auteur à peine déguisé sous le pseudo de Sandoz en pleine époque de création et d'écriture des Rougon Macquart ! Ce Sandoz qui offre à diner tous les jeudis à ses amis artistes est comme les artistes qu'il reçoit, tourmenté par l'œuvre qu'il entreprend et s'acharne sur la moindre phrase avant d'aboutir mais lui au moins réussit à produire et même à se batir une fortune suffisante pour mener à Paris un train de vie de bourgeois. C'est loin d'être le cas de son ami Claude Lantier (fils de Gervaise et d'Auguste Lantier, frère d'Etienne Lantier) qui, malgré son talent reconnu et malgré son acharnement au travail, ne parviendra jamais à produire l'Oeuvre qui lui tient tant à cœur. Claude est peintre, Zola s'inspire de son ami Cézanne. Il est à l'initiative d'un mouvement novateur nommé le "plein air" qui conteste la peinture académique et cherche à s'imposer dans les "salons des refusés" mais même dans ces salons, Claude ne parvient pas à percer. Il a épousé Christine dont il a eu un fils hydrocéphale. Christine est devenue son modèle jusqu'à ce qu'elle finisse par comprendre que la peinture est sa rivale, précisément la femme qu'il peint d'après elle. La fin est évidemment tragique. Les personnages de ce roman sont ainsi des êtres tourmentés, dans le cas de Claude, jusqu'au suicide.   

L'Oeuvre permet d'explorer l'univers des artistes parisiens notamment des peintres impressionnistes et post impressionnistes : certains vivent dans la misère noire, d'autres s'embourgeoisent car le commerce des œuvres d'art est en plein essor, d'autres encore comme Bongrand ont connu le succès mais se tourmentent désormais car  comment renouer avec le succès et créer un tableau comme sa "Noce au village" ?

La plume de l'auteur épouse tantôt le regard de ses personnages mais même sans cela, elle se fait volontiers pinceau ce qui donne de fréquentes descriptions de Paris, de ses lignes, de ses formes, de ses couleurs et lumières à divers moments des jours.

extrait : Par les jours de ciel clair, dès qu'ils débouchaient du pont Louis-Philippe, toute la trouée des quais, immense à l'infini, se déroulait. D'un bout à l'autre, le soleil oblique chauffait d'une poussière d'or les maisons de la rive droite ; tandis que la rive gauche, les îles, les édifices se découpaient en une ligne noire, sur la gloire enflammée du couchant. Enfin cette marche éclatante et cette marge sombre, la Seine pailletée luisait, coupée des barres minces de ses ponts, les cinq arches du pont Notre-Dame sous l'arche unique du pont d'Arcole, puis le pont au Change, puis le Pont-Neuf, de plus en plus fins, montrant chacun, au-delà de son ombre, un vif coup de lumière, une eau de satin bleu, blanchissant dans un reflet de miroir ; et, pendant que les découpures crépusculaires de gauche se terminaient par la silhouette des tours pointues du Palais de Justice, charbonnées durement sur le vide, une courbe molle s'arrondissait à droite dans la clarté, si allongée et si perdue, que le pavillon de Flore, tout là-bas, qui s'avançait comme une citadelle, à l'extrême pointe, semblait un château du rêve, bleuâtre, léger et tremblant, au milieu des fumées roses de l'horizon. Mais eux; baignés de soleil sous les platanes sans feuilles, détournaient les yeux de cet éblouissement, s'égayaient à certains coins, toujours les mêmes, un surtout, le pâté de maisons très vieilles, au-dessus du Mail; en bas, de petites boutiques de quincaillerie et d'articles de pêche à un étage, surmontées de terrasses, fleuries de lauriers et de vignes vierges, et, par-derrière, des maisons plus hautes, délabrées, étalant des linges aux fenêtres, tout un entassement de constructions baroques, un enchevêtrement de planches et de maçonneries, de murs croulants et de jardins suspendus, où des boules de verre allumaient des étoiles. Ils marchaient, ils délaissaient bientôt les grands bâtiments qui suivaient, la caserne, l'Hôtel de ville, pour s'intéresser, de l'autre côté du fleuve, à la cité, serrée dans ses murailles droites et lisses, sans berge. Au-dessus des maisons assombries, les tours de Notre-Dame, resplendissantes, étaient comme dorées à neuf. Des boîtes de bouquinistes commençaient à envahir les parapets ; une péniche, chargée de charbon, luttait contre le courant terrible, sous une arche du pont Notre-Dame.

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22 août 2020 6 22 /08 /août /2020 16:28

Qu'est-ce que cela signifie ? A peine fini un livre sur le changement de moi (L'Homme-dé), voilà que je me

plonge dans un roman Changement de décor ! Deux romans des années 70 et deux auteurs anglophones en plus !

Celui-ci au moins est à la fois divertissant, drôle et enrichissant. Sur un rythme alerte, nous découvrons un sujet aussi sérieux que la comparaison des systèmes universitaires anglais et américains des années 70. En effet, Morris Zapp l'Américain, spécialiste de Jane Austen quitte son université de Plotinus à Esseph pour un échange de six mois avec  l'université de Rummidge en Angleterre. Il laisse en suspens la séparation que demandait son épouse Désirée. Philip Swallow l'Anglais est un universitaire a priori moins brillant. C'est lui qui prendra un poste à Plotinus pendant six mois, laissant le soin à son épouse, Hilary, de s'occuper de leurs enfants. Le premier chapitre peut sembler un peu long, les deux protagonistes sont en avion et se dirigent en sens inverse. Déjà, pourtant, une surprise de taille : Morris Zapp réalise soudain que dans son avion, il est le seul homme ! L'explication ne tarde pas : aux Etats-Unis, l'avortement est à cette époque interdit alors qu'il est légal en Angleterre. Toutefois l'expérience des deux protagonistes révèlera ensuite à quel point l'Angleterre est restée traditionnelle et conservatrice alors que les USA sont en perpétuelle ébullition. A la fin du roman, Philip et Hilary, Morris et Désirée se retrouvent en Amérique  : il s'agit de décider qui vivra où et avec qui !

La comparaison  des deux décors est saisissante :

"Lorsqu’il tirait les rideaux de sa salle de séjour tous les matins, le panorama remplissait tout le cadre de sa baie vitrée comme par l’un de ces tours de force[2] que réservait le Cinérama à ses débuts. Au premier plan, à sa droite et à sa gauche, les maisons et les jardins des professeurs les plus riches d’Euphoria s’accrochaient avec pittoresque aux flancs des collines de Plotinus. Juste en dessous de lui, là où les collines plus basses descendaient en gradins jusqu’aux rives de la Baie, s’étalait le campus avec ses bâtiments blancs et ses allées boisées, son campanile et sa plaza, ses amphithéâtres, ses stades et ses laboratoires, bordé tout autour par les rues rectilignes du centre ville de Plotinus. La Baie remplissait le panorama au milieu, s’étendant à perte de vue de chaque côté ; l’œil était entraîné naturellement dans un mouvement semi-circulaire qui balayait tout le paysage : il suivait l’Autoroute de la Côte toujours très encombrée, s’écartait et traversait la Baie en suivant le long Pont d’Esseph (seize kilomètres d’un péage à l’autre), avant d’atteindre la masse impressionnante de la ville, avec la ligne sombre des gratte-ciel du centre ville qui se détachaient contre les collines résidentielles toutes blanches, et de là il franchissait la Porte du Pacifique, épousant les courbes gracieuses du pont suspendu de l’Arche d’Argent, pour retomber sur les pentes vertes du Comté de Miranda, célèbre pour ses forêts de séquoias et sa côte spectaculaire. Même très tôt le matin, ce vaste panorama était sillonné par tous les moyens de transports connus – bateaux, yachts, voitures, camions, trains, avions, hélicoptères et hovercrafts – qui se déplaçaient tous en même temps, ce qui rappelait à Philip la couverture somptueusement illustrée d’un livre, Les Merveilles du transport moderne à l’usage des petits garçons, qu’il avait reçu pour son dixième anniversaire.

[...] Morris Zapp était, quant à lui, infiniment moins séduit par sa vue – une longue enfilade de jardinets humides, de cabanes pourrissantes, de linge dégoulinant, d’énormes arbres disgracieux, de toits crasseux, de cheminées d’usines et de flèches d’églises – mais il avait très vite abandonné ce critère lorsqu’il s’était mis à chercher un meublé à Rummidge. On pouvait s’estimer heureux, comme il l’avait très vite compris, si on réussissait à trouver un logement qui voulût bien se maintenir à une température adaptée à l’organisme humain, qui offrît tous les conforts les plus élémentaires de la vie civilisée, et qui ne vous donnât pas envie de vomir au premier coup d’œil avec les couleurs et les motifs bigarrés de la tapisserie. Il avait envisagé un moment de vivre à l’hôtel, mais les hôtels autour du campus étaient encore pires, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, que les maisons privées. Finalement, il avait pris un appartement au dernier étage d’une immense maison ancienne qui appartenait à un médecin irlandais et à sa nombreuse famille."

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22 août 2020 6 22 /08 /août /2020 13:47

Le psychanalyste Luke Rhinehart doute de l'intérêt de la psychanalyse alors qu'il est médecin dans un hôpital

Psychiatrique. L'idée lui vient alors que chaque individu est prisonnier d'un moi unique alors que si on peut changer ce moi, la libération peut être vitale. Pour cela, il met au point une méthode originale : tout jouer au dé. Pour chaque acte de la vie, proposer diverses solutions et laisser le hasard choisir en lançant le dé. Les résultats sont totalement imprévisibles et totalement libres vis à vis de la loi comme vis à vis de la morale. Un aliéné est interné car il violait les petites filles, le voilà maintenant complétement désintéressé par les fillettes mais intéressé par les petits garçons !  Le docteur applique aussi sur sa propre vie  sa méthode et se retrouve ainsi à aider une trentaine d'aliénés à s'évader de l'hôpital. 

La question initiale est tout à fait intéressante : le moi que nous affichons au quotidien est une construction qui bride notre créativité comme notre liberté.

Le traitement de la question est en revanche tantôt humoristique, tantôt provocatrice jusqu'à devenir agaçante, laissant libre cours aux fantasmes divers du personnage. Alors certes, ce livre n'est pas à mettre dans toutes les mains. 

Le narrateur porte les même noms et prénoms que l'auteur qui se plait de la sorte à créer le trouble. Les citations en exergue donnent au libre un caractère sérieux, scientifique :

"Nous ne sommes pas nous-mêmes ; en vérité, il n’y a plus rien qu’on puisse encore appeler un « moi », nous sommes multiples, nous avons autant de « moi » qu’il y a de groupes auxquels nous appartenons… Le névrosé est la victime patente d’une maladie dont tout le monde souffre… J. H. VAN DEN BERG

Mon but est d’aboutir à un état psychique dans lequel mon patient se mette à expérimenter sur sa propre nature – un état de fluidité, de changement et de croissance, dans lequel plus rien ne serait éternellement figé, désespérément pétrifie. CARL GUSTAV JUNG

La torche du chaos et du doute : telle est la lanterne du sage. TCHOUANG-TSEU

Je suis Zarathoustra le sans-Dieu : je fricote encore toutes les chances dans ma marmite. NIETZSCHE N’importe qui peut être n’importe qui. L’HOMME-DÉ

C'est ainsi qu'à la sortie de ce roman beaucoup ont cru à une autobiographie et le récit a connu un succès retentissant attisé par le parfum du scandale.

En réalité, c'est une supercherie, l'auteur se nomme en réalité George Powers Cockcroft, c'est un romancier américain, professeur de littérature, Luke Rhinehart est le nom de son personnage et son nom de plume.

extrait : "De retour à mon bureau, je récrivis les deux premières options : quitter Lil et abandonner les dés. J’accordai alors une chance sur cinq à l’option de décider au début de chacun des sept mois suivants (c’est-à-dire jusqu’au premier anniversaire du jour D à la mi-août) à quoi chacun de ces mois devrait être consacré. J’attribuai les mêmes chances à l’option d’essayer d’écrire un roman pendant ces sept mois. Un peu plus à celle de faire trois mois de tourisme en Europe et de voyager le reste du temps selon le caprice du dé. Ma dernière option était de remettre la conduite de mes recherches de sexologie avec le Dr Felloni à l’imagination du dé.

Le premier jour semestriel de la distribution de ma destinée était arrivé – une occasion mémorable. Je bénis les dés au nom de Nietzsche, de Freud, de Jake Ecstein et de Norman Vincent Peale et les agitai dans mes mains en coupe, en leur faisant durement heurter mes paumes. Je gloussais d’impatience : c’était une demi-année de ma vie, peut-être même plus qui tremblotait là dans mes mains. Les dés roulèrent sur le bureau ; il y avait un six et un… trois. Neuf : survie, anticlimax, inachèvement, et même désappointement ; les dés m’avaient ordonné de recommencer chaque mois à leur faire choisir ma destinée particulière."

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17 juillet 2020 5 17 /07 /juillet /2020 13:01

"En ce temps-là, la semaine n’avait que quatre jours, l’année comptait ainsi beaucoup plus de semaines et les gens vivaient donc plus longtemps sur la Terre. L’enfant survécut à deux semaines, à trois, puis à quatre. On attendit trois lunes entières. L’enfant se mit à babiller, à gazouiller. Il devint beau et fort comme les hommes de la lignée de sa mère. Ce n’est qu’alors qu’il fut considéré comme une vraie personne, une créature indépendante qui méritait un nom bien à elle pour la distinguer du reste de la Création. Compte tenu de sa naissance extraordinaire, on lui trouva un nom prestigieux, le nom d’un de ces ancêtres dont les hauts faits se perdaient dans la nuit de l’histoire de son peuple. Toute la famille se réunit et le vieux Nimi A Lukeni, mémoire de la nation, le présenta aux ancêtres : “... Ainsi, à partir d’aujourd’hui, tu seras un homme appelé à vivre, tu auras un nom à toi, celui de Mankunku, celui qui défie les puissants et les fait tomber comme les feuilles tombent des arbres. Que l’esprit du grand ancêtre accepte, avec le vin de palme que je crache aux vents et les feuilles de kimbazia que je mâche et crache devant tous, de veiller sur toi. Tâche de devenir fort comme lui et de ne craindre personne, pas même les puissants. Sois digne de la lignée de ta mère.

Et le vent répondit en acceptant le vin, il le porta en gouttelettes fines dans les quatre directions, monta, baisa la face du ciel en effleurant le Soleil avant de retomber sur la mère et le père, grand forgeron. Et l’esprit de l’ancêtre accepta l’enfant en arrêtant définitivement la douleur qui n’avait cessé de mordre le bas-ventre de la mère depuis la naissance du garçon. On l’appela donc Mandala Mankunku."

Ces lignes p 18/19 relatent l'officialisation de la naissance du héros de ce roman. Ce n'est pas pour autant l'heure de son intégration car la découverte de ses yeux verts conduit à son ostracisme, "des yeux glauques, vert-de-palme, phosphorescents la nuit, [...] des yeux verts de fauve nyctalope, des yeux de sorcier malfaisant voyageant la nuit avec les chouettes et les hiboux", "C'est à cette époque-là que l'enfant reçut le nom de Mambou, enfant-de-la-discorde."

D'autres dénominations s'ajoutent au fil de l'histoire (Maximilien Massini Mupepe) de ce garçon "né sans naissance, sans origine donc sans fin" (p 324/325) et son histoire épouse celle  de son pays : la colonisation, l'exploitation, la construction des chemins de fer congolais, la révolte, l'exode vers les villes, la fin de la colonisation, le départ vers l'Europe jusqu'à ce qu'il découvre "ce qu'il avait cherché pendant toute sa vie : retrouver, comme au premier matin du monde, l'éclat primitif du feu des origines."

En 2002, nous avons étudié en 2nde ce roman publié en 1987 chez Albin Michel pour en 2001 au Serpent à Plumes. C'était l'année où Emmanuel Dongala, professeur de chimie et de littérature aux États-Unis venait à Paris faire la promotion de son dernier livre Johnny Chien méchant ce qui nous a permis de le faire venir au lycée pour une rencontre mémorable. Alors que je m'apprête à me débarrasser de mes vieux dossiers, il fallait bien que j'en garde une trace !

 

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16 juillet 2020 4 16 /07 /juillet /2020 14:04

Auteur chilien né en 1949 et décédé cette année, Luis Sépulveda a publié en 1989 ce roman qui a pour cadre l'Amazonie. Alors qu'il était exilé à Hambourg depuis 1977, il participe à une expédition organisée par l'UNESCO en Amazonie. Il séjourne six mois chez les Indiens Shuars. Lors de la publication de ce roman en France en 1992, j'ai l'ai étudié avec des élèves de 2nde et nous avions rencontré l'auteur au festival Etonnant voyageur !

Antonio José Bolivar est un indien qui a émigré de son village de la montagne équatoriale avec sa femme Dolores Encarnnacion, attiré par les promesses faites par le gouvernement : recevoir des terres et de l'aide technique pour coloniser la forêt.

Comme les autres colons qui ne savent ni classer, ni pêcher, il est incapable de s'adapter à ce milieu hostile. Au bout de deux ans, sa femme meurt et à partir de ce moment-là, il vit seul dans la forêt et peuple sa solitude en lisant des romans d'amour.

Pour s'intégrer à cette région, Antonio José Bolivar a compris qu'il devait la connaître et que d'abord, il devait comprendre ses habitants. C'est pourquoi il a appris à chasser et à pêcher avec les Shars.  Il s'est habillé comme eux et a évité le contact avec les autres colons. Alors qu'il avait détesté la forêt dont il voulait se venger en y mettant le feu car elle était responsable de la mort de sa femme, victime de la Malaria, il a appris peu à peu à connaître la forêt jusqu'à se rendre compte qu'elle le rendait heureux. Il faisait exactement ce qu'il voulait, n'était contraint à aucun horaire, aucune obligation matérielle. Il ne se sentait pas obligé de vivre en communauté, il décidait seul s'il voulait voir les indigènes ou rester seul.

Mais la nature chez Sépulveda n'est pas le paradis. Elle isole : les sentiers sont vite rendus impraticables par la végétation, le dentiste Rubicondo Loachamin ne vient que deux fois par an et apporte au vieu de nouveaux livres . Elle est inhospitalière et malsaine : les pluies diluviennes transforment le sol en marécage, la culture est impossible, les moustiques, la  chaleur et l'humidité provoquent la Malaria. Elle est dangereuse : l'ocelote tue quatre personnes  en cinq jours, les ouistitis tuent un homme, un serpent X a failli tuer Antonio José Bolivar.

Comme le monde des hommes incarné par le maire, est encore plus hostile, le vieux se réfugie dans les romans d'amour, seul rempart contre la "barbarie humaine"

 

 

Voici l'épilogue : "Malgré sa maigreur c’était une bête superbe, une beauté, un chef-d’œuvre de grâce impossible à reproduire, même en imagination.

Le vieux la caressa, oubliant la douleur de son pied blessé, et il pleura de honte, se sentant indigne, avili, et en aucun cas vainqueur dans cette bataille.

Les yeux brouillés de larmes et de pluie, il poussa le corps de l’animal jusqu’au bord de la rivière et les eaux l’emportèrent dans les profondeurs de la forêt, vers les territoires jamais profanés par l’homme blanc, vers le confluent de l’Amazone, vers les rapides où des poignards de pierre se chargeraient de le lacérer, à tout jamais hors d’atteinte des misérables nuisibles.

Puis il jeta rageusement le fusil et le regarda s’enfoncer sans gloire. Bête de métal honnie de toutes les créatures.

Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes."

 

 

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11 juillet 2020 6 11 /07 /juillet /2020 22:41

C’est le dernier livre de cette prolixe romancière. La ligne directrice engage trois personnages qui a priori auraient pu ne jamais se côtoyer : un universitaire germano-portugais venu du Brésil, une universitaire chilienne et une jeune immigrée guatémaltèque. Ces personnages se rencontrent à Brooklyn alors que le froid et la neige bloquent la ville et provoquent un banal accident de circulation. La rencontre lie les trois personnages de façon aussi rocambolesque que définitive : ils se dirigent ensemble et en pleine tempête de neige vers une cabane au Canada avec dans le coffre un cadavre et l’arme du crime.

Or cette aventure rocambolesque tient le lecteur en haleine alors que l’histoire de chacun des protagonistes est relatée :

Lucia Maraz a quitté le Chili de Pinochet alors que son frère venait d’être arrêté et que la menace pesait aussi sur elle. Elle a passé ensuite son temps à enquêter sur les disparus avant de venir s’installer à Brooklyn.

Le professeur Richard Bowmaster vit seul avec ses chats, rescapé d’une terrible histoire familiale qui l’a conduit du Brésil à Brooklyn.

Evelyn Ortega a dû quitter le Guatemala après que ses deux frères ont été cruellement assassinés par des bandes de narco trafiquants. Elle-même a subi cette violence sauvage au point qu’elle s’est retrouvée bègue et blessée obligée de quitter son pays et sa grand-mère et de franchir la frontière vers les USA malgré les dangers effroyables avant de retrouver sa mère à Chicago puis de venir travailler à New-York. :

"En fait, la traversée durait seulement quelques minutes. Ils retrouvèrent les deux autres sur l’îlot et se tapirent dans la végétation, sur le sol sablonneux. Immobiles, ils observaient la rive des États-Unis, si proche qu’ils entendaient la conversation de deux patrouilleurs à bord d’un véhicule dont le puissant projecteur pointait dans leur direction. Plus d’une heure passa de la sorte, sans que l’Expert manifestât la moindre impatience. En vérité, il semblait s’être assoupi, tandis que les autres tremblaient de froid, claquaient des dents et sentaient sur leur peau les insectes et le frôlement des reptiles. Sur le coup de minuit, l’Expert secoua son corps ensommeillé, comme s’il avait une alarme intérieure, et à cet instant précis le véhicule des gardes-frontières éteignit son faisceau. Puis ils l’entendirent s’éloigner.

De ce côté, il y a moins de courant, nous pouvons y aller tous ensemble en barbotant, mais attention, pas le moindre bruit une fois parvenus sur la terre ferme », ordonna-t-il.

Ils entrèrent à nouveau dans le fleuve, cramponnés au pneumatique. Sous le poids des six personnes, il s’enfonçait au ras de l’eau, mais ils le guidèrent en ligne droite. Peu après, ils touchaient le fond et gravissaient le versant marécageux de l’autre bord. Ils étaient arrivés aux États-Unis.

Ils entendirent alors le moteur d’un autre véhicule, mais ils étaient à l’abri de la végétation, hors de portée des projecteurs. »

L’amitié, l’empathie, l’amour sont les valeurs sur lesquelles repose l’unité du trio alors que leur point commun, ils sont « latinos » émigrés aux USA, évoque l’histoire des pays Sud-Américains et aussi l’actualité des flux migratoires entre Amérique du Sud et USA.

 

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3 juillet 2020 5 03 /07 /juillet /2020 09:37

Ce texte est une autobiographie co-écrite par la jeune pakistanaise prix Nobel de la paix 2014, Malala et par Patricia McCormick  qui a aidé à adapter pour un public de jeunes lecteurs une précédente autobiographie,   Moi, Malala, je lutte pour l'éducation et je résiste aux talibans, de Christina Lamb et Malala Yousafzai, publié chez Calmann-Lévy, en

"Je ne lève pas la voix pour pouvoir crier, mais pour que ceux qui n’ont pas voix puissent être entendus, ceux qui se sont battus pour leurs droits :
Leur droit de vivre en paix.
Leur droit à être traité avec dignité.
Leur droit à l’égalité des chances.
Leur droit à l’éducation.

Le 9 octobre 2012, les talibans ont tiré une balle dans le côté gauche de mon front. Ils ont tiré sur mes amies également. Ils ont pensé que les balles feraient taire. Mais ils ont échoué.

Et voilà que, de ce silence se sont élevées des milliers de voix. Les terroristes pensaient qu’ils pourraient changer nos objectifs et mettre fin à nos ambitions, mais rien n'a changé dans ma vie, sauf ceci : la faiblesse, la peur et le désespoir sont morts. La force, la puissance et le courage sont nés. Je suis la même Malala. Mes ambitions sont les mêmes. Mes espoirs sont les mêmes. Mes rêves sont les mêmes.

Un enfant, un professeur, un crayon, un livre peuvent changer la monde."

En somme, une autobiographie à lire et faire lire au collège ou après car elle est édifiante.

 

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28 juin 2020 7 28 /06 /juin /2020 11:19

Soie est roman publié en 1996 et paru en français en 1997, la même année que Novecento : Pianiste que j'ai beaucoup aimé et 18 ans avant Trois fois dès l'aube.

 

Dans ses premières pages, l'auteur présente son héros de façon poétique, certes mais peu engageante quand on commence un roman : "C’était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre.

On aura remarqué que ceux-là contemplent leur destin à la façon dont la plupart des autres contemplent une journée de pluie."

Le sujet, son titre le dit, est la soie : en 1860, Hervé Joncour de Lavilledieu est incité par un étrange personnage aussi ingénieux que généreux nommé Baldabiou à  faire le commerce de vers à soie afin d'approvisionner les sériciculteurs locaux. Il s'approvisionne d'abord en Afrique du nord mais voilà qu'une maladie, la prébine tue les œufs. Baldabiou n'est pas en reste, il conseille à Hervé Joncour d'aller chercher les vers à soie au Japon. Les allers-retours au Japon éloignent chaque année quelques mois Hervé Joncour de sa compagne Hélène. Là-bas, Hervé Joncour achète des œufs de vers à soie à Hara Key dont la jeune maitresse l'intrigue et le fascine. Mais voilà que Pasteur parvient à éradiquer la prébine et qu'au Japon une guerre se déclare.

Dans ce roman, le merveilleux glisse sur le réel comme un voile de soie jusqu'à ce qu'il ne reste plus à Hervé Joncour qu'à cultiver son jardin.

"Le dimanche, il allait jusqu’au bourg, pour la grand-messe. Une fois l’an, il faisait le tour des filatures, pour toucher la soie à peine née. Quand la solitude lui serrait le cœur, il montait au cimetière, parler avec Hélène. Le reste de son temps s’écoulait dans une liturgie d’habitudes qui réussissait à le défendre du malheur. Parfois, les jours de vent, Hervé Joncour descendait jusqu’au lac et passait des heures à le regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessiné sur l’eau, le spectacle léger, et inexplicable, qu’avait été sa vie."

J'ai préféré Nocecento : Pianiste et Trois fois dès l'aube car je trouve que dans Soie, l'exercice de style est un peu trop visible. Soie reste quand même une belle découverte.

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24 juin 2020 3 24 /06 /juin /2020 18:49

Paru en 2011, ce roman m'avait à l'époque attirée et révulsée. Il est des époques de la vie où certains livres heurtent et sont inaccessibles.


Je viens maintenant de le finir. En refermant ce livre, c'est une famille nombreuse qu'il faut quitter, une famille meurtrie par les disparitions prématurées, les secrets trop bien gardés, les séquelles, les non-dits et la résilience. Delphine de Vigan dresse ainsi un vaste panorama de sa famille et plus largement de la famille de sa mère Lucile. Mais cela conduit à s'interroger sur l'écriture elle-même et c'est aussi ce qui fait l'intérêt de ce récit : "Ai-je pris à ma charge, sans le savoir, le désir de Lucile ? Je ne sais pas. Lorsque j’ai publié pour la première fois, je n’ai pas eu le sentiment d’accomplir quelque chose dont elle avait rêvé ni d’être dans le prolongement d’une démarche inaboutie ou inachevée. Lors des échanges que nous avons pu avoir, Lucile n’a jamais établi aucun lien, ni opposition, entre mon désir d’écrire et le sien, et a gardé secrètes la plupart de ses tentatives de publication. Il me semble, pour elle comme pour moi, qu’il s’agissait d’autre chose. [...] Aujourd’hui, ma sœur et moi seules avons accès aux textes de Lucile, à leur douleur et à leur confusion.

 Ces textes me rappellent à l’ordre et me questionnent sans cesse sur l’image que je donne d’elle à travers l’écriture, parfois malgré moi. Lorsque j’écris sa renaissance, c’est mon rêve d’enfant qui ressurgit, ma Mère Courage érigée en héroïne : « Lucile laissa derrière elle ses heures parmi les ombres. Lucile, qui n’avait jamais pu monter à la corde, se hissa hors des profondeurs, sans que l’on sût véritablement comment, en vertu de quel élan, de quelle énergie, de quel ultime instinct de survie. » À la relecture, je ne peux ignorer la mère idéale qui plane malgré moi sur ses lignes. Non contente de s’imposer sans que je la convoque, la mère idéale s’écrit dans un lyrisme de pacotille."

Le titre est issu de la chanson Osez Osez Joséphine d'Alain Bashung, une chanson qui va bien à l'héroïne Lucile.

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3 juin 2020 3 03 /06 /juin /2020 10:35

Dans le hall d’un hôtel, vers quatre heures du matin, alors que le concierge dort, une femme entre. Elle porte une robe de soirée jaune et semble un peu perdue. Sur un fauteuil un homme attend. Le dialogue s’engage, la femme s’obstine à retenir cet homme qui pourtant veut aller travailler : il fabrique et vend des balances ...

De nouveau dans un hall d’hôtel mais moins classe, une nuit, le concierge voit arriver un couple : la fille lui paraît bien jeune et jolie quoique fatiguée mais son compagnon semble rustre et violent. Il leur attribue une chambre mais la jeune femme redescend soit disant pour chercher des serviettes. Elle parle avec le concierge, lui demande de raconter sa vie et s’attarde mais son compagnon s’impatiente. Elle continue pourtant ...

Enfin dans la troisième histoire, encore une nuit dans un hôtel, on retrouve l’homme de la première histoire mais qui est encore enfant. Échapper à l’incendie et ses parents sont décédés dans l’incendie. Une policière est chargée de le garder pour la nuit dans un hôtel miteux. Elle prend pitié et décide de partir avec l’enfant pour lui offrir un refuge plus digne et plus heureux.

Ces trois histoires constituent un ensemble intitulé Trois fois dès l'aube et il se trouve que c'est le récit d'un personnage,  l'Anglo-indien Akassh Narayan  dans Mr Gwyn, publié en 2011. Ces trois histoires tressent des récits dont les personnages, les situations et les lieux se répondent sans être les mêmes. L’auteur parvient alors à nous jouer ce tour de force qui consiste à nous entraîner dans ses histoires sans pour autant nous faire oublier qu’il en est le prestidigitateur. Sa baguette magique une écriture souple, précise, élégante autant que je puisse en juger d’après la traduction de Lise Caillat.

Extrait  choisi :

C’était un hôtel, d’un charme un peu suranné qui avait su probablement, par le passé, tenir certaines promesses de luxe et de raffinement. Par exemple, il avait une belle porte à tambour en bois, un détail toujours propice aux fantasmes.

C’est par là qu’une femme entra, à cette heure étrange de la nuit, apparemment perdue dans ses pensées, à peine descendue d’un taxi. Elle portait juste une robe du soir jaune, plutôt décolletée, sans l’ombre d’un châle sur les épaules : cela lui donnait l’air intrigant de ceux à qui il est arrivé quelque chose. Il y avait une élégance dans ses mouvements, mais on aurait dit aussi une comédienne regagnant les coulisses, libérée de la contrainte du jeu et renouant avec une partie d’elle-même, plus sincère. Ainsi elle avait une manière précise de poser ses pas, un peu fatiguée, et de tenir son minuscule sac à main, prête à le lâcher. Elle n’était plus très jeune, mais ça lui allait bien, c’est le cas parfois des femmes qui n’ont jamais douté de leur beauté.

Dehors, régnait cette obscurité qui précède l’aube, ni la nuit ni le matin.

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