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7 avril 2024 7 07 /04 /avril /2024 13:00

De Philippe Claudel, j'ai beaucoup aimé La Petite fille de M Linh un récit d'une très grande délicatesse mais Le Rapport de Brodeck déjà avait longtemps attendu que je trouve la force de l'aborder tant le sujet, l'illustration de couverture et plus tard le propos me remuaient et voici que Crépuscule, roman paru en 2023, fait un pas de plus vers l'innommable à tel point qu'il ne reste presque plus rien de véritablement humain dans une contrée imaginaire aux portes de notre monde :  meurtres, torture, haine, violence. pogrom, viol, spoliations, rien ne nous est épargné et c'est à désespérer de l'humanité.

D'ailleurs, souvent, les hommes sont décrits comme des animaux : sauf Baraj, "un homme au milieu de l’existence", le Maire est " un magnifique imbécile de l’espèce des dindons", le Médecin " tout chez lui rappelait le chat, de ses moustaches maigres qui se divisaient de part et d’autre du visage pointu en ramifications hérissées, aux yeux en amande, vert et or, et à ses ongles aussi, [...]  étaient étonnamment longs et acérés" ou le Rapporteur de l’Administration qui émet des" gloussements de volaille" " tout en gonflant ses poumons d’air et d’importance." Dans Anima, Wadji Mouawad poussait plus loin encore l'animalisation du monde qui avait perdu toute humanité.

Depuis sa parution il y a un an, beaucoup de choses ont déjà été écrites sur Crépuscules, je ne vais pas les répéter. Cet abécédaire suffira à garder un souvenir de cette lecture :

A L’Adjoint, qui répondait au nom antique de Baraj, était tout encombré de sa personne et en particulier de sa grosse tête couverte d’une chevelure bouclée ras. Il se taisait et jetait avec ses yeux jaunes des regards inquiets vers son supérieur, le Policier, ...

B Baraj n’avait pas pris femme et vivait avec ses deux chiens roux aux yeux piquetés d’or, de forts bâtards à l’allure noble qui tenaient tout à la fois du braque et du rouge de Bavière, et qui étaient aussi silencieux que lui. Les deux chiens formaient une paire inséparable. Si bien que Baraj ne leur avait pas donné un nom à chacun, mais les appelait Mes Beaux.

C Un crépuscule lourd comme mille années de souffrance écrasait son jeune corps jusque-là neuf et pur.

D Lui-même alors devait enfin savoir s’il avait eu raison de consacrer son existence à Dieu, ou s’il avait gâché ses jours pour des fariboles

E  Elle soupirait. Il la prenait là où elle était, sans plus de façon et sans rien lui demander. Porc efflanqué, il venait en elle, soufflant, grognant, tandis qu’elle se laissait faire, muette, soumise et sans joie, continuant à éplucher debout les légumes pour la soupe si telle était sa tâche au moment où il avait surgi.

F Seule la mitoyenneté de la demeure empêcha qu’on y mît le feu mais on badigeonna la façade d’inscriptions ordurières où les mots « assassin » et « impie » dominaient toutes les autres insultes, et de dessins malhabiles où le Prophète Mahomet était caricaturé sous les traits d’un âne.

G On délie les gorges en les rinçant.

Sa Grandeur le Margrave Vitold Vlad Domitien Özle, dix-septième du nom, vingt-deuxième comte de Bessa, onzième prince de Mordochie, chevalier de l’Ordre de la Croix bénie, Commandeur de l’Empire, Stils d’argent des Frères francs, serait honoré de la présence du Capitaine de police Nourio lors de la chasse à l’ours qu’il mènera sur ses terres le dernier vendredi de ce mois.

H Le Commandant, qui était un homme pusillanime, mettait en garde Nourio;

I En particulier, et il s’en étonna plus tard, à aucun moment il ne pensa aux victimes probables de l’incendie.

J Nourio avait toujours vu la vie comme un jeu stupide aux règles floues, qui changeaient sans cesse, et dont l’issue de la partie n’apportait sans doute aucun gain, mais pas de perte non plus d’ailleurs. Un divertissement à somme nulle, dont on peinerait à trouver une signification

K Le Policier prit un petit cigare dans son gilet – des krumme suisses, son seul luxe, qu’il faisait venir de Berne par boîtes de cinquante et qui ressemblaient à des lombrics tortueux.

L Lorsque Nourio avait frappé à la porte, c’était la fillette, Lémia, qui lui avait ouvert.

M Pour l’Adjoint, la jeune fille figurait tout à la fois la sainte, la sœur, l’enfant, la mère, comme si, dans sa féminité à peine éclose, elle unissait toutes les figures, toutes les incarnations de la femme, avec la même grâce et le même inaccessible que les statues d’église ou les peintures sacrées.

N La disparition de Nourio n’affecta pas la petite ville. On pourrait même dire qu’elle soulagea le plus grand nombre des habitants, à commencer par ses édiles.

O On aurait cru soudain que l’assemblée pressée là subissait une de ces métamorphoses que d’antiques poètes ont célébrées et qui conduisent les hommes à prendre des faces de bêtes.

P Trois jours après les funérailles du Curé Pernieg et la procession de repentance, alors que la veille l’Évêque branlant et sa suite avaient levé le camp et regagné T., une main anonyme souilla de sang de porc les portes des quatorze logis, en y barbouillant un approximatif symbole qui ressemblait à un croissant, après avoir attaché un goret à celle de la mosquée et l’avoir égorgé sur place.

Q « Qu’Allah vienne en aide aux brebis égarées ! Ce ne sont pas des menaces. C’est une prière. C’est une sourate du Livre saint.

R Un roman. Un roman de mer et de pirates, car c’était là le paradoxe chez un homme dont la mission était de veiller à la bonne administration d’une contrée continentale éloignée de tout rivage que d’avoir pour choses les plus précieuses dans la vie les mers, les océans, les marées, les grèves, les îles, les grands bateaux aux voiles blanches, les campagnes de pêche, les drames des abysses, les cyclones et les tempêtes, les grains, les embruns, l’odeur du sel et sa morsure, les corps violents des marins et leurs mœurs rudes.

S Les trois autres avaient des têtes de soudards et d’assassins, brutales et couturées de cicatrices dont on pouvait supposer qu’elles étaient les souvenirs de rixes sanglantes ou d’engagements guerriers.

T Tous les débuts sont modestes. Troie. Rome. Mille exemples pour qui se donne la peine de les chercher ! L’Histoire bégaie. Elle est sénile, ou jamais sortie de ses langes. Au choix

U L’usage de la plume, de l’encre et du papier lui procura une sérénité simple qui l’effaçait du moment présent, le décalait dans un autre espace où ni la saison, ni l’heure, ni les faits domestiques, ni les vicissitudes, ni même les variations de son état d’âme n’avaient d’importance.

V  ... car soudain ce qui possédait le Vicaire posséda tous les hommes, femmes, vieux, enfants présents, à l’exception de quelques-uns, du Policier par exemple, qui songea à l’antique légende d’Ulysse et des Sirènes, ou de l’Adjoint dont on apercevait, non loin du baptistère, la haute stature encombrée et dont la stupéfaction ne parvenait pas à oblitérer le bon sens primaire

W « Wifq Allah alshaat aldaala ! « Est-ce que ce sont des menaces ? avait demandé le Policier

X chapitre X où le policier réalise avec effroi que les quatorze stations de la procession correspondent aux quatorze maisons de musulmans.

Y Mes Beaux qui l’accueillaient joyeusement, et leurs grands yeux couleur d’automne, emplis d’amour et de reconnaissance, le contemplaient comme s’il était le centre de l’univers ainsi que son monarque.

Z Et sans doute le Maire et le Rapporteur, tout disposés à faire preuve du zèle le plus veule, confirmèrent-ils leurs informations au Vicaire.

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15 janvier 2024 1 15 /01 /janvier /2024 16:35

Charlie Hebdo libère les femmes, voilà un titre bien présomptueux a priori, mais voilà une compilation d’un demi-siècle d’articles et de dessins qui pèse bien son poids !

C’est un ensemble d’articles de fond qui révèlent l’engagement de Charlie Hebdo concernant l’IVG et le long combat pour l’imposer, la pilule contraceptive et la politique nataliste, le travail des femmes et la maternité, la PMA, l’infanticide et le déni de grossesse, le mariage, le divorce, les crises familiales, les femmes au pouvoir, les femmes et le christianisme, les femmes et les Musulmans, les femmes et le sexe, l’excision, la femme marchandisée mannequin, actrice porno, miss France et autres formes d’exploitations et aussi les mouvements de révolte : “balance ton porc”, “metoo” et la question du consentement, les violences conjugales et le féminicide, la prostitution et les femmes qui marquent leur temps.

Ainsi sur Giséle Halimi, à la fin de l'article de Gérard Briard, on peut lire cet hommage : L'universalisme et la loi étaient d'ailleurs au coeur du combat qu'elle menait depuis 2006 à la tête de son association, Choisir la cause des femmes (fondée en 1971) : la "Clause de l'Européenne la plus favorisée". Concrètement, il s'agit de piocher dans la législation des 28 pays membres de l'UE les lois les plus avancées dans cinq domaines qui couvrent la vie d'une femme - le choix de donner ou non la vie (éducation sexuelle, contraception, avortement ) ; la famille (mariage, divorce) ; le travail (égalité professionnelle et salariale, retraite) ; les violences faites aux femmes ; et la représentation en politique_ et de faire bénéficier chaque citoyenne européenne de ce "bouquet législatif" . Un projet d'égalité qui n'a que foutre des "identités', des "cultures" et des "ressentis". Pas très woke, tout ça, Mme Halimi...

Sur tous ces sujets, des dessins et caricatures bousculent, remuent, choquent pour bien marquer les esprits, signés Cabu, Tignous, Catherine, Wolinski, Riss, Coco, Biche, Jul. Luz, Honoré, Reiser, Félix, Willem, Zorro… En somme, un recueil d’une richesse inouïe, impossible de l’épuiser, mais quel plaisir d’y picorer ici un texte, ici un dessin au gré des envies ou des recherches.

Charlie Hebdo libère les femmes, voilà un titre bien présomptueux a priori, mais voilà une compilation d’un demi-siècle d’articles et de dessins qui pèse bien son poids !

extrait choisi :

 

 

 

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8 octobre 2023 7 08 /10 /octobre /2023 20:51

J’ai beaucoup aimé cette lecture.
Bretonne, je connais Belle-ile-en-Mer, les vestiges de la colonie pénitentiaire et quelques éléments de son histoire et j’avais déjà lu Paroles de Prévert et le magnifique poème « La chasse à l’enfant » et j’ai lu récemment Les mal aimés de JC Tixier.
C’est avec cet arrière-plan que j’ai lu et apprécié ce roman.


En effet, l’auteur connaît bien l’enfance maltraitée puisqu’il en a été victime et c’est avec ce regard particulier qu’il fait vivre celui que l’on surnomme « la Teigne » prisonnier des hauts murs de la colonie pénitentiaire, des gardiens, des gaffes ou surveillants et de l’île entourée par l’océan ! Avec lui, on observe la violence entre colons et de la part des gardes et on découvre le raffinement dans l’invention des sanctions : le bal notamment.
Mais Chalandon connaît aussi particulièrement bien par sa jeunesse et par ses relations avec les combattants d’Irlande du Nord le sujet de la révolte et il décrit ici la révolte des colons en 1934 après une sanction totalement disproportionnée à la faute : un colon avait mangé son fromage en premier au lieu de suivre l’ordre du repas ! Absurdement, les enfants profitent pour franchir le mur, oubliant qu’ils sont prisonniers de l’océan ! Tous sont capturés dès le lendemain grâce aux secours des « braves gens », belle-îlois et touristes, lancés aux trousses des enfants pour 20 francs de récompense ! Tous, sauf un : Jules Bonneau  (clin d’œil aux anarchistes) alias la Teigne.
Enfin, l’auteur est journaliste, ce qui donne un roman extrêmement bien documenté sur les journaux, les courants politiques, la marine à voile, les traditions des morbihannais, le travail de faiseuse d’anges et les risques encourus pour cette pratique illégale.
J’ai trouvé très touchante l’amitié qui unit le héros avec son patron et avec l’équipage du Sainte-Sophie. Cette amitié amène le héros à desserrer son poing pour serrer une main, à remiser « la Teigne » pour assumer son nom, Jules Bonneau.
En somme, un très bon roman, riche, émouvant, documenté.
Extrait :  Je l’ai regardé une fois encore. Sa tête de piaf. Son regard tombé du nid. Au pied des deux échelles, ils n’étaient plus que trois. Loiseau m’a donné une bourrade dans l’épaule.
— Allez, on y va, Bonneau !
Sans plus attendre, il a saisi le cordage qui pendait. Et il a commencé à descendre, sans me quitter des yeux. Il grimaçait de douleur.
— Allez viens, merde !
J’ai craché dans l’obscurité.
— Regarde-toi ! Tu ne pourras même pas marcher.
— Je n’ai pas le choix.
La sirène a repris. Il était dans l’herbe, une joue posée contre la corde.
— C’est trop tard, Bonneau. Tu as vu les dégâts ? On va le payer très cher !
Il avait raison, je le savais. Nous allions le payer. Mais pourquoi s’évader ? S’évader où ? Personne n’avait jamais eu l’intention de s’évader. Seulement avoir un peu de temps en plus. Voler quelques heures pour nous. Et puis leur faire mal. Que la peur change de camp.

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1 octobre 2023 7 01 /10 /octobre /2023 12:16

Extrait : De chaque déchirure naît une étincelle, de chaque faille, naissent des merveilles, alors il est pris dans un cycle paradoxal : construire son art ou se détruire. Car il est ainsi fait. Staël est un homme de rupture. Il ne se retourne jamais.

Ce texte est présenté comme le roman d’un chef-d'œuvre. Il a en effet pour sujet central le dernier et très grand tableau (3m 50 x 6 m) de Nicolas de Staël « Le Concert ». Le récit part du dernier jour de la vie du peintre qui venait de passer la journée à peintre ce tableau "immense et rouge" avant d’abandonner et de se jeter dans le vide.
En remontant le temps, le récit s’attarde sur la passion de Nicolas de Staël pour Jeanne, ex-maîtresse de René Char et motif de la brouille de ces deux hommes qui avaient tout pour s’entendre. Le jour de son suicide, le jeune peintre est seul, ni Jeanne, ni Françoise, sa deuxième épouse, ne viendront. Le tableau reste inachevé. À 41 ans, l'artiste, en plein succès, renonce à la vie.

C'est que Nicolas de Staël se moque bien du succès de ses œuvres chez les galeristes new-yorkais et de leurs exigences de tableaux non figuratifs : Le Concert est un tableau figuratif, le piano noir, la partition et même le violoncelle sont bien identifiables. Et le peintre étale autour un rouge lisse, sans mouvement, ce rouge qui "avait envahi [son] esprit alors qu'il assistait à un concert de Webern le week-end" précédant.

Or ce rouge ne serait-il pas celui des lueurs de l'incendie et de la colère du peuple russe de 1917 sous les fenêtres de la famille de Staël sur la perspective Nevski de St Petersbourg ? Nicolas de Staël est en effet issu d'une famille de l'aristocratie russe, proche du tsar Nicolas 1er. Sa mère avait beau jouer du piano pour ses enfants, la fuite était inéluctable. Les parents de Nicolas n'y survivent pas longtemps, mais les enfants ont la chance d'être recueillis dans une famille bienveillante et riche à Bruxelles. Pourtant, dès ses 18 ans, Nicolas de Staël quitte ce cocon pour une vie de bohème où il entraine sa première épouse qui n'y survivra pas.

Le roman retrace ainsi l'existence tumultueuse du peintre en quête d'une explication de ce tableau. La bibliographie donnée en fin de l'ouvrage illustre le sérieux de la recherche. Des textes de Stéphane Lambert, Edouard Dor, Anne de Staël et Laura Greilsamer apportent pour finir des "regards croisés"    

Cette lecture m'a passionnée, d'une part car j'ai eu l'occasion d'étudier ce tableau avec des étudiants

 et d'autre part car  j'espère aller voir bien l'exposition Nicolas de Staël au musée d'arts modernes de Paris

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23 avril 2023 7 23 /04 /avril /2023 16:54

"Les paumes à bourrelets de Lili, les moignons déformés de la mère Aldonza, les doigts durs de Charlotte Peloux avaient saisi ses mains, ses manches, son sac de mailles d’or. Elle s’arracha à toutes ces pattes et réussit à rire encore avec un air taquin : « Non, c’est trop tôt, ça gâterait tout ! c’est mon secret !… » Et elle s’élança dans le vestibule. Mais la porte s’ouvrit devant elle et un ancêtre desséché, une sorte de momie badine la prit dans ses bras : « Léa, ma belle, embrasse ton petit Berthellemy, ou tu ne passeras pas ! » Elle cria de peur et d’impatience, souffleta les os gantés qui la tenaient, et s’enfuit."

 

 

Cette scène est pour Léa, héroïne de Chéri, un véritable cauchemar. Elle se déroule peu après le mariage de Chéri, son jeune amant depuis quelques années. Le jeune homme a 25 ans, sa jeune épouse 19 ans or Léa, encore belle et fine pourtant, en a déjà 50 et fuit dans le passage ci-dessus la compagnie de ses amis dont la laideur liée à l'âge lui renvoie l'image de ce qu'elle voudrait éviter. Avec Chéri, même s'il la traitait avec désinvolture, elle s'était toujours sentie jeune et belle. Lui parti, elle tente de donner le change en prétendant avoir un secret, mais c'est vain, elle languit et tremble de vieillir. Lorsqu'il lui revient, une nuit, et qu'ils se disent combien ils s'aiment, mieux vaut qu'il ne revienne pas.  Il ne faut pas gâter le charme.

Ce roman, publié en 1920, a suscité de nombreuses conjectures sur sa dimension autobiographique, mais est-ce si déterminant ? La finesse du traitement des personnages, la délicatesse de leur psychologie, la richesse et la précision et la poésie de la langue de Colette sont des atouts indiscutables      

 

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12 février 2023 7 12 /02 /février /2023 15:55

La pièce reprend l'histoire de l'empereur romain assez fidèlement mais Camus en fait une œuvre littéraire et philosophique au service de sa théorie de l'absurde.

Je présente ici cette pièce très célèbre à travers quelques citations choisies :

"Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux" I4

" tout, autour de moi est mensonge et moi, je veux qu'on vive dans la vérité. Et justement, j'ai les moyens de les faire vivre dans la vérité." I4

"Je n'ai pas tellement de façons de prouver que je suis libre." II9

"On est coupable parce qu'on est sujet de Caligula." II9

" Et près des femmes que je caresse, quand la nuit se referme sur nous et que je crois, éloigné de ma chair enfin contentée, saisir un peu de moi entre la vie et la mort, ma solitude entière s'emplit de l'aigre odeur du plaisir aux aisselles de la femme qui sombre encore à mes côtés"II 14

"Pour un homme qui aime le pouvoir, la rivalité des dieux a quelque chose d'agaçant. J'ai supprimé cela. J'ai prouvé à ces dieux illusoires qu'un homme, s'il en a la volonté, peut exercer, sans apprentissage, leur métier ridicule." III 2

 "On ne comprend pas le destin et c'est pourquoi je me suis fait destin" III 2

" Je sais d'avance ce qui me tuera. Je n'ai pas encore épuisé ce qui peut me faire vivre" III3

" Je crois que toutes [les actions] sont équivalentes" III 6

" Aimer un être, c'est accepter de vieillir avec lui. Je ne suis pas capable de cet amour"   IV 13

" On croit qu'un homme souffre parce que l'être qu'il aime meurt en un jour. Mais sa vraie souffrance est moins futile : c'est de s'apercevoir que le chagrin non plus ne dure pas. Même la douleur est privée de sens" IV 13

" Me voilà encore plus libre qu'il y a des années, libéré que je suis du souvenir et de l'illusion." IV 13

"Cette logique implacable qui broie des vies humaines pour parfaire enfin la solitude éternelle." IV 13

" Je n'ai pas pris la voie qu'il fallait" IV 14  

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16 octobre 2022 7 16 /10 /octobre /2022 15:08

Clara lit Proust est le récit d’une épiphanie : la découverte de La Recherche du temps perdu par Clara jeune coiffeuse du salon chez Cindy à Chalon sur Saône, épouse d’un pompier est pour elle une révélation lumineuse. Sa vie tout entière s’en trouve bouleversée. Rien pourtant ne semblait l’y préparer. On peut lire ce livre comme une apologie du pouvoir de la lecture et surtout comme une épiphanie : « L’affaire est de se libérer soit même : trouver ses vraies dimensions, ne pas se laisser gêner » est la citation de Virginia Woolf que l’auteur place en exergue.

Mais ce serait oublier Proust, omniprésent dans ce livre. Les personnages du salon, la patronne Mme Habib, la collègue Nolwenn, le collègue Patrick mais aussi la voisine du bar tabac Lorraine et bien sûr les clientes, Claudie en particulier, semblent avoir une sorte de lointaine parenté avec la duchesse de Guermantes, la tante Léonie, Odette, Charlus, Swann et les autres. C’est comme si le regard de Proust sur les êtres se portait aussi sur ces personnages modernes. Un entrelacs se dessine peu à peu entre le monde de Clara et celui de Proust dont des extraits de textes sont régulièrement cités, lus par Clara. Pourtant au contraire de l’écriture de Proust, l’auteur privilégie ici les chapitres courts voire très courts, les phrases brèves alors même que la longueur et la complexité des phrases de Proust est maintes fois rappelée, au début comme un frein à la lecture puis comme une trace de l’extrême précision de ses évocations. Proust est mort le 18 novembre 1922, bientôt 100 ans mais on voit bien ici qu'il n'a pas disparu.

Tout cela donne à ce roman l’effet d’une petite friandise qu’on aurait bien tort d’ignorer.

Extrait choisi : « Mme Habib dans son salon à neuf heures du matin ressemble à une femme jouant au casino le samedi soir. Chemisier de soie havane ou léopard, bracelet faisant cliqueter ses moindres gestes et Shalimar, beaucoup de Shalimar, tellement de Shalimar que le parfum, imprégnant l’endroit, en est devenu la marque autant que son carrelage blanc à effet marbré ou les deux notes de son carillon à l’entrée. Son maquillage excessif accentue l’expression de fatigue de ses yeux sortant légèrement de leurs orbites. Sa voix est enrouée, cassée par la cigarette comme à la fin d’une journée passée à attendre. Son teint est bistré par la poudre autant que les séances sous les lampes, Madame Habib est accro au bronzage ( aux beaux jours, à la pause déjeuner, il n’est pas rare de la voir, place de la Libération, assise à un bout de banc pas encore à l’ombre, déguster sa salade de riz, le visage offert au soleil). »

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29 mars 2022 2 29 /03 /mars /2022 21:24

C'est un tout petit recueil plein de malice et de fantaisie où les traits se succèdent sans ordre apparent dans un méli-mélo d'aphorismes aigres-doux tantôt drôles, tantôt plus graves mais toujours spirituels. "Tentative fragmentaire de compter sur soi jusqu'à l'infini" annonce le sous-titre du recueil mais tout de même, quelle mouche a piqué Olivier Cousin  de nous écrire d'outre-tombe ? "Je suis mort depuis trois ans déjà et je me sens bien, merci.", ironise-t-il au début du recueil.  Heureusement ce "je est un autre", je le sais !

extraits choisis :

défaite
Remonter le temps ? La pente, interminablement est un cul-de-sac.
Tuer le temps ? C'est une victime inaccessible et un ennemi imbattable.
Gagner du temps ? Ici ce serait perdre le soin.
Prendre son temps ? Mais à qui le donner ?
Tous nos voisins en ont autant que nous à faire fumier.

dissertation
Vivre sous un tas de pierres. Mourir sous un tas de pierres. Quelle différence cela fait-il ? Je vous laisse méditer là-dessous. Déposer sa réponse sous le bénitier. Je la lirai quand j'aurai un temps mort.

logique
Puisque presque tout le monde naît en pleurant, presque tout le monde devrait mourir avec le sourire.

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24 janvier 2022 1 24 /01 /janvier /2022 22:05

Sorj Chalandon a obtenu en 1988 le prestigieux prix Albert Londres de la presse écrite alors qu’il venait de couvrir le procès Barbie en 1987 en tant que chroniqueur judiciaire de Libération. Plusieurs prix littéraires ont aussi émaillé son parcours d’écrivain dont en 2015 le prix du style de l’OBS pour Profession du père, œuvre où il dévoilait sa famille et tout particulièrement son père, un homme fantasque, mythomane et violent. La biographie de l’auteur nous apprend qu’il s’est émancipé dès 17 ans alors que la majorité n’était alors qu’à 21 ans. Or en 2020, six ans après la mort de son père, Sorj Chalandon peut accéder au dossier de son père à la cour de justice de Lille, conservé aux archives départementales du Nord.

Ce roman paru en août 2021 est la conjonction de ces trois éléments : le héros vient de découvrir grâce à un ami le dossier de son père à la cour de Justice de Lille et il s’efforce d’obtenir de son père des aveux ou pour la première fois la reconnaissance de la vérité. Au même moment, il est chroniqueur judiciaire au procès Barbie auquel son père assiste en se faisant passer pour un résistant, lui qui avait été condamné comme collabo ! Ce sont les deux fils qui constituent la trame du roman.

Le roman doit son titre aux paroles adressées un jour au narrateur enfant. Ce sont ces paroles qui déclenchent son besoin impérieux de connaître la vérité sur le rôle joué par son père pendant la guerre. Personnellement, j’ai surtout été intéressée par le procès Barbie dont je ne connaissais pas grand chose. Chalandon retrace le procès dans le détail, nous fait entendre les témoins et victimes et avec eux les horreurs sans nom des tortures infligées par les nazies, nous fait voir l’accusé immobile et silencieux ou absent, jusqu’au moment où il reconnaît comme faits de guerre ce qui lui est reproché vis à vis des résistants mais refuse de reconnaître tout autre fait, ce qui lui a permis durant la guerre froide d’être recruté par les Américains. On assiste aussi à la plaidoirie de défense assurée par Jacques Vergès qui pour défendre l’accusé remet en question certains témoignages qui pourtant imposaient juste le silence, puis rappelle que la France coloniale a elle aussi commis des horreurs.

Ce qui m’a semblé préoccupant car en écho avec l’actualité, c’est la sortie du tribunal de Vergès et de ses associés. Dehors, une foule les accueille avec menaces de mort et propos racistes. Verges est même traité de « SS » … juste après cette horrible litanie de témoignages des horreurs commises par Barbie ! Ces excès de la vindicte populaire sont particulièrement inquiétants.

Alors, c’est vrai, le propos est si fort que j’en oublie de parler du talent de l’écrivain : je suis une fidèle de Chalandon dont j’ai lu presque tous les livres, celui-ci est de la même patte. Dommage qu’il ait été retiré de la liste des Goncourt des lycéens car même si Le Quatrième mur avait déjà remporté ce prix, Enfant de salaud dit ce qu’il est nécessaire que la jeune génération connaisse.

Extrait choisi : « Vergès a été assailli. [...]

Ça a été le vacarme. La colère s’est ruée en hurlant sur le groupe. Avocat, policiers, journalistes, tous pourris. « À mort ! » Voix d’hommes, de femmes, hurlements, coups de poing donnés au hasard.

— Vergès SS ! ont scandé des inconnus.

J’ai été bouleversé. Au crépuscule de ce procès, j’avais cru que les mots étaient retournés à leur place. Que le crime de Klaus Barbie ne désignerait jamais rien d’autre que le crime de Klaus Barbie. Qu’aucun flic, même la pire des ordures, ne serait jamais plus traité de SS. Et qu’aucun avocat ne serait jamais comparé à celui qu’il avait défendu. J’avais eu tort. Ce fut la curée. Les policiers ont sorti leurs matraques. Ils ont tapé à l’aveugle. Les journalistes, badgés d’orange, ont été traités de complices.

Dans la nuée, il y avait des femmes, des hommes, des jeunes, des plus vieux emmêlés. Certains étaient dans la salle d’audience au moment des débats, d’autres arrivaient de la rue, appâtés par l’événement. [...]Au passage de l’avocat africain, une gamine a imité le piaillement du singe. La foule était portée par son déchaînement. ”

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17 juin 2021 4 17 /06 /juin /2021 11:23

Ce roman écrit en anglais en 2019 et traduit et publié en français en 2020, nous transporte dans le comté du Hampshire dans les années 30. Il prend appui sur des réalités historiques avérées : le personnage de Louisa Pesel, brodeuse pour la cathédrale de Winchester et ses broderies, l'art campanaire et ses subtilités mais aussi cette réalité de l'entre deux guerres où les familles restaient meurtries des disparitions de leurs pères, fils, maris, fiancés  ou frères et où les jeunes filles ne trouvaient pas de mari, car la population masculine était décimée tandis qu'un certain Hitler gravissait les marches vers le pouvoir en Allemagne.

C'est dans ce contexte que nous suivons la jeune Violet, déjà 38 ans mais "femme excédentaire", sans époux. Avec elle, c'est l'émancipation de la femme que nous suivons : elle rencontre des hommes lors de ses sorties "Sherry", elle fume, elle travaille comme dactylo et ne craint pas de formuler revendications et suggestions d'amélioration à son patron, elle a quitté la maison familiale pour s'installer dans une pension à Winchester et elle sait résister aux prières insistantes de son frère de rentrer pour veiller sur leur mère au caractère irascible. Elle sort de son isolement en rejoignant le club des brodeuses de Louisa Pesel, prend des vacances pour se lancer dans une randonnée en autonomie malgré la menace d'une sorte d'homme des cavernes nommé Jack Well. Elle s'est éprise d'Arthur, un sonneur de cloches, c'est un homme marié qui pourrait être son père, le scandale menace. Puis elle élève leur enfant en mère célibataire, occupant la maison familiale de Southampton rebaptisée "maison du péché" par les voisins, avec ses amies, Gilda et Dorothy qui forment un couple, bravant, elles aussi, les qu'en-dira-t-on.

"Per angusta, ad augusta" dirait la prof de latin Dorothy !

Est-ce parce qu'il est si anglais ou parce qu'il tourne sans cesse autour des questions de mariage, de famille et de femmes en quête d'indépendance, ce roman rappelle par bien des aspects les romans de Jane Austen pour notre plus grand plaisir.

Extrait choisi : "Pour Violet, la broderie était comparable à la dactylographie, en plus satisfaisant. Il fallait se concentrer, mais une fois qu'on était suffisamment experte, on trouvait son rythme et on ne pensait plus qu'à l'ouvrage qu'on avait devant soi. La vie se résumait alors à une rangée de points bleus qui se muaient sur la toile en une longue tresse, ou à une explosion de rouge qui se transformait en fleur. Au lieu de taper des formulaires pour des gens qu'elle ne verrait jamais, Violet faisait grandir sous ses doigts des motifs aux couleurs éclatantes."

 

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