Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 octobre 2023 4 12 /10 /octobre /2023 20:28

Avant de lire ce livre, je savais qu'il était potentiellement et même probablement primé ou multiprimé. La lecture a donc été l'occasion de découvrir son sujet :  le viol de l'autrice pendant environ sept ans de son enfance, régulièrement et en de multiples lieux par son beau-père !

C'est évidemment un sujet choc, très dur ! depuis le Voyage dans l'Est de Christine Angot, je m'étais dit que j'éviterais à l'avenir ce type de livre.  Mais Triste Tigre n'est pas un récit de vie, bien plus, il s'agit d'un essai lyrique dans lequel nous découvrons sans ménagement les horreurs du viol mais bien plus. L'autrice ne cesse de se poser des questions sur son prédateur et sur les prédateurs, sur elle-même et sur les victimes, sur les conséquences pour les uns et les autres, sur les causes... Elle convoque pour cela un très grand panel d'exemples littéraires, cinématographiques ou empruntés à la réalité et cela permet d'éviter les conclusions simplistes. En particulier, elle s'attarde sur Lolita de V Nabokov, mais aussi sur Le Voyage dans l'Est de C Angot, A ce stade de la nuit de M de Kerangal et beaucoup, beaucoup d'autres comme pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé et ce qui lui arrive. Construit sur un système de point contrepoint, c'est un essai lyrique tout à fait intéressant d'un point de vue littéraire et aussi du point de vue du traitement du sujet.  

Extrait :

Raisons que j’ai de ne pas vouloir écrire ce livre

1) Ne pas se spécialiser dans l’écriture sur le viol.

2) A priori, je me méfie des livres qui ont des sujets, et là, difficile d’y échapper. Comment écrire quelque chose de neuf, d’esthétiquement valable si on est écrasé par le sujet ?

3) J’aimerais faire autre chose, j’aimerais penser à autre chose, avoir une vie qui ait un autre centre.

4) Plein de livres chaque année sont écrits là-dessus par des survivantes et des survivants. Surtout des fictions. Dès que je tombe dessus je les feuillette. Ils sont parfois très bien écrits, parfois mauvais. Je les lis avec le même œil. Je cherche la description précise des faits. Je veux savoir ce qu’il lui a fait exactement, combien de fois, où, ce qu’il disait, etc. Je déteste l’idée que quelqu’un ouvre ce livre et cherche ce qu’on m’a fait exactement, où on m’a mis la bite, et le referme après sans y avoir rien trouvé d’autre que cette bizarre constatation.

5) Je ne suis pas sûre de pouvoir apporter quoi que ce soit aux victimes, aux proches de victimes, aux agresseurs ni même à ceux qui veulent mieux comprendre le sujet.

6) Je ne suis pas sûre que ce livre m’apporte quoi que ce soit à moi, en tant qu’être humain, ni en tant qu’écrivaine.

7) Je ne crois pas à l’écriture comme thérapie. Et si ça existait, l’idée de me soigner par le livre me dégoûte. Si ce n’est ni pour les autres ni pour moi, alors à quoi bon ?

Partager cet article
Repost0
9 juin 2022 4 09 /06 /juin /2022 18:41

Annie Saumont était une nouvelliste hors pair, j'aime la retrouver de temps à autre.

Dans cette nouvelle publiée en 2002 aux éditions Joëlle Losfeld, Annie Saumont tient en haleine ses lecteurs jusqu'au bout mêlant les lieux et les époques dans le récit autobiographique de sa narratrice. Celle-ci tisse des liens arachnéens entre l'histoire de la Renaissance espagnole, le souvenir de quelques jours de sa jeunesse, le présent d'un voyage en voiture avec des inconnus mais aussi entre le bleu et le jaune des cirés des hippies, le rouge des gouttes de sang, le noir de la nuit ou de l'inquisition. A la fin du récit, le lecteur réalise que depuis le début, la narratrice le mettait sur la voie mais entre son récit et le récit enchâssé, sa sagacité est mise à l'épreuve. C'est que la vérité n'était pas facile à dévoiler. Le titre de la nouvelle est pourtant à lui seul tout un programme.

Extrait qui révèle aussi la beauté du texte : "A Madrid, le jeudi matin, ciel de nacre, un soleil fou. Ça avait commencé ainsi. Nous avions déposé les bagages dans un hôtel de la Calle Mayor. Mon frère semblait impatient de partir en promenade. Nous étions allés  un peu au hasard jusqu'au bord de l'étroit Manzanares et bientôt nous franchissions les grilles de la Casa del Campo. Le peuple de la ville déambulait autour du lac parmi les taillis des buttes, entre les arbres à présent clairsemés de ce qui avait été autrefois la chasse de Felipe II."   

Partager cet article
Repost0
16 février 2022 3 16 /02 /février /2022 19:25

Dans ce roman publié en 2008, l'auteur conjugue, comme il aime le faire, mythe, fiction et réalité.

Ici, le jeune bagdadien Saad est le héros d'une Odyssée qui le conduira comme son modèle chez les Lotophages, chez Circé, chez Nausicaa ou chez les Sirènes même si son parcours consiste à quitter son pays d'origine L'Irak de Saddam  pour gagner l'Angleterre ... d'Agatha Christie, à l'inverse d'Ulysse qui rentrait vers son île, Ithaque. Derrière ce chassé-croisé, on perçoit l'enjeu didactique du roman qui se confirme lors des interventions du fantôme du père de Saad pour guider et conseiller son fils (je trouve vraiment très lourdes ces interventions du fantôme) et dans les multiples références au réel : la dictature de Saddam, l'embargo, les guerres du Golfe, la guerre civile en Irak, la montée de l'islamisme, les mafias de tous pays qui s'alimentent de la misère, la bureaucratie absurde des Nations Unies, les centres de rétention, le pitoyable accueil des migrants en Angleterre. En somme, la fiction se fait support d'une vaste observation critique de la réalité.

Certains personnages pourtant se détachent et parmi eux Léopold, ce jeune homme rencontré à Palerme : il vient de Cotes d'Ivoire et veut rejoindre Paris mais n'a pas du tout envie de devenir français, les Européens, à ses yeux sont avides de guerres et de malheurs.   Boubakar aussi est un personnage intéressant : Il a fui le Libéria de Charles Taylor et doit supporter au Caire le racisme contre les noirs mais il a une maturité qui lui permet de mettre Saad en garde : les Nations Unies ont besoin du spectacle de la misère mais la pauvreté ne les intéresse pas. Quelques invraisemblances ou faits improbables nous ramènent aussi à la fiction : Leila, donnée comme morte suite aux bombardements de Bagdad en fin de chapitre 2 réapparait chapitre 13 avant d'être rapatriée à Bagdad, Saad rêve de s'évader du centre de rétention de Malte mais se réveille en réalisant qu'il rêvait dans le chapitre 9 or dans le chapitre 10 on la retrouve sur un bateau faisant cap sur la Sicile, un officier italien entreprend de développer devant Saad une théorie de l'élargissement des frontières avant d'aider Saad à s'enfuir. 

Ces personnages, ces coïncidences surprenantes donnent du relief à ce récit qui pêche trop souvent par l’excès de didactique à mon goût.

Extrait choisi :

— Sois lucide, l’ami. Les Européens adorent les massacres, ils raffolent des bombes et de l’odeur de la poudre. La preuve ? Tous les trente ans ils font une guerre, ils ont du mal à patienter plus. Même en temps de paix, ils n’aiment que la musique militaire ; quand le tambour résonne et que le clairon attaque leurs hymnes nationaux, ils ont les larmes aux yeux, dis, ils se mettent à pleurer, ils débordent de sentiments, on croirait qu’on leur fait écouter une chanson d’amour. Non, c’est clair, ils aiment la guerre, le combat, la conquête. Et le pire, sais-tu pourquoi les Européens font la guerre, tuent, se tuent ? Par ennui. Parce qu’ils n’ont pas d’idéaux. Ils font les guerres pour se sauver de l’emmerdement, ils font les guerres pour échapper au désespoir, ils font les guerres pour se régénérer.
     — Tu exagères. L’Europe vit en paix depuis soixante ans.
     — Justement ! Ils se sont trop longtemps éloignés de la guerre : aujourd’hui leurs jeunes sont au bord du suicide, leurs adolescents courent après les moyens de se supprimer.

 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2020 4 16 /07 /juillet /2020 14:04

Auteur chilien né en 1949 et décédé cette année, Luis Sépulveda a publié en 1989 ce roman qui a pour cadre l'Amazonie. Alors qu'il était exilé à Hambourg depuis 1977, il participe à une expédition organisée par l'UNESCO en Amazonie. Il séjourne six mois chez les Indiens Shuars. Lors de la publication de ce roman en France en 1992, j'ai l'ai étudié avec des élèves de 2nde et nous avions rencontré l'auteur au festival Etonnant voyageur !

Antonio José Bolivar est un indien qui a émigré de son village de la montagne équatoriale avec sa femme Dolores Encarnnacion, attiré par les promesses faites par le gouvernement : recevoir des terres et de l'aide technique pour coloniser la forêt.

Comme les autres colons qui ne savent ni classer, ni pêcher, il est incapable de s'adapter à ce milieu hostile. Au bout de deux ans, sa femme meurt et à partir de ce moment-là, il vit seul dans la forêt et peuple sa solitude en lisant des romans d'amour.

Pour s'intégrer à cette région, Antonio José Bolivar a compris qu'il devait la connaître et que d'abord, il devait comprendre ses habitants. C'est pourquoi il a appris à chasser et à pêcher avec les Shars.  Il s'est habillé comme eux et a évité le contact avec les autres colons. Alors qu'il avait détesté la forêt dont il voulait se venger en y mettant le feu car elle était responsable de la mort de sa femme, victime de la Malaria, il a appris peu à peu à connaître la forêt jusqu'à se rendre compte qu'elle le rendait heureux. Il faisait exactement ce qu'il voulait, n'était contraint à aucun horaire, aucune obligation matérielle. Il ne se sentait pas obligé de vivre en communauté, il décidait seul s'il voulait voir les indigènes ou rester seul.

Mais la nature chez Sépulveda n'est pas le paradis. Elle isole : les sentiers sont vite rendus impraticables par la végétation, le dentiste Rubicondo Loachamin ne vient que deux fois par an et apporte au vieu de nouveaux livres . Elle est inhospitalière et malsaine : les pluies diluviennes transforment le sol en marécage, la culture est impossible, les moustiques, la  chaleur et l'humidité provoquent la Malaria. Elle est dangereuse : l'ocelote tue quatre personnes  en cinq jours, les ouistitis tuent un homme, un serpent X a failli tuer Antonio José Bolivar.

Comme le monde des hommes incarné par le maire, est encore plus hostile, le vieux se réfugie dans les romans d'amour, seul rempart contre la "barbarie humaine"

 

 

Voici l'épilogue : "Malgré sa maigreur c’était une bête superbe, une beauté, un chef-d’œuvre de grâce impossible à reproduire, même en imagination.

Le vieux la caressa, oubliant la douleur de son pied blessé, et il pleura de honte, se sentant indigne, avili, et en aucun cas vainqueur dans cette bataille.

Les yeux brouillés de larmes et de pluie, il poussa le corps de l’animal jusqu’au bord de la rivière et les eaux l’emportèrent dans les profondeurs de la forêt, vers les territoires jamais profanés par l’homme blanc, vers le confluent de l’Amazone, vers les rapides où des poignards de pierre se chargeraient de le lacérer, à tout jamais hors d’atteinte des misérables nuisibles.

Puis il jeta rageusement le fusil et le regarda s’enfoncer sans gloire. Bête de métal honnie de toutes les créatures.

Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes."

 

 

Partager cet article
Repost0
4 mai 2020 1 04 /05 /mai /2020 09:17

Je me suis laissé séduire par le titre, plein de promesse et par le sujet, l'amitié entre deux hommes qui ont marqué le XXe siècle, Marx et Engels. Comment interpréter le titre ? Est-ce à dire que dans la relation de ces deux hommes bat le cœur du monde et que son avenir en dépend ? Ce serait faire peu de cas de quelques autres grands noms qui ont pu incarner le cœur battant du monde. Mais surtout ce qui frappe dans ce roman, c'est qu'il retient de ces deux hommes la petite histoire, la vie privée, les motifs de scandale : Marx a eu un fils de la bonne de sa femme, une comtesse, Engels pourvoyait à tous ou presque les besoins matériels de Marx et de sa famille, Engels était en ménage avec une ouvrière d'origine irlandaise après l'avoir été avec sa sœur à moins qu'ils n'aient fait ménage à trois comme le dit le roman ... A vrai dire, malgré l'impressionnante somme documentaire consultée par l'auteur pour écrire ce roman, je trouve qu'il déçoit en focalisant sur les scandales de la vie privée quand il y a tant à dire.

Toutefois l'arrière-plan historique m'a bien plu : on découvre l'Angleterre industrieuse, complètement dépendante de la culture du coton en Amérique à tel point que la guerre de Sécession en Amérique provoque une terrible crise économique, les filatures et les teintureries fermant à tour de rôle. On découvre ensuite la reprise économique tout aussi soudaine lorsque les Nordistes américains ont vaincu les Sudistes. L'exode des irlandais victime du mildiou qui les a menés à la famine, puis à la misère dans les banlieues de Londres, leur engagement dans la guerre de Sécession, leur retour ensuite pour réclamer l'indépendance de l'Irlande sont des sujets forts intéressants et plutôt bien traités dans ce roman. Les personnages de pure fiction que sont Malte, Charlotte et dans une certaine mesure Freddy et les personnages historiques de 2nd plan comme Lydia ou Tussy tiennent en haleine le lecteur. En somme, le caractère le plus romanesque.

"La victime n’est qu’une pauvre fille. Ses bras sont secs et minces. Ses jambes ont si peu de gras qu’il sent les os à la moindre pression des doigts. Elle mange moins qu’à sa faim et fait plus que son corps.

Extrait du début du roman :  "Malte lui murmure qu’il va l’aider, qu’elle ne doit pas s’inquiéter. Il sait qu’en plaçant bien sa voix, au point subtil logé au fond de chaque patient, entre la confidence et l’ordre, il peut faire des miracles. La médecine commence là. Par le ton et le timbre. Les mots tuent, c’est connu. Ils peuvent aussi guérir quand ils sont bien dits.

La victime ouvre les yeux. Elle est déboussolée et cherche mollement du secours, dans le regard, dans la main de Malte. Elle ouvre à peine la bouche. Le choc a dû être frontal. Elle avait la tête dans l’estrade quand on l’a sortie de là.

« Il lui faut un peu d’air », rappelle le docteur.

Le policier sait faire. Il écarte les curieux. Des femmes râlent qu’on les prive des suites de cette affaire.

Malte se tourne vers le jeune policier.

Sa voix devient plus grave.

« Aidez-moi ! »

Le policier plante son récit et s’accroupit près de lui.

« J’dois faire quoi ?

– Tenez bien ses jambes, dit Malte. Bien droites, bien alignées. »

Malte cale la tête de la victime entre ses genoux. Une femme se retourne, indignée par la position du docteur dont l’entrejambe est collé au crâne de cette pauvre fille.

Malte place ses doigts autour de son nez dont le sang ne coule plus. Il le pince. La fille happe l’air comme un poisson sur la table de la cuisine. Elle jette des yeux fous autour d’elle, sans pouvoir bouger la tête. Malte serre ses doigts. Il sent le point de fracture. De sa main libre, il fouille son gilet et sort un portemine en métal, long, étroit. Il fait coulisser la bague qui retenait sa mine, laisse tomber le bâton de graphite et lui enfonce le tube métallique dans la narine.

Avec la chevalière qu’il porte à l’index et le tube creux qu’il enfonce de l’autre main, Malte fait masse autour du nez cassé. Il serre comme un étau. Redresse. Encore. Encore un peu jusqu’à ce qu’un craquement retentisse. La victime a perdu connaissance. Malte se relève en secouant ses poignets couverts de griffures. C’est le métier. Il y est habitué. Les patients font ce qu’ils peuvent pour dévier la douleur.

La pauvre. Ce qu’elle vient de subir n’est rien comparé à ce qui l’attend."

 

Partager cet article
Repost0
26 avril 2020 7 26 /04 /avril /2020 17:45

Qu'est-ce qui rapproche un pirate de la Mer du Nord mort il y a 600 ans ; un militant qui attend le 31 mars

l'éclosion des roses d'Atacama ; un instituteur exilé qui rêve de son pays et se réveille avec de la craie sur les doigts ; un italien arrivé au chili par erreur, heureux à cause d'une énorme erreur et qui revendique le droit de se tromper ; un bengali qui aime les bateaux et les amène aux chantier où ils seront détruits en leur racontant les beautés des mers qu'ils ont sillonnées ?
Peut-être cette frontière fragile qui sépare les héros de l'Histoire des inconnus dont le nom restera dans l'ombre. Leurs pas se croisent dans les pages de ce livre. Voici, riche d'une humanité palpable, dans un style direct et incisif, toutes ces vies recueillies par un voyageur exceptionnel, capable de transformer la tendresse des hommes en littérature. ( Présentation de l'Edition 2001)

Ce livre est un effet un voyage dans le monde de Luis Sepulveda, dans la multiplicité des contrées qu'il a sillonnées non  pas vraiment à la découverte des terres, des paysages ou monuments mais toujours à la découverte des hommes. Souvent ceux qu'ils croisent sont des êtres exceptionnels qui pourtant vivent sans se distinguer des autres, ils ont combattu les régimes autoritaires, résisté, supporté la torture et relevé la tête. Ce livre est un monument à la gloire de ces hommes perdus dans la multitude, c'est une aussi une alerte, la folie des totalitarisme n'est jamais loin, l'Europe en particulier se laisse gagner par le néo nazisme. 

Voici un extrait qui illustre le propos mais aussi la magnifique écriture de l'auteur :

"Tout près du cimetière nous étendîmes nos sacs de couchage et nous nous mîmes à fumer et à écouter le silence, le murmure tellurique de millions de pierres qui, réchauffées par le soleil, éclatent imperceptiblement sous la violence du changement de température. Je me rappelle que je m’endormis fatigué d’observer les milliers d’étoiles qui illuminaient la nuit du désert, et qu’à l’aube du 31 mars mon ami me secoua pour me réveiller.

Les sacs de couchage étaient trempés. Je demandai s’il avait plu, Fredy répondit que oui, il était tombé une pluie douce et fine comme presque tous les 31 mars à Atacama. En me redressant je vis que le désert était rouge, d’un rouge vif, couvert de minuscules fleurs couleur de sang.

— Les voilà. Les roses du désert, les roses d’Atacama. Les plants sont toujours là, sous la terre salée. Les gens d’Atacama les ont vues, et les Incas, les conquistadors espagnols, les soldats de la guerre du Pacifique, les ouvriers du nitrate. Elles sont toujours là et fleurissent une fois par an. À midi, le soleil les aura calcinées, dit Fredy en prenant des notes dans son carnet.

Ce fut la dernière fois que je vis mon ami Fredy Taberna. Le 16 septembre 1973, trois jours après le coup d’état militaire fasciste, un peloton de soldats le conduisit en rase campagne aux environs d’Iquique. Il pouvait à peine bouger, ils lui avaient cassé plusieurs côtes et un bras, il ne pouvait presque plus ouvrir les yeux car son visage n’était plus qu’un hématome.

— Pour la dernière fois, vous vous déclarez coupable ? demanda un lieutenant du général Arellano Stark, lequel assistait à la scène.

— Je me déclare coupable d’être un dirigeant étudiant, d’être un militant socialiste et d’avoir lutté pour défendre le gouvernement constitutionnel, répondit Fredy.

Les militaires l’assassinèrent et enterrèrent son corps dans un endroit secret du désert. Des années plus tard, dans un café de Quito, un autre survivant de l’horreur, Ciro Valle, me raconta que Fredy reçut les balles en chantant à pleins poumons La Marseillaise socialiste.

Vingt-cinq ans ont passé. Neruda a peut-être raison quand il dit : « Nous, ceux d’alors, nous ne sommes plus les mêmes », mais au nom de mon camarade Fredy Taberna je continue de noter les merveilles du monde dans un carnet à couverture cartonnée."

Partager cet article
Repost0
25 novembre 2019 1 25 /11 /novembre /2019 23:05

"Signe particulier : Transparente" est un roman jeunesse écrit par une autrice française Nathalie Stragier, elle a sorti ce livre en septembre 2018

 

 

L’histoire est celle d’Esther, une adolescente un peu trop effacée. Du genre à dire oui à tout le monde pour ne pas contredire les gens. A la maison, sa mère l’oublie régulièrement, entre son travail, Alexandra, l’aînée qui révise comme une malade pour son bac et Maxime, le dernier qui fait du sport et qu’il faut emmener aux entraînements. Esther est laissée pour compte. Au lycée ? Elle traîne avec Romane, sa meilleure amie mais aussi son opposée. Alors forcément, qu’elle soit à la maison ou au lycée, on l’oublie… Au point qu’un jour, elle disparaît vraiment, d’abord quelques secondes, puis des minutes et enfin des heures…

Sauf qu’en devenant invisible, elle fera la connaissance d’autres gens comme elle qui passent de temps en temps dans cet autre monde. Mais tous ne sont pas sympathiques… Il va lui falloir absolument trouver comment arrêter de disparaître…
Malgré un personnage effacé, on découvre une facette bien différente quand elle passe dans l’autre monde. Pour conclure, une plume agréable, une héroïne dans laquelle certains se reconnaîtront. Et puis franchement, qui n’a jamais voulu être invisible pour espionner des conversations ?

 

Ce livre me fait penser à la chanson de Zara Larsson qu’elle a chantée pour le film « Klaus » sur Netflix car dans sa chanson elle nous fait comprendre que les plus belles choses que nous connaîtrons seront invisibles : « The greatest thinks you’ll ever know ARE INVISIBLE »

 

C'est un très beau sujet et un très beau roman. On se sent souvent transparent à l'adolescence, mais pas que ! Imaginez que l'on puisse disparaître progressivement parce qu'on ne s'affirme pas et qu'au contraire on peut trouver sa place en s'affirmant, c'est très beau et c'est un beau pansement ! J'ai particulièrement aimé la manière dont le récit est structuré et mené, révélant des surprises en permanence et jouant sur le point de vue du narrateur. Un moment de lecture qui m'a beaucoup touchée.

 

Je lui mets 4 étoiles

Voici mon quiz https://www.babelio.com/quiz/44608/Transparente

Loane, 4C

Partager cet article
Repost0
20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 20:32

Le titre de ce roman policier est déjà plein d’intrigue : Certes la mort est attendue dans un roman policier, mais le Khazar ancien empire d’Asie centrale et son qualificatif rouge emplissent le titre de mystère ! Si c’était le titre d’un essai historique pourquoi pas mais l’enquête d’un détective de roman policier peut-elle vraiment concerner la disparition d’un empire nomade turc au VIIIe siècle ?

 

C’est que ce roman policier est l’œuvre d’un historien israélien qui à travers ce récit traite de ses sujets de prédilection parmi lesquels le prosélytisme juif qui fait que les juifs ont des origines plurielles ce qui contredit le récit national.

Loin de ce VIIIe siècle médiéval, l’intrigue se déroule dans un cadre spatio-temporel troublé, celui de la première Intifada et de la fondation du Hamas, des accords d’Oslo, de l’assassinat d’Yitzhak Rabin, de l’arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahou, de la deuxième Intifada et de l’enlisement des espoirs de paix israélo-palestinienne. C’est aussi le temps de la décriminalisation de l’homosexualité en 1988.

Dès lors l’intrigue de ce roman tourne autour du meurtre en 1987 d’un universitaire israélien Yitzhak Litvak, qui justement s’était intéressé à cette théorie du prosélytisme. Peu après le jumeau de Litvak est assassiné à son tour or ce dernier ne menait aucune recherche historique : il était en hôpital psychiatrique ! Et puis Avivit, une jeune femme étudiante à l’université et impliquée dans des groupuscules de gauche est également assassinée sauvagement sur une plage de Tel-Aviv.  C’est le commissaire Émile Morkus, un arabe chrétien époux d’une ukrainienne, qui est chargé de l’enquête. Or aucune de ces enquêtes n’aboutit avant le départ en retraite du commissaire.

C’est là l’originalité du roman : grâce au point de vue omniscient, le lecteur connaît bien avant le commissaire le nom du coupable. Avant son départ en retraite le commissaire fera chou blanc sur toutes ses enquêtes. Or en 2007 un nouvel assassinat a lieu, celui d'Yéhouda Guershoni. Il s’agit encore d’un universitaire qui lui aussi travaillait sur le prosélytisme juif et sur le récit national. L’enquête est reprise par le successeur de Morkus. Elle piétine. Morkus s’associe en secret à l’enquête. Cependant Gina, une jeune universitaire de Tel-Aviv également a récupéré les documents de travail de la victime et entreprend de poursuivre ses travaux ce qui lui vaut quelques agressions dont on ignore encore l’origine. Plus précisément, la police en ignore encore l’origine mais le lecteur sait bien que cet agent ultra-sioniste du Shabak (sécurité intérieure) que le narrateur suit depuis le début est forcément mêlé à ces affaires. Étrange ironie dramatique dans un roman policier. La fin du roman nous réserve pourtant des surprises !

Extrait choisi (p 182) :

S’asseoir sur la terrasse face à la mer avait le don de lui remonter le moral. C’est ainsi que, des heures durant, il pouvait contempler la danse incessante des vagues. La vue des barques de pêcheurs voguant vers le petit port de Jaffa avait pour lui une vertu apaisante. Il s’imaginait un monde composé de pêcheurs et de chasseurs. Les premiers, habitués à affronter la mer, étaient enclins à la modestie, tandis que l’accoutumance des seconds au sang et à la tuerie les avait rendus dominateurs et agressifs. Il se demandait parfois si sa vie le rapprochait davantage des pêcheurs ou des chasseurs.

Il n’aimait pas le quartier léché des artistes qui, sur la droite, lui bouchait la vue. En revanche, le rocher d’Andromède, posé juste en face du port, attirait sans cesse son regard. Dans la mythologie grecque, une belle princesse, offerte en victime au monstre de la mer, avait été ligotée au rocher de Jaffa. Persée, fils de Zeus, était venu la délivrer et l’avait épousée. La falaise surplombant la mer avait été le témoin des conquêtes successives de la cité. Elle avait vu passer les Égyptiens antiques, les Philistins, les Perses, les Phéniciens, les Séleucides, les Asmonéens, les Romains, les Byzantins, les musulmans, les croisés, les mamelouks, les Ottomans, les Français, les Anglais et, finalement, les sionistes. La majorité de la population était cependant demeurée la même depuis la nuit des temps. Jaffa, la belle et l’antique, avait toujours survécu aux vainqueurs successifs, jusqu’à ce qu’advienne l’année 1948.

Tout comme le rocher d’Andromède, Morkus se sentait l’un des derniers survivants de ce lointain passé, qui l’obligeait. Le policier n’avait toutefois jamais imaginé qu’un Persée viendrait le délivrer. Les mythes combattants lui étaient étrangers, mais la seconde Intifada, des années 2000 à 2006, avec ses dures vagues de violence, l’avait rendu plus arabe, et un tout petit peu moins israélien. Il avait éprouvé de la douleur au vu des victimes des deux bords, mais les quatre mille morts palestiniens avaient élargi les fissures dans son sentiment d’identité.

.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
21 février 2019 4 21 /02 /février /2019 13:54

Olga de Bernhard Schlink est un roman qui raconte la vie d’une femme, justement Olga.

Elle est la fille d’un couple modeste décédé alors qu’elle était très jeune de la maladie du typhus et recueillie par sa grand-mère qui ne l’aimait pas, elle a tout fait pour se libérer et s’extraire de la pauvreté. Studieuse et toujours désireuse d’apprendre, elle n’était pas intégrée dans son école près de Kœnigsberg sauf par deux châtelains qui eux aussi, en raison de leur appartenance à la bourgeoisie, peinaient à s’intégrer. Ainsi, ils furent amis tous les trois au moins jusqu’au jour où Viktoria la jeune châtelaine décrétât qu’Olga n’était pas digne d’eux car mal habillée elle ne savait pas bien se tenir, elle faisait peuple. Olga continua cependant à voir en cachette le frère de Viktoria et peu à peu ils devinrent un couple d’amoureux. Viktoria réussit le concours d’institutrice et Herbert partit combattre en Afrique dans les colonies. Ce fut leur première séparation. Olga fut ensuite mutée à Tilsit. A son retour, Herbert rêvait de grands espaces et ne tarda pas à repartir. Olga vivait cela avec philosophie : les épouses de marins vivent des séparations similaires. Elle s’occupait de ses jeunes élèves et tout particulièrement de l’un d’eux, Eik.

Le roman retrace ainsi l’existence d’Olga de sa naissance à sa mort. Entre temps, l’Allemagne a connu la première puis la seconde guerre mondiale, deux manifestations de l’hybris allemande héritée selon Olga de Bismarck.

Extrait :

"8 août 1914

Mon chéri,

L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie, puis à la France, et puis c’est l’Angleterre qui a déclaré la guerre à l’Allemagne.

Les hommes du 41e sont mobilisés, et j’ai été avec les enfants à Tilsit. Il y avait de la musique et des fleurs, des hommes agitaient leurs chapeaux, de jeunes femmes laissaient des soldats les prendre par les épaules et les accompagnaient jusqu’au train, et sur les wagons on lisait « Excursion à Paris » et « Les Français sont faits ».

Ici au village, il n’y a pas d’enthousiasme. Chaque incorporation est un coup porté à la ferme et à la famille. Les rares engagés volontaires sont des jeunes que leurs pères traitent encore plus mal que des valets. L’un d’eux est venu me faire ses adieux ; il a peur de la guerre, mais il a encore plus peur de son père.

La guerre, c’est bon pour les citadins, pas pour les paysans. Et bon pour les enfants. Les petits et les faibles doivent jouer les Serbes et les Anglais, et les autres leur tombent dessus en criant « Estourbie, la Serbie » et « À terre l’Angleterre ». Il y a aussi la peur de voir arriver les Russes, chez les paysans, qui craignent pour ce qu’ils ont engrangé ; une peur plus grande que chez les citadins, qui ont de bons souvenirs des officiers de la garnison russe voisine, de Tauroggen, qui fréquentaient l’Hôtel de Russie.

Je t’imagine. Tu n’hésiterais pas à rejoindre ton régiment. L’espace d’un instant je me suis félicitée que dans la Terre du Nord-Est tu sois en sécurité.

Olga qui t’aime"

 

 

Le contexte géopolitique du récit reste en retrait du récit mais clairement la démesure, la folie des grandeurs, ce que les grecs appelaient l’hybris est ce qui révolte Olga.

Ce roman est traduit de l’allemand aussi n’ai-je pas accès au texte de l’auteur. C’est toujours un peu frustrant.

Partager cet article
Repost0
27 novembre 2018 2 27 /11 /novembre /2018 18:26

Pour philosopher dès neuf ans, il y a les petits Platons et parmi eux, Socrate est amoureux ! Beau projet, non ?

Pour y parvenir, il y a un philosophe, un vrai de vrai, agrégé de philosophie qui entend bien faire lire Le Banquet de Platon aux enfants.

Il y a aussi un illustrateur qui a donné à ce Banquet des couleurs douces et lumineuses et qui a recréé par le dessin une rue d'Athènes où marche Socrate, la riche demeure d'Agathon, les invités Eryximaque, Aristophane, Phèdre, Pausanias.... sans oublier les servantes, curieuses de connaître l'opinion de Socrate sur l'amour, sujet du débat de la soirée.

C'est que le projet est ambitieux : faire lire le Banquet de Platon dès neuf ans, faire réfléchir dès neuf ans à ce qu'est l'amour.

Ce court extrait peut en donner une idée : "L'amour est un grand désir, n'est-ce pas ? Désire-t-on ce qu'on a ou ce qui nous manque ?

_ Donc Éros, le dieu de l'amour, n'est ni beau, ni le meilleur des dieux, encore moins le plus sage et mesuré, puisqu'il désire ce qui est beau, sage et bon ! s'exclame Soicrate. Il nous faut, mes amis, définir l'amour autrement."

,Et puis je me dis que peut-être c'est possible, à cet âge où la curiosité est encore intacte. Plus tard aussi mais avec un peu d'accompagnement sans doute.

J'aimerais beaucoup connaître l'avis de jeunes lecteurs.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : LIRELIRE
  • : Ce blog est destiné à recevoir et à diffuser nos avis de lecteurs à propos des livres choisis (élire) et lus (lire).
  • Contact

licence et trace carbone

Lirelire   Josiane Bicrel est mis à disposition selon les termes de la licence creativecommons by-nc-sa/4.0

Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les mêmes Conditions 

Lirelire est neutre en carbone.

 

Rechercher

Classement Alphabétique Des Auteurs