La réputation de ce roman, primé par le Goncourt en 1978, n'est certes plus à faire ! Mais j'ai décidé de relire et de chroniquer tous les bons romans de ma bibliothèque pour me souvenir !
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Rue des Boutiques Obscures est le récit d'une quête d'identité qui dure jusqu'à la dernière page. Le héros narrateur, victime d'amnésie depuis une dizaine d'années, se met à explorer toutes les pistes qui peuvent le mener à son identité et à son histoire. Il rencontre des témoins potentiels, reçoit d'eux diverses photos, explore les rues et quartiers de Paris puis Megève et Bora-Bora. Il analyse ses sensations, odeurs, couleurs, évocatrices, regards, allures, corpulences, consulte registres et bottins.
Peu à peu naissent des réminiscences, de plus en plus précises, accompagnées de sensations d'enfermement, de claustrophobie, de danger, de peur. L'ensemble crée pour le lecteur une atmosphère étrange et comme envoutante, d'autant que jamais ne sont nommées les sources des menaces. Vu l'époque, on songe bien sûr à l'Occupation, période souvent évoquée par l'auteur, mais jamais nommée. Mais des ruptures brouillent encore les choses : le narrateur intradiégétique dans la majeure partie du récit cède parfois la parole à un narrateur anonyme et extradiégétique qui raconte donc à la 3ᵉ personne !
Au-delà du récit, il y a le constat mélancolique de la fugacité de nos vies. Le roman commence par le constat sans appel "Je ne suis rien. Rien qu'une silhouette claire, ce soir-là, à la terrasse d'un café" et il s'achève sur ces mots : "et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d'enfant ?"
Cependant, entre temps, il y a ces moments suspendus où la magie de la réminiscence et de l'écriture opèrent de concert : "Les automobiles roulaient vite, avenue de New-York, sans qu'on entendît leur moteur, et cela augmentait l'impression de rêve que j'éprouvais. Elles filaient dans un bruit étouffé, fluide, comme si elles glissaient sur l'eau." (p. 53), "Les rideaux rouges sont tirés. La lumière vient d'une lampe de chevet, à gauche du lit. Je sens son parfum, une odeur poivrée, et je ne vois que les taches de son de sa peau et le grain de beauté qu'elle a au-dessus de la fesse droite".(p 143) "D'autres nuits, la neige tombait et j'étais gagné par une impression d'étouffement. Nous ne pourrions jamais nous en sortir, Denise et moi. Nous étions prisonniers au fond de cette vallée et la neige nous ensevelirait peu à peu. Rien de plus décourageant que ces montagnes qui barraient l'horizon." (p.191)
