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7 mars 2025 5 07 /03 /mars /2025 11:12

Grand reporter et fille de paysans, c'est le grand écart annoncé par le sous-titre et c'est en effet le sujet du prologue :" Je suis une évadée de mon milieu d’origine", écrit l'autrice, expliquant le sentiment d'illégitimité qu'elle a parfois éprouvé puisque issue du milieu paysan de la campagne bretonne.

Mais ce sentiment est vite balayé par une multitude d'autres problèmes auxquels elle doit faire face : en formation à Strasbourg, on lui reproche sa voix qui la condamne à la presse écrite. Qu'à cela ne tienne, elle travaille sa voix avec une orthophoniste et fait oublier ou accepter cette voix par la variété et l'actualité brûlante de ses reportages.

En 2000, alors qu'elle est déjà un reporter reconnu pour son reportage sur la peste en Inde et surtout pour son reportage sur les Kosovars fuyant devant l'arrivée des Serbes en 1999, elle est capturée, avec son équipe, par les islamistes philippins. Ces sept semaines de captivité auraient pu mettre un frein à son investissement dans le journalisme de reportage, mais l'actualité l'attend, elle repart. 

Fille de paysans et femme à la voix de fausset, ex-otage de terroristes islamistes sur l'île de Jolo en 2000  durant sept semaines, Maryse Burgot est aussi mère de deux enfants. Cela ne l'empêche pas de repartir comme correspondante à Londres, puis à Washington, entrainant son époux et ses enfants. Elle évolue vers le reportage de guerre en Syrie puis en Afghanistan puis en Ukraine sans jamais couper les ponts avec ses enfants : "Mon téléphone sonne. Il est dans la poche de mon gilet pare-balles. Impossible de ne pas répondre, même si la voiture avance à toute allure sur cette route défoncée. C’est l’un de mes fils. Entre les soubresauts et la panique, je décroche. Cet appel vient du monde, si éloigné de nous, où la guerre est une abstraction. Il s’agit d’un problème de cuisson de riz. « Quelle est la meilleure méthode pour qu’il soit bon ? C’est-à-dire un peu collant, comme au restaurant, mais pas trop. » Et j’explique ma méthode. Je ne parle pas trop fort, j’ai peur que les membres de mon équipe ne me prennent pour une folle en s’exclamant : « Tu viens d'échapper à la mort, mais tu parles cuisine le plus calmement du monde ?" 

Toutefois, cette qualité de femme et de mère contribue à la rendre plus sensible au sort des enfants. " Où que j’aille, dans les endroits les plus improbables de la planète, dans les circonstances les plus joyeuses ou les plus dramatiques, mes deux enfants ne quittent jamais mon esprit. La maternité a colonisé mon âme, les recoins de mon corps et de mon cœur.", écrit-elle et cela explique peut-être son attachement à sauver le petit Jerry d'une mort certaine sur un trottoir de Port-au-Prince après le tremblement de terre de janvier 2010  ou à Kaboul pour éviter à un couple de devoir vendre son bébé.

Concernant le travail de reportage, Maryse Burgot insiste sur le travail d'équipe : partout où elle va, c'est en équipe qu'elle travaille. Un cameraman et un monteur, hommes ou femmes, sachant que le métier de preneur de son en reportage a disparu  depuis les années 90-2000. Le monteur envoie le sujet quelques minutes seulement avant pour la diffusion ! L'équipe s'étoffe aussi des fixeurs qui sur le terrain mettent l'équipe en relation avec les personnes ou les organismes concernés. Ces fixeurs sont des gens du pays, auxquels il faut que l'équipe puisse faire confiance et cela demande une bonne cohésion d'équipe et une capacité à décider. Ainsi, lors du reportage au Kosovo, ils font appel à Jovana qui "n’est pas du tout dans le monde du journalisme, c’est plutôt une intellectuelle, un peu artiste à ses heures. Un rien mondaine, blondissime et portant en permanence tailleur et bijoux. Elle est la maîtresse d’un prince monténégrin. Notre preneur de son l’appelle gentiment la Castafiore. " Ils lui font confiance et elle devient l'une de leurs meilleures fixeuses. Lorsque la presse est interdite d'entrée comme à Gaza, l'équipe s'étoffe encore de "relais sur place, des journalistes palestiniens, des caméramans. Des contacts précieux entretenus de longue date par notre bureau permanent et de nombreux journalistes de la rédaction. Ces personnes de confiance nous font parvenir leurs images, nous racontent. Leurs récits nous permettent de mettre des sujets à l’antenne sur la situation sécuritaire et humanitaire à Gaza."   "Ces contacts dans l’enclave sont pourtant nos yeux et nos oreilles à Gaza puisque aucun journaliste occidental ne peut entrer dans l’enclave sauf autorisation rare et encadrée de Tsahal." De même, L’Iran, l’Afghanistan, le Yémen, le Soudan rendent l'accès à la presse occidentale très difficile. Cela constitue un sérieux problème pour le métier de journaliste, car les "relais sur place" n'ont sans doute pas la neutralité nécessaire pour témoigner comme il le faudrait. Au-delà, l'équipe s'étoffe aussi d'une direction : " Je ne décide pas seule de rentrer ou de rester. Nous avons une hiérarchie qui fait ces choix éditoriaux." Et l'équipe se complète encore d'"une cellule dont le travail consiste à vérifier l’authenticité de ces images. Leur mission est désormais très précieuse et indispensable. Nous avons aussi un service chargé de visionner les milliers d’images et de vidéos envoyées par des agences professionnelles comme l’AFP, l’Agence France-Presse, ou encore AP, Associated Press, ou CNN, la BBC, la télévision iranienne, chinoise, russe, etc. [...] Des journalistes de France Télévisions spécialisés dans ce service d’échanges nous signale quotidiennement les images qui méritent notre attention."

Passionnant pour qui veut découvrir le travail de journaliste reporter et je pense aussi aux élèves de quatrième et de seconde pour lesquels la découverte de la presse est au programme, ce livre l'est aussi par le rappel de l'actualité des 30 dernières années, un rappel précis, sensible, détaillé qui me semble particulièrement précieux à une époque où une information chasse l'autre ! 

Extrait Juin 2012 USA : " Ce matin-là, je choisis de suivre plus particulièrement une jeune femme. Elle a vingt-trois ans, elle est jolie. Elle attend avec sa mère dans la longue file d’attente. Je ne sais pas bien expliquer pourquoi je me dirige vers elle. Ce sont les grands mystères du hasard dans le métier de reporter. J’ignore combien ce qu’elle va vivre dans ce gymnase se révélera éprouvant. Je remarque assez vite qu’elle parle en prenant soin de ne surtout pas montrer ses dents. Nous lui demandons si elle accepte d’être filmée. Elle hésite beaucoup et finit par dire oui. Elle me dit qu’elle souffre depuis trop longtemps, qu’elle n’en peut plus. Elle est ici, dit-elle, pour qu’on lui enlève toutes ses dents ! Je remarque les ombres noires sur l’émail de ses dents, je me rends compte que toutes ses incisives et canines supérieures et inférieures sont cariées. Elle ne sourit jamais. Je comprends les souffrances physiques et psychologiques endurées par cette jeune femme brune, caissière dans un supermarché. Sans assurance santé, elle n’a pas les moyens de payer des frais dentaires."

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 14:44

Voilà un livre que je quitte à regret, surprise à la dernière page, de le voir fini !, c'est qu'il n'a pas réellement de début ni de fin ! l'auteur nous raconte une tranche de vie, de sa vie et de celle de son frère ! certes, le récit commence par une naissance, celle d'un veau, lorsque l'auteur avait 15 ans alors que son frère avait "à peine treize ans" mais c'est qu'il y a là, un moment crucial : "Mon frère n’était pas aussi confiant. Je sentais la présence en lui d’une menace, d’un traumatisme naissant. L’adolescence est une période de remodelage du cerveau : le programme de maturation qui bientôt fournira les codes de l’âge adulte fait l’objet d’importants bouleversements. De nouvelles connexions neuronales se mettent en place, tandis que d’autres s’évanouissent. Des accidents se produisent, paraît-il, lors de cette grande période de reconfiguration, qui rendent certaines jeunes personnes particulièrement fragiles inaptes à gérer les situations émotionnellement éprouvantes. Cette nuit-là en tout cas, dans sa petite chambre jouxtant la mienne dans la maison familiale, j’ai entendu mon frère sangloter au creux de son lit. Le lendemain, les premiers signes de sa vertigineuse descente se manifestaient".

 

Cet événement constitue le premier chapitre du récit qui pour l'essentiel se déroule quarante-cinq ans plus tard. Tout comme le titre et tout comme l'image de couverture, il met au premier plan ce qui fait la singularité du frère cadet de l'auteur : il est schizophrène. Une large partie de ce récit biographique est alors consacrée aux relations qui unissent l'auteur et son frère : "Le mot schizophrénie, formé à partir du grec skhizein (fendre) et phrên (esprit), ne pourrait mieux illustrer le coup de hache qui un jour a fait voler en éclats l’existence de mon frère, et ouvert en lui une brèche impossible à refermer. Je tente comme je peux de me glisser avec lui dans cette ouverture, mais n’y parviens jamais qu’à moitié."

L'auteur, lui-même, laisse à plusieurs son esprit ou son âme (c'est le terme qu'il emploie" s'éloigner du simple réel pour accéder aux intuitions, de telle sorte que lors d'une crise de paranoïa très violente de son frère, l'auteur voit un roitelet monter au ciel en emportant son âme ou que lors d'une promenade dans la campagne, il marche avec son père, pourtant décédé.  

Mais ce qui marque surtout dans ce roman, c'est la sérénité que l'auteur trouve avec son frère, avec son épouse, Livia, mais aussi avec ses voisins, avec les animaux, son chien Pablo et son chat Lennon, avec la nature ! Sa vie consiste pour l'essentiel à écrire, à jardiner, à parler avec son frère de jardinage ou de poésie et à l'aider, à se promener dans la campagne et à ne rien faire. Et ce récit qui ne raconte finalement pas grand-chose est extrêmement apaisant.

Extrait choisi : « La vie passe, m’a dit ce matin mon frère une fois achevée sa lecture de mon manuscrit. La vie passe, banale, insignifiante, et pèse pourtant à ce point sur la pensée, le caractère et l’âme qu’elle finit par leur donner une raison d’être. Oui, presque rien n’arrive dans cette histoire, mais tout y a un sens. »

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21 janvier 2025 2 21 /01 /janvier /2025 15:59

Épopée familiale, sur fond historique et autobiographique, ce roman commence comme un conte par la découverte d'un nouveau-né de trois jours sur le parvis d'une église au Venezuela. Une mendiante muette, Térésa, le prend en charge et le nomme Antonio, car l'église était placée sous le patronage de saint Antoine. Voilà un début plein de promesses, et la suite, en effet, est la fabuleuse histoire d'Antonio, parti de rien, mais, grâce à une tabatière d'argent trouvée dans ses langes, devenu cardiologue de renom, puis recteur de la plus grande université du Venezuela. C'est aussi l'histoire de son épouse, Anna-Maria, première femme médecin de son pays, éminente gynécologue obstétricienne, à la tête du combat pour le droit à l'avortement.

Une légende de Maracaibo dit que sur une portée de chatons, il y a toujours un petit léopard que la mère chasse, pour protéger les autres si bien qu'il "grandit différemment"

L'histoire extraordinaire de ce couple est contée avec une telle exubérance, une telle verve magique et réaliste, une telle profusion d'images et de sensations, que le roman vous entraine dans son tourbillon.

Mais la toile de fond est plus réaliste : nous suivons l'essor du Venezuela grâce à la découverte du gisement pétrolier vers 1917, puis  les mouvements de guérilla, les soulèvements et coups d'état, les années Chavez et Maduro, la difficile installation de la démocratie, ce que découvre Cristobal, petit-fils d'Antonio :  "   Cristóbal ne put en croire ses yeux. Des années après, il serait encore incapable de se rappeler cette scène sans être ébahi, sidéré. En arrivant sur les terrains de magnolias, il découvrit les tracteurs en fonctionnement, les fleurs ouvertes et épanouies, mais il ne lui fallut que quelques minutes pour se rendre compte qu’une des familles, plus importante que les autres, avait pris possession de la bâtisse des Pistoletto et versait aux trois autres un salaire pour s’occuper des plantations de magnolias. Les paysans avaient reproduit exactement ce qu’ils voulaient combattre."   

extrait choisi : Elle surgit un mardi de novembre. Les habitants du lac aperçurent de loin, depuis la promenade couverte de mangues écrasées et de poissons pourris, une imposante statue de quatre mètres de hauteur et de six tonnes de bronze coulé en Toscane. C’était un homme à cheval avec un costume du XIXe siècle, à l’allure autoritaire, qui regardait droit devant lui en pointant l’avenir de son épée, et dont l’élégance fit un tel effet sur les enfants de la plage, des garçons en haillons qui n’avaient jamais vu Simón Bolívar, qu’ils entrèrent dans leur maison en hurlant : « Dieu est arrivé à Maracaibo ! » Après une périlleuse traction de poulies de fer, de chapes et de courroies, on sortit Simón Bolívar du navire et on le déposa parmi des caissons de bananes plantains, de viandes séchées et des cages à poules, entouré de sacs de café. Son bronze puait la goyave. Il venait de loin. Il avait fait un voyage en bateau sur le cours d’une rivière tumultueuse. Il avait survécu aux pluies tropicales qui avaient éclaté plusieurs fois, aux quatre-vingts kilomètres de caïmans et de singes hurleurs, à la rouille et à l’oxydation. Il devait rester quelques jours à Maracaibo avant de continuer son chemin sur la rivière Escalante jusqu’à atteindre le port de Santa Bárbara del Zulia, en face de la ville de San Carlos où, un jour de 1820, Simón Bolívar, profitant de l’abondance de bois dans la région, avait ordonné la construction de cinq navires pour attaquer les Espagnols.

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24 mars 2024 7 24 /03 /mars /2024 19:55

Publié aux Presses de la cité en 2016, ce roman a pour cadre le bassin d'Arcachon entre 1849 et 2000.  Il nous fait découvrir, à travers une famille dont l'aïeule, épouse d'un résinier, était une femme irascible qui avait maudit sa fille Léonie. Le point de vue adopté est celui des femmes dont on suit au fil des générations les luttes pour s'émanciper et les progrès réalisés.

C'est d'abord l'histoire de Léonie devenue "bas rouges" (par son travail de pêche de sangsues) après la mort de son mari et un accident qui l'empêche d'être plus longtemps résinière. Léonie tient en effet à rester indépendante et ne pas être à la charge de ses enfants.  Sa plus jeune fille, Margot, est bien décidée quant à elle à s'extraire de cet univers de misère. Elle part à la ville, comme bonne, et ses charmes lui permettent de séduire d'abord un bourgeois bordelais qui l'abandonne peu après puis un fils de famille James, qui lui construit la maison du Cap et lui fait un enfant, Charlotte, mais se soumet aux pressions familiales pour épouser la fille d'un banquier. Charlotte reste donc une jeune fille sans père, mais elle vit dans la maison du Cap tandis que sa mère transforme en pension pour curistes la villa Sonate à Arcachon, achetée aussi grâce James. Charlotte quant à elle évolue à sa guise, se passionne pour la photographie, épouse un médecin dont elle aura deux enfants. Elle quitte son mari pour un amour fou avec un écrivain et navigateur écossais qui disparait en mer. Sa fille, Dorothée, véritable tête-brûlée, se consacre à sa passion, l'aviation  et se désintéresse de tout autre sujet, à tel point de son mari Philip Galway se suicide et que sa fille Violette la reconnait à peine...

L'émancipation des femmes dans ce roman se fait donc par étapes : il s'agit d'abord d'indépendance économique, puis s'ajoute la liberté dans le couple, même si le divorce n'est pas vraiment acté, puis l'accès aux métiers plus souvent réservés aux hommes (Charlotte est photographe, Dorothée est pilote d'avion) et à l'engagement politique (la Résistance)...

Au fil du récit, on parcourt aussi un siècle et demi d'histoire et Françoise Bourdon s'attache à bien retracer notamment les périodes des deux grandes guerres du XXe siècle : la vie dans les tranchées, le sort des soldats récalcitrants, les gueules cassées... Puis la seconde guerre, le sort des prisonniers en Allemagne, la vie sous l'Occupation, la Résistance, le sort des internés dans les camps de la mort. 

Ainsi, avec une écriture très classique et de façon tout à fait chronologique, ce roman remplit simultanément trois objectifs : Décrire les particularités et l'évolution du bassin d'Arcachon, rappeler l'histoire du XXe siècle et illustrer l'évolution de la condition féminine, tout en donnant chair à des personnages de fiction à l'instar de Charlotte ou de Margaux. 

Extrait choisi : "Tous deux dînaient sur la terrasse. De sa place, Dorothée apercevait le Bassin, et le pinceau du phare du cap Ferret. Elle songea à sa mère, qu’elle avait entrevue durant l’après-midi. Charlotte mitraillait Louis Paulhan et aurait aimé voler à bord du Curtiss Triad mais l’aviateur avait emmené Léo Neveu, un autre photographe.

« Un homme, bien sûr, avait pesté Charlotte. Ces messieurs se tiennent les coudes. »

François s’essuya posément la bouche.

— Piloter ? répéta-t-il, visiblement stupéfait. As-tu perdu le sens commun, ma chérie ? Tu es une jeune fille. Apparemment, cette dernière phrase résumait tout ! Choquée, Dorothée se redressa sur sa chaise.

— Parce que je suis une jeune fille, comme tu dis, je n’ai pas le droit de vivre à ma guise et de chercher à réaliser mes rêves ?

Son ton était belliqueux. Elle promettait d’être belle, pensa François. Silhouette élancée, visage menu encadré de cheveux sombres, yeux bleu foncé, Dorothée ressemblait à Margot telle qu’Édouard Manet l’avait représentée, au début de 1871."

 

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17 janvier 2024 3 17 /01 /janvier /2024 10:45

Décidément, rien n'égale la lecture d'un livre d'Alessandro Baricco ! Je viens de finir Océan mer, traduit de l'italien par Françoise Brun ! C'est une œuvre étrange, drôle, tragique, poétique, fantaisiste, à la fois roman, conte philosophique et poème en prose.

Résumer ce livre serait en diluer la saveur. L'Océan est l'élément central du texte : la pension Almayer  au bord de l'Océan "posée sur la corniche ultime du monde", réunit sept personnages et des enfants : Plasson, un peintre qui passe son temps à peindre la mer en blanc, parfois à l'eau de mer, Bartleboth, un scientifique qui cherche à trouver les limites de la mer, Elisewin, venue guérir son cœur de cristal à la mer, Le Père Pluche qui parle plus vite qu'il ne pense et écrit des prières poétiques, la belle Ann Dévéria envoyée là par son mari pour que l'océan l'éloigne de son amant, Adam, dont l'histoire occupe le cœur du récit et un mystérieux pensionnaire qui ne sort de sa chambre qu'une fois le livre fini !

Chacun de ces personnages est un poème à lui tout seul et les enfants semblent être les seuls à pouvoir conseiller et ramener à la raison.

L'Océan quant à lui est une puissance indomptable et redoutable, capricieuse : "La mer. La mer ensorcelle, la mer tue, émeut, terrifie, fait rire aussi parfois, disparaît, par moments, se déguise en lac ou alors bâtit des tempêtes, dévore des bateaux, elle offre des richesses, elle ne donne pas de réponses, elle est sage, elle est douce, elle est puissante, elle est imprévisible. Mais surtout, la mer appelle. Tu le découvriras, Elisewin. Elle ne fait que ça, au fond : appeler. Jamais elle ne s’arrête, elle pénètre en toi, elle te reste collée après, c’est toi qu’elle veut. Tu peux faire comme si de rien n’était, c’est inutile. Elle continuera à t’appeler. Cette mer que tu vois et toutes les autres que tu ne verras pas mais qui seront là, toujours, aux aguets, patientes, à deux pas de ta vie. Tu les entendras appeler, infatigablement. Voilà ce qui arrive dans ce purgatoire de sable. Et qui arriverait dans n’importe quel paradis, et dans n’importe quel enfer. Sans rien expliquer, sans te dire où, il y aura toujours une mer qui sera là et qui t’appellera."

Extraits choisis ici et là :

"On peut dire qu’à chaque kilomètre de route il y comprenait un kilomètre de moins."

"Ce sont des choses qui arrivent. Tu as des rêves, une chose à toi, intime, mais la vie en fait, elle ne veut pas jouer à ça, et elle te les démonte, un instant, une phrase, et tout se défait. Ce sont des choses qui arrivent. Et c'est pour cette raison-là que vivre est un triste métier. Il faut bien se résigner. Elle n'a pas de gratitude, la vie, si vous voyez ce que je veux dire."

"Elle lui dit exactement ce mot : enchantée. Elle le dit en penchant légèrement la tête sur le côté et en écartant de ses yeux une mèche d cheveux noirs comme le jais. Du grand art. Pour Bartleboom, cette phrase, ce fut comme si on l’avait injectée directement dans son sang. Elle se répercuta, si l’on peut dire, jusque dans ses pantalons. Il bafouilla quelque chose, et dès cet instant ne fit plus que transpirer. Il transpirait comme un fou, lui, quand il transpirait. La température n’avait rien à voir. Il fonctionnait en autonomie."

"Je voulais dire que la vie, je la veux, je ferai n’importe quoi pour l’avoir, toute la vie possible, même si je deviens folle, peu importe, je deviendrai folle tant pis mais la vie je ne veux pas la rater, je la veux, vraiment, même si ça devait faire mal à en mourir c’est vivre que je veux. J’y arriverai, n’est-ce pas ?"

 

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7 novembre 2023 2 07 /11 /novembre /2023 11:41

Ce roman a obtenu cette année le grand prix du roman de l'Académie française, ce qui a suscité ma curiosité : le souvenir du Mage du Kremlin et surtout après Mon Maitre et mon vainqueur. 

Ici, nous sommes entraînés dans une quête du passé, un peu à la manière d'Annie Duperey dans Le voile noir ou même de Modiano dans beaucoup de ses œuvres :la  narratrice n'a pratiquement pas de souvenir, elle reconstitue le passé à partir de quelques photos et d'un article de journal. Elle cherche à recréer l'histoire de sa tante Madeleine, décédée il y a peu de temps. Cette tante était une belle femme, elle ressemblait dans sa jeunesse à Michèle Morgan, mais c'était une femme très discrète et réservée. Élevée dans une pension catholique dans la région de Nantes, elle aimait lire et son livre préféré était Thérèse Desqueyroux, l'histoire "d'une femme qui empoisonne son mari" !   À 26 ans, elle s'est mariée, sans doute, car elle pensait avoir atteint l'âge !  Son mari, Guy, était très amoureux. La même année, ils se sont envolés pour Douala où Guy travaillait dans le commerce du bois. En 1958, leur unique enfant, Sophie, était venue au monde. Madeleine, toujours aussi réservée, vivait en marge, mélancolique, uniquement préoccupée de sa fille. Cette mélancolie offre l'occasion de belles descriptions de son environnement chargé de bruits et de pluie :   " De grosses pluies survenaient le soir, elles amenaient des nuées de moustiques, et, quand les pièces étaient éclairées, on voyait courir de travers sur les murs de petits lézards froids, furtifs et dodus, les « margouillats ». Quelquefois, ils vous tombaient dans le cou. Des roussettes, qui dormaient dans les manguiers sauvages, frôlaient le toit. La case laissait entrer les bruits de la nuit : des frôlements d’animaux, des glissements dans les feuilles, des coassements, des croassements, le bruit de la radio qui venait de la case la plus proche". Tous ces bruits créent une atmosphère inquiétante. Pourtant, les colons font la fête et vivent entre eux dans un petit monde insouciant et joyeux autour du "délégué et de sa femme Jacqueline" dont chacun savait qu'elle était la maitresse du docteur Ambrières.  Guy explique à sa femme tout ce qu'il faut savoir pour ne pas commettre d'imper dans ce microcosme.  Malgré tout, Madeleine se tient à l'écart, elle est perçue comme provinciale et timide.  Un jour, un visiteur venu de Yaoundé l'invite à danser... C'est le début d'une histoire que l'on ne peut vraiment nommer aventure, car la discrétion de Madeleine conserve ses sentiments dans le secret de son cœur.

Cependant, la révolte gronde, Guy conserve un fusil dans leur chambre jusqu'au moment où en octobre 1959 il met sa femme et sa fille dans l'avion, car l'indépendance du Cameroun est inéluctable.

Une recréation très fine de l'atmosphère de ces sociétés coloniales installées en Afrique après-guerre et jusqu'à l'indépendance, de ces ex-colons rentrés en France mais encore nostalgiques des années après, de ces personnages du microcosme colonial dans une écriture soignée, précise, évocatrice, sont à mes yeux les atouts de ce roman, mais le sujet crée une sorte de malaise : le passé colonial n'est pas précisément ce dont on aime se souvenir.

Extrait : Les boys en blanc, sous la surveillance de Bogart qui affichait toujours la même lassitude, le même léger mépris, circulaient entre les convives avec des plateaux et des verres. On buvait sec aux frais de la République, les plats se dégarnissaient comme si les gens n’avaient pas mangé depuis quinze jours. Des types groupés parlaient entre eux de leur carrière, des planteurs de passage donnaient la « température du pays » ; on disait en hochant la tête : C’est inquiétant, très inquiétant ; on déplorait les progrès des « upécistes », on critiquait l’armée, le gouvernement, les décisions de la métropole (Ils ne comprennent rien à Paris), on disait du mal du haut-commissaire. Des Pères blancs incongrus et buveurs de whisky parlaient de la vie de leur mission, du catéchisme, des cérémonies de baptême. Et finalement, à ces détails près, quand les couples tournaient sur « La java bleue » ou improvisaient à petits pas pressés, à petits déplacements d’avant en arrière, à gauche et à droite, les évolutions syncopées d’une rumba ou d’un tango très décent et très ralenti, je crois qu’à la délégation de Douala, on aurait pu se croire en France par un été chaud, à n’importe quel bal de village. On y jouait les succès qui passaient à la radio :

« Bambino » de Dalida,

Mouloudji : « Un jour tu verras / On se rencontrera »,

Guy Béart : « Si tu reviens jamais danser chez Temporel / Un jour ou l’autre… »

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5 juillet 2023 3 05 /07 /juillet /2023 10:47

Le titre de ce roman annonce par avance l'absurde de l'action, qu'elle soit projet ou ordre à exécuter. En effet, deux narrateurs prennent en charge le récit en alternance : d'une part, Séraphine qui avec son époux Henri, leurs deux garçons et leur fille Caroline, mais aussi avec Rosette, la sœur de Séraphine et son époux, Louis, quittent leur banlieue parisienne pour un eldorado, une terre promise, en Algérie.   D'autre part, un soldat dont on ignore tout sauf que, comme ses camarades, il n'est "pas un ange" comme le leur rappelle leur capitaine dont le comportement n'a rien à envier à ceux que plus tard, on nommera "Nazies"

À travers ces deux narrateurs qui ne se croisent jamais, l'auteur nous fait découvrir une période rarement évoquée, celle de la colonisation de l'Algérie au XIXe siècle, vers 1845. Tous les chapitres ont en alternance ces mêmes titres entre parenthèses : (Rude besogne) (Bain de sang)  et l'on devine vite quel titre annonce le récit de quel narrateur.

Séraphine raconte le dur apprentissage de la vie de colons : trois mois dans un campement sous tentes militaires : pluie, boue, odeurs pestilentielles, "comme si chacun de nous, pauvres et naïfs apprentis colons à peine débarqués, était en train de pourrir et de se décomposer".  Ensuite, la vie se poursuit sous un soleil de plomb dans des cabanes de bois entourées de palissades  où le choléra fait rage et décime la famille de Séraphine, enfin les attaques de rebelles et le massacre de Rosette et de son nouveau mari. "Sainte et sainte mère de Dieu" tel est le refrain qui rythme le récit de Séraphine, longue descente aux enfers aux paragraphes non ponctués et sans majuscules.

Le récit du soldat, lui, est rythmé par le lancinant refrain, "  nous ne sommes pas des anges", réponse sollicitée par le capitaine pour justifier les pires exactions.

On songe à travers cette lecture à la terrible épopée des Raisins de la colère de J STEINBECK mais aussi à La Peste d'Albert Camus. Ici aussi tel le docteur Rieux, un médecin militaire tente tout ce qu'il peut pour sauver les colons :

"le nouveau médecin militaire à bout de remèdes de bonne femme n’avait rien trouvé de mieux que de nous conseiller de danser pour que le sang bouillonne dans nos artères, pour que la chair sue, élimine ses sueurs empoisonnées, rendez-vous compte à quoi la peur de mourir nous réduisait ! ce sinistre soir d’enterrement, nous avons donc laissé nos cinq enfants à la garde du vieux d’Aubervilliers, et Célestine, Rosette, Henri et moi, bien qu’épuisés par la chaleur et la tristesse de ce jour, sommes allés danser chez le Gaston Frick qui avait embauché un accordéoniste et qui pour quelques sous nous promettait du remue-ménage bien arrosé du coucher au lever du soleil

il fallait nous voir danser sans joie valses et polkas, fantômes de chair triste s’agitant au milieu d’autres fantômes de chair triste, et nous échauffant le sang au point d’en devenir écarlates, et suant toutes nos misères jusqu’à ce que l’accordéoniste en ait mal aux doigts et décide d’aller se coucher

on y croyait dur comme fer aux conseils du médecin, on avait les jambes en charpie, les paupières plus lourdes que du plomb, mais on ne cédait pas à la fatigue, il fallait lui faire peur à ce choléra, l’empêcher d’entrer dans notre corps par tous les moyens, et si par malheur il y était entré à quelque moment de la journée, l’en faire sortir par tous les pores de la peau en valsant comme des fous furieux

je ne sais pas combien de nuits nous avons dansé au son de cet accordéon qui n’avait plus pour nous sa sonorité habituelle, on se trémoussait sans écouter les notes de musique, tant il nous semblait que ce n’était pas un accordéon qui jouait mais bien plutôt une cloche qui sonnait le glas du coucher du soleil au lever du jour pour nous rappeler l’atroce vérité de nos vies humaines qui n’avaient jamais tenu et ne tiendraient jamais qu’à un fil

pauvres de nous

non, je ne sais pas combien de nuits nous avons perdu la tête dans les vapeurs enfumées de la taverne de Gaston, et je ne vous dirai pas combien de colons se sont retrouvés au cimetière, allongés pour l’éternité entre quatre planches de bois blanc

notre tombe, sur laquelle Henri avait planté une croix avec le nom de famille de Louis Callot

notre tombe a très vite été agrandie pour faire de la place à nos deux fils, morts d’une manière que je préfère taire, tant les mots seraient impuissants à décrire les souffrances de nos deux garçons qui ne demandaient qu’à profiter de la vie qu’Henri et moi leur avions donnée

sainte et sainte mère de Dieu, vous m’avez arraché la moitié de mon cœur"

 

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12 février 2023 7 12 /02 /février /2023 14:37

"Certains ne deviennent jamais fous ... Leur vie doit être bien ennuyeuse." c'est la déclaration de Charles Bukowski choisie par l'auteur comme exergue de son roman.

Ce roman est effet est le récit d'un enfant dont les parents vivent un amour fou et une existence à sa mesure rythmé par danse, musique, alcool, fêtes, château en Espagne ... à en perdre la tête. L'enfant dans cette affaire est à la fois témoin, complice, victime et bénéficiaire : faute d'adaptation à l'école, sa mère lui a accordé une "retraite anticipée" qui lui permet de participer aux aventures familiales, toujours accompagné de la demoiselle de Numidie, "Mademoiselle Superfétatoire". Un sénateur, surnommé "L'ordure"  est l'ami protecteur de la famille, il participe aux fêtes et aux frais. Mais un jour, un huissier se présente au domicile du couple et la vie bascule... 

Ce roman tourbillonnant, pétillant, drôle, spirituel et pourtant tragique a remporté plusieurs prix en 2016 mais je ne le découvre que maintenant au hasard de pérégrinations en librairie. Il a pourtant été adapté au théâtre et au cinéma !

extrait choisi : "Elle s'extasiait de tout, trouvait follement divertissant l'avancement du monde et l’accompagnait en  sautillant gaiement. Elle ne me traitait ni en adulte, ni en enfant mais plutôt comme un personnage de roman. Un roman qu'elle aimait beaucoup et tendrement et dans lequel elle se plongeait à tout instant. Elle ne voulait entendre parler ni de tracas, ni de tristesse.

_ Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver.

Alors je lui racontais ma journée imaginaire et elle tapait frénétiquement dans ses mains en gloussant :

_ Quelle journée mon enfant adoré, quelle journée, je suis bien contente pour vous, vous avez dû bien vous amuser !

Puis elle me couvrait de baisers. Elle me picorait, disait-elle, j'aimais beaucoup me faire picorer par elle. Chaque matin, après avoir reçu son prénom quotidien, elle me confiait un de ses gants en velours fraîchement parfumé pour que toute la journée sa main puisse me guider" 

 

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21 janvier 2022 5 21 /01 /janvier /2022 14:58

Enki Bilal vous connaissez, bien sûr ! Moi je le connaissais à travers ses bandes dessinées et j’ai eu l’occasion de voir une exposition à la fondation Leclerc de Landerneau mais je ne connaissais pas l’écrivain. Si Nu avec Picasso est une lecture plutôt simple et distrayante, en faire une critique me parait plus complexe. 

Enki Bilal , le personnage qui se déplace dans un Paris dépeuplé se trouve projeté, propulsé contre sa volonté par une main inconnue, nauséabonde dans un bâtiment. Le lieu est obscur comme la nuit mais le personnage, Enki, voit comment en plein jour. Sa tête heurte un vase que porte une statue de bronze. Il perd connaissance et à son réveil se retrouve sur un lit de camp. Est-il séquestré ? Est-ce une prison politique ?

Sur le mur, près de son lit, sont inscrits des noms d’intellectuels d’aujourd’hui : Kamel Daoud, Lydie Salveyre... Ont-ils aussi été séquestrés? Mais non, ce n’est pas une prison mais plutôt un musée. Comme ceux dont les noms sont inscrits là, Enki Bilal expérimente une nuit au Musée Picasso !

Commence alors une longue déambulation et de multiples rencontres mais pas n’importe lesquelles. Successivement, tableaux, statues, deviennent concrets, parlent, ils peuvent même dire leur mécontentement de la façon dont l’artiste les a représentés. Les œuvres ne sont plus simplement des toiles accrochées sur les murs, des statues statiques d’un musée. Les modèles s’expriment et l’on côtoie Dora Marr, Marie-Thérèse Walter, Maria Luisa Peredès, Pablo et d’autres modèles encore que l’on retrouve dans le tableau Guernica. Plus drôle encore, le cheval de Guernica devient un personnage « il dit s’appeler Aquilino ». Enki Bilal devient lui-même un des modèles de Guernica.

Pour faire bonne mesure, on retrouve le peintre Goya et le patron, Picasso. Évidemment Enki et tous les autres protagonistes durant toute la déambulation sont nus. Mais Enki est enjoint à montrer qu’il fait partie du clan de ceux qui transmettent. Il entreprend de dessiner Marx, Lénine, Staline... Pour Goya, il est bien clair que de Hitler à Mao Tse Toung  cela demande des explications ! « C’est comme Napoléon, pour vous », lui dit Dora Marr.

Ce petit livre et les conseils de prélecture nous entraînent dans une découverte alternative, plaisante et instructive de l’œuvre de Picasso mais pas seulement. L’auteur nous dévoile aussi son amour pour Picasso, amour dans lequel apparaît aussi une pointe de jalousie.

Fantasmagorie, humour, hommage, philosophie se conjuguent ici pour le plus grand plaisir du lecteur et tout cela par le texte mais aussi par le dessin, bien caractéristique d’Enki Bilal. P 47 par exemple il réinterprète « La femme du pleure » de Picasso.

Extraits

P 35 : « L’actualité et l’Histoire qui travaillent les artistes et les secouent… Il faut mêler les événements, chercher leur sens dans la profondeur du temps. Une violence historique du dehors aurait provoqué une violence hystérique du dedans ? Picasso en est-il conscient ? »

p 81 82 : «  Picasso ouvre la bouche pour dire ça : “Alors tu seras mon nu couché.”

L’instant d’après je suis allongé sur le flanc. Il me fait basculer sur le dos tout en me demandant de garder 
le bras gauche tendu par-dessus la tête, paume ouverte. La position est Intenable (torsion au niveau de 
l’épaule), d’autant qu’il me faut à présent tendre dans le sens opposé mon bras droit, avec dans la main un 
glaive en bois brisé à la moitié de la lame. Mon allonge ne le satisfaisant pas, Picasso tranche. Le bras sera 
coupé, quelque part au niveau du coude et légèrement éloigné. Mes deux bras ainsi disposés au bas du 
cadre offriront une assise plus dramatique à l’ensemble du tableau. Ma tête, ou plus précisément ma nuque,
reposera sur le sabot arrière droit d’Akilino, qui je le sens, darde sa langue pointue dans les hauteurs de la 
toile sous l’ampoule-oeil qui clignote”

 

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5 octobre 2020 1 05 /10 /octobre /2020 20:55

Derrière trois citronniers et un cep de vigne

 

Ce roman commence à la fin du XIXe siècle, lorsque le phylloxera détruit les vignobles du Juras. 

Comme plusieurs de ses contemporains, le héros quitte le pays,  un cep encore sain en poche, et prend un navire en direction de la Californie. Le hasard  fait cependant qu'il s’arrête au Chili et s'installe à Santiago dans une demeure de style andalou dont la façade était cachée par trois citronniers. Là il fonde une famille qui n'aura de cesse de quitter le bercail pour la France puis de rentrer au bercail, au moins lorsque cela reste possible. Le roman nous raconte l'histoire de cette famille nommée Lonsonnier à la suite d'une confusion avec la ville de ses origines, Lons-le-Sonnier et c'est aussi l'histoire du monde qui heurte de plein fouet plusieurs de ses membres : les tranchées de la première guerre mondiale fauchent deux des fils Lonsonnier, les batailles aériennes de la seconde guerre mondiale meurtrissent sa petite-fille et pour finir la dictature de Pinochet oblige son arrière petit-fils à l'exil en France. Les pages qui évoquent la torture des prisonniers de Pinochet à la villa Grimaldi sont particulièrement saisissantes.

 

Mais ce roman ne se résume mais si aisément. Outre l'arrière-plan historique, il est étonnant par le rôle de l'élément magique qui sert souvent de lien entre les éléments :  "vieille femme couverte de bracelets, aux lèvres jaunes, assise sur une chaise de rotin, au front tatoué d’étoiles" d'abord puis, à plusieurs reprises, "un machi célèbre, un guérisseur mapuche, appelé Aukan, qui fascinait les foules autant qu’il repoussait les scientifiques. Cet homme étrange, promis à jouer un rôle essentiel dans l’histoire familiale, disait être né dans la Tierra del Fuego, issu d’une interminable descendance de sorciers et d’ensorceleurs. Il avait traversé l’Araucanie à pied, fuyant les missionnaires et les frères jésuites qui fondaient des communautés, où il avait gagné sa vie en se livrant à des prescriptions de médecine surnaturelle, là où la médecine naturelle avait échoué. Il avait dans son sourire un soupçon de malice, des anneaux aux poignets et une bague à son index trouvée dans l’estomac d’un poisson. Son dos était comme un chêne large, sur lequel tombaient de longs cheveux noirs, attachés avec une barrette indigène. Toujours vêtu d’un poncho qui laissait à découvert son épaule gauche, il portait un épais ceinturon d’argent, adorné de grappes de cascabelles, et un pantalon en peau de vigogne dont le pli effleurait la chaussure. Quand il souriait, ses dents avaient une lueur bleuâtre et, quand il parlait, des paroles étranges aux inflexions mystiques, avec un accent insituable, semblaient venir non pas tant d’un autre pays, mais d’un autre temps, d’une langue si singulière qu’on n’aurait su dire si elle existait ou s’il l’inventait sur-le-champ."

J'ai beaucoup aimé ce savant assemblage du réalisme historique et de la magie, les personnages sont attachants et remarquablement dessinés.

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