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21 février 2025 5 21 /02 /février /2025 14:39

"Dire le sens de nos vies est moins facile que d’exalter leur complexité." Cette première phrase du roman en pose bien le cadre. En effet, tout le récit exalte la vie bien complexe d'un vieil homme rencontré sur un banc dans un cimetière niçois. 

Cet homme, Valdas, avait 15 ans en 1913 et passait les vacances dans la villa mauresque de l'Alizé en Crimée avec sa belle-mère, Léra, entourée d'artistes avec lesquels elle jouait la comédie, tandis que son père, Guéorgui Bataeff, éminent avocat, devait rentrer à St. Petersbourg pour son travail. Déjà, Valdas éprouvait un certain dégoût pour cet univers d'argent et de comédie ! 

L'envie d'aller voir plus loin le mène sur la côte, là où les contrebandiers sont pourchassés par les gardes-côtes. C'est là qu'il rencontre, Taïa, celle dont il se souvient encore, lorsque, vieillard, assis sur un banc de cimetière niçois, il dit " « La femme que j’aimais ne demanderait rien d’autre – ce vent ensoleillé et la ligne de la mer entre les cyprès. Désormais, cela nous suffit pour être vivants…" Cette femme pourtant ne croise Valdas que ponctuellement et lorsqu'ils se retrouvent, par hasard, fuyant la violence de la guerre civile qui ravage le pays, ce n'est que peu de temps en 1920, avant qu'elle ne tombe sous le feu des révolutionnaires.  «Ne dites jamais, avec reproche : ce n’est plus. Mais dites toujours, avec gratitude : ce fut." Cette inscription sur une tombe du petit cimetière illustre bien la dévotion de Valdas pour cette femme, bien plus tard. 

Dans sa vie, en Russie puis à Paris, il rencontre d'autres femmes, il en épouse même une mais décidément, comme sa belle-mère autrefois, les femmes sont infidèles.  C'est la comédie humaine !

Durant la guerre 39-45 à Paris, Valdas rencontre deux personnes qui suscitent son admiration : un résistant qu'il retrouve plus tard, revenu des camps de concentration et Rohr, oublié des dieux, qui cache Valdas poursuivi par la Gestapo, mais meurt sous les balles allemandes lors de la Libération de Paris ! Mais il a aussi Julien Soupault pour qui il accepte de mentir lorsque celui-ci a besoin du secours d'un résistant pour échapper à une condamnation pour collaboration.

Le détachement et la magnanimité de Valdas sont en effet ce qui marque le plus dans ce personnage : à son épouse qui le trompait, il laisse la maison qu'il vient de construire et s'accuse de tromperie pour éviter qu'elle se sente coupable ! Au collaborateur qui avait accaparé le cabinet d'architecture d'un déporté, il porte secours!

Comment peut-on raconter une vie si pleine en si peu de pages ? C'est une prouesse et Andrei Makine relève avec brio le défi ! L'écriture, toujours précise, claire, travaillée, parvient à donner à une telle puissance aux portraits et aux situations que je ne les oublierai pas de si tôt !

extrait :  Ils finirent par se revoir, en 54, de façon pas vraiment inattendue car conviés tous deux à la célébration du dixième anniversaire de la libération de Paris. Dire que Jean Holtzer avait vieilli eût été une figure de style : c’était une ruine, à la démarche lente, un homme que Valdas n’aurait pas reconnu au milieu d’une foule. Mais là, les organisateurs épelèrent tous les noms et il vit ce qu’était devenu Holtzer. Après la cérémonie, ils se saluèrent, avec une retenue gênée : chacun redoutant d’apprendre le côté sombre de l’autre. Valdas proposa d’aller prendre un verre et, difficilement, comme s’ils étaient encore obligés de garder le secret, ils se parlèrent, surpris de s’être si formidablement trompés l’un sur l’autre. Non, ce n’était pas Holtzer qui avait dénoncé Valdas mais un tout jeune homme, un simple « agent de liaison » qui escomptait être bien rémunéré par les Allemands. « C’est même plus compréhensible qu’une trahison sous les menaces et les coups, expliqua Holtzer. On n’imagine jamais le nombre de gens qui seraient prêts à trahir pour se payer un dîner ou épater une jeune femme… C’est ce que ce gars avait obtenu. » Lui-même n’avait pas pu s’échapper et, après des tortures qui avaient « ébranlé sa foi », s’était retrouvé à Buchenwald, ne rentrant à Paris qu’en juin 1945

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