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Prix Goncourt des Lycéens 2024, ce roman dont l'histoire se déroule hors du temps, dans un pays-arrière, on ne sait où, est longtemps pris en charge par un narrateur énigmatique, _le chien de Rose !_ puis par un narrateur extradiégétique. Le récit présente d'une façon quasi toujours chronologique la vie d'un hameau des Montées : trois maisons abritent, tant bien que mal, trois familles : celle de Rose, qui vit seule avec son chien jusqu'à l'arrivée de Madelaine. Celle d'Ambre et de son mari, sabotier, mais ivrogne, Léon. Celle d'Aelis, jumelle d'Ambre, de son mari, bucheron, Eugène et de leurs trois fils, Germain, Artaud et Mayeul. Eugène a la chance d'avoir un cheval, Jéricho, qui lui est fort utile dans son travail.
Tout ce petit monde vit sur les terres des seigneurs du coin, les Ambroisies et redoute les impôts que les Ambroisies exigent chaque année et redoutent plus encore, la folie d'Ambroisie-le-fils qui parcourt les campagnes avec son cheval, décimant les récoltes, écrasant les enfants et troussant les femmes. À cela s'ajoute, la rigueur du climat qui saccage le travail des paysans, la faim, le gel qui torturent les êtres, la fatalité qui empêche tout espoir ! la solidarité familiale permet certes de mieux supporter tous ces fardeaux, mais elle ne garantit jamais le bonheur. La révolte est si périlleuse que seule la jeune Madelaine l'ose et cela provoque de grands malheurs dans le village.
Construit comme une tragédie, le prologue annonçant déjà l'inévitable malheur, ce roman est touchant par ses personnages dont on partage les espoirs, les colères, la soumission à la fatalité !
Terrible tragédie, hors du temps, dans un univers quasi mythologique où se côtoient le fleuve Basilic, le cheval Jéricho et les seigneurs Ambroisie, c'est aussi un roman de la misère et de la révolte qui rappelle la terrible histoire de Jacquou Le Croquant d'Eugène le Roi.
Le roman se teinte cependant d'une certaine modernité, accordant à la question de la place des femmes dans le monde, une place privilégiée. Est-ce ce qui a séduit cette année les lycéens ?
Extrait choisi : " Je n’en avais jamais vu avant elles. Ambre et Aelis sont des jumelles. Cela n’arrive pas souvent et les gens se méfient quand les ventres des mères donnent la vie deux fois coup sur coup, soulagés lorsque l’un des deux enfants meurt à la naissance. Car pour eux, il n’y a rien de normal dans ces corps et ces visages qui se ressembleront goutte pour goutte tout au long de la vie, ces êtres dont on ne saura jamais vraiment si c’est l’un ou l’autre, si c’est humain, si au fond ce n’est pas le diable. Rose a ri en racontant il y a longtemps qu’Ambre et Aelis ont survécu toutes les deux et cela a causé bien du souci à leurs parents d’accueillir deux enfants d’un coup, deux filles qui plus est, qui n’auraient pas la force des fils, qu’il faudrait marier et presque payer pour qu’on les emmène. D’ailleurs il s’en est fallu de peu qu’on ne les jette dans le Basilic une nuit quand tout le village dormait. Cependant les nouvelle-nées étaient d’une beauté saisissante ; sans doute leurs parents les ont-ils gardées par une sorte de superstition confuse, mélange de fascination et de peur, n’osant défaire ce que le ciel avait fait si seulement c’était lui."