Le Pays blanc m'a rappelé un projet européen qui m'avait permis de rencontrer Aleksandra et quelques autres et m'avait conduite à Poznan pour un échange sur l'identité européenne. Justement, l'un des sujets majeurs de ce roman est la construction de son identité, celle des quatre générations de personnages, mais aussi celle de la Pologne, le "pays blanc". L'histoire commence en 1926 à Nowa Wies et s'achève de nos jours à Cracovie.
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Une des caractéristiques de la famille de ce récit est la gémellité qui se reproduit dans deux générations, mais aboutit à un même effet : les jumelles se séparent, l'une quitte la Pologne pour la France et veut oublier ses origines polonaises, chacune garde secrète l'histoire de leur séparation de sorte que leurs descendants sont confrontés à une énigme.
Autre caractéristique de la famille : La rencontre d'un Juif par deux des femmes de la famille pose manifestement un problème et aboutit à la naissance d'enfants illégitimes, ce qui complique encore la quête d'identité des descendants.
C'est que la Pologne a vécu avec encore plus d'acuité que la France la question juive puisqu'une grande partie de la population juive d'Europe vivait en Pologne, or ce pays a longtemps cherché ses frontières, lorgnées par l'Autriche, puis l'Allemagne Nazie et par l'Ukraine et la Russie !
L'image choisie pour la couverture du roman publié chez Fleuve édition est représentative de la quête solitaire que mène les héros de ce roman et la ligne tracée dans la neige peut évoquer ces frontières fragiles, souvent redessinées, qui font de la Pologne une sœur de l'Ukraine actuelle.
extrait choisi : Elle hésite, attrape un coussin et le pose sur ses genoux, tout en continuant à se balancer. Du bout des doigts, elle caresse la couture du tissu bariolé, ouvre les lèvres, inspire, s’apprête à parler. Ne dit rien finalement.
Dans ce silence, j’estime le poids de son secret. Et il me pèse.
Je pourrais insister, mais je lui fais assez confiance pour savoir que ce qu’elle me tait est voué à me protéger. Janek garderait le silence, lui aussi, j’en suis sûre. Je pourrais jouer la carte de l’inquiétude, avancer que maman n’est plus la même, se plaint de fatigue, est peut-être souffrante… Janek, autant qu’elle, saurait à quoi s’en tenir. À part du passé, Stanisława n’est malade de rien. Cette maladie mérite toutefois d’être prise au sérieux.
Dans mon for intérieur, j’en viens à penser que nous étions juifs avant. Forcément. Pourquoi maman réagirait-elle si vivement, sinon ? Ses paroles refluent parfois dans ma mémoire : « Nous allons revenir à notre place. » Dans le ghetto, souricière des Juifs affamés, violentés et déportés par milliers… « On n’échappe pas à son destin, de toute façon. » Fatalité. Je savais pourtant ce qu’elle me répondrait si j’osais lui poser la question qui me brûlait les lèvres dès que nous passions un moment ensemble.
« On était juif dans la famille, avant ?
— Enfin, qu’est-ce que tu vas chercher ? On est catholique, rien d’autre que catholique ! Cesse de te mettre de pareilles idées en tête, c’est ridicule. »
Son ton serait tellement incisif que je n’oserais pas lui rappeler les paroles qu’elle avait laissé échapper par mégarde, pas plus que je ne m’aventurerais à lui signaler ses plaintes et sa fatigue continuelles.