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26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 18:41

Ce roman vient de sortir en poche folio mais il a remporté en 2016 à sa

sortie chez Alma Éditeur le prix Renaudot des lycéens. C’est un premier roman déjà bien établi en somme.

Dans la lignée de femmes héroïnes de ce roman, Marie, sa fille Magdalena, sa fille Libuse, sa fille Eva qui se ressemblent et s’engendrent comme des poupées gigognes, sans papa ou presque. Bien sûr, il y a bien eu des géniteurs mais sur la ligne ad hoc des filles, pas de nom du père. Celui d’Eva est peut-être un beau blond russe, mais il a disparu, chassé par le beau-père de Libuse, le jour même où il a apporté sa petite graine, celui de Libuse est le fils d’un propriétaire qui a dû s’exiler lorsque sa propriété a été confisquée au profit des coopératives, celui de Magdalena est un médecin juif qui s’est enfui avec sa famille quand la menace est devenue trop oppressante à Vienne. Les pères sont donc absents et les beaux-pères, alcoolique et violent pour l’un, absent pour l’autre, ne font pas office de pères.

Ces femmes par conséquent s’assument seules : Marie est tour à tour et parfois simultanément sage-femme, brodeuse, cuisinière et aubergiste, Magdalena  aussi brode et soigne les vaches, puis travaille en usine,  … Elles ont de la volonté et du caractère.

Autour d’elles gravitent toute une panoplie de personnages plus ou moins sympathiques et tolérants : une française qui vit entourée de livres, une enseignante qui teste les capacités d’Eva à entrer dans la grande école, un maire, embarrassé par la mission d’expulsion qu’il doit exécuter, un jeune communiste qui n’hésite pas à brûler la grange de son patron pour l’obliger à renoncer à sa propriété et qui gravit ensuite les échelons, …  

C’est que dans cette fiction  qui se construit avec en arrière-plan l’histoire de la Tchécoslovaquie des années 30 à aujourd’hui on est bien loin de l’Ostalgie ! Les communistes y élèvent les vaches en batterie_ce qui scandalise nos héroïnes , ils dépouillent les propriétaires, ils imposent l’uniforme scolaire à la jeune Eva, la seule de toutes semble-t-il, qui ait été scolarisée, ils exigent des élèves qu’ils participent à des groupes de jeunes pour des activités civiques. Dans la lignée de ces femmes, on pratique une résistance passive en évitant les réunions communistes et en évitant l’adhésion. Pour Eva, comme l’entrée à la grande école est  conditionnée par cela, le costume, l’étoile rouge et la participation aux groupes « Étincelles » est toléré mais ensuite Eva préférera quitter l’école plutôt que de devoir joindre le groupe des « Pionniers » puis les « Jeunesses communistes » où il faudrait travailler sans même être payée, lui prédit son arrière beau-père (celui qui est un ivrogne, violent, incestueux).

Mais même si ces femmes, sauf Eva, ne sont pas scolarisées, curieusement, elles aiment les romans, notamment La Dame au camélia !   

Le texte est écrit avec ce goût manifeste des mots et plusieurs pages la poésie. Comme c’est demain la fête des mères, je choisis cette citation pour preuve : « Ma maman Liba, Libunka. Quand le nom ou le prénom est beau, ça ajoute du beau au beau, j'ai remarqué ça. J'appelle ma maman Libunka, c'est le plus joli de tous les prénoms, je trouve. »

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 13:29

Du tout au tout est un roman poétique, satirique, dystopique et magnifique si ce n'est les

écarts langagiers qui jonglent entre le familier et l'argotique. Certes, dans la tradition rabelaisienne, c'est là une langue qui peut faire merveille et même qui donne au roman sa singularité mais cela l'exclut je le crains des CDI et des cours de lycée où pourtant il aurait sa place. En effet, on peut considérer Du tout au tout comme une réécriture de L'Écume des jours à bien des égards : l'univers des quatre-vingts premières pages rappelle celui de Colin : celui-ci est devenu Pierre Pierre mais c'est la même simplicité onomastique et le même portrait lisse et policé. Si Colin est riche et oisif, Pierre n'est ni l'un ni l'autre mais tous deux ont de la chance en dépit de leur maladresse : ici Pierre Pierre qui traînait sur un banc comme les "clodos qui cocotaient l'eau de Cologne" et dont "les cheveux étaient propres comme ceux d'une communiante", la "peau rosée", les "ongles faits"... Pierre Pierre, donc, rencontre César de la Mer, fondateur et patron du Poséidon et se fait engager. Colin a des souris gentilles et empathiques, Pierre Pierre a un chat, Mohair qui gonfle de bonheur quand le monde est à l'harmonie, Colin rencontre Chloé, Pierre Pierre rencontre Isis mais un jour Chloé est victime du nénuphar, mais un jour César de la Mer se retire au cimetière des bateaux, vieux et ruiné. Alors la DRH commet l'irréparable et tout de dégrade, les esthètes du Poséidon sont remplacés par les datas et par les mails des bazoomails de l'entreprise qui désormais est celle de Vulcain, Isis y perd son âme et celle de César s'échappe par toutes les fissures de la bâtisse qui de forme ovoïde est de devenue pyramidale, Mohair est devenu si petit que Pierre Pierre le transporte dans un tube.

Dès lors le roman se fait critique d'une société dans laquelle on reconnaît bien des défauts de la nôtre. Un exemple, p 253 : "On était quatre cents salariés du temps de César. En trois mois, tu sais à combien on est passé ?

_ Trois cents. Moins 25% d'effectif en un trimestre. Par contre, on a trois cents contrats pro.

_ Un par personne. Pour s'en souvenir, c'est du nougat. Ça vient d'où cette mode ? On est tombé sur une ruche ?

_ Le nouveau code du travail. Plus on exploite les mômes, moins on paie d'impôts. Tu parles que c'est pas passé à la direction... On les prend, on les lessive, on les essore et on les jette. Pauvres gosses... "

C'était mon premier roman d'Arnaud Le Guilcher, j'y reviendrai, c'était un très bon moment.

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15 janvier 2018 1 15 /01 /janvier /2018 09:28

Ce roman, publié en 2012 aux éditions de La Fosse aux ours, relate le voyage que fait le héros, Gouri en direction de Pipriat sa ville d'origine devenue ville interdite depuis l'accident nucléaire de Tchernobyl en 1986. Gouri est un poète qui travaillait autrefois à la centrale, il vit désormais à Kiev depuis l'évacuation de Pipriat mais sa fille Ksenia est malade, sans doute contaminée et il veut rapporter à Kiev la porte de sa chambre, objet chargé de souvenirs.

Au cours de son voyage, il s'arrête pour revoir son ami Iakov. Celui-ci est très mal en point. Comme les autres, il avait accepté de faire oeuvre citoyenne en allant "enterrer la terre" après la catastrophe mais il en paie très cher les conséquences. Éva son épouse prends soin de lui et aussi de ses voisins qu'elle reçoit chez elle au dîner : Svetlana qui peint des pierres et son époux le vieux Léonti qui a entrepris de reconstruire sa maison, le jeune Piotr, qui semble avoir perdu la tête et le mystérieux Kouzma. Ensemble ils partagent de nombreux verres de vodka, la soupe de poulet le chou. Kouzma met en garde Gouri : "tu me retrouveras rien de ce que tu as connu là-bas." dit-il. Il dresse même un portrait terrifiant de Pipriat : "Mais avec le temps, ce qui finit par te sauter en premier à la figure, ce serait plutôt une sorte de jus qui suinte de partout, comme quelque chose qui palpiterait encore. Quelque chose de bien vivant et c'est ça qui te colle la trouille. Ça, c'est une vraie poisse, un truc qui s'attrape partout. Et d'abord là dedans. De son pouce, il tapote plusieurs fois son crâne. Je sais de quoi je parle"

J'aime beaucoup l'écriture de ce roman, la plongée dans l'univers des personnages, la tendresse avec laquelle l'auteur en dresse le portrait mais je suis très déçue par la fin : je n'ai pas compris le revirement de Kouzma qui choisit d'accompagner Gouri  à Pipriat, l'aide à récupérer sa porte et même, bizarrement et à plusieurs reprises, "est contre Gouri" (p 109). Or alors que Gouri attend Kouzma parti guetter les pilleurs à Pipriat, Gouri pense que "ce n'est pas Kouzma qui le tracasse. Kouzma, ce n'est pas important. Qu'il meure, même, et ce ne serait qu'un petit drame de plus [...] Il envisage sa lâcheté." Heureusement Kouzma revient, ils rentrent ensemble jusque Marianovka où Kouzma "disparait entre les arbres".

Gouri aurait-il été un temps victime de la "vraie poisse" dont parlait Kouzma ? Il finit pourtant par tenir sa promesse chez Iakov, l'aidant à écrire à Éva sa lettre d'amour et d'adieu.

Extrait représentatif (p.34) : "On nous emmenés dans un camp vers ces coins-là, près du village de Tchestoganivka. On était une douzaine, peut-être un peu plus. Le chef a expliqué ce qu'on avait à faire. Il a dit, et je te jure que c'est exactement ce qu'il a dit : les gars, on va enterrer ce champ. On l'a regardé sans comprendre, et il a répété les mêmes mots. Alors, ce qu'il faut faire, a fini par demander l'un d'entre nous, c'est ni plus ni moins qu'enterrer la terre."

   

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17 décembre 2017 7 17 /12 /décembre /2017 19:43

Ce livre n'est pas un roman, loin s'en faut ! c'est le réel le plus cru, le plus déprimant, le plus désespérant possible, un récit autobiographique aux chapitres brefs, entrecoupés de pages blanches comme des abîmes.

J'avais déjà lu Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas et vu Moi, Corinne Dadat, un spectacle de Mohamed El Khatib mais je n'étais pas préparée aux premières pages de ce livre, elles ont failli me faire abandonner la lecture. Heureusement l'auteure a une plume qui lui permet de partager les affres de l'existence avec son lecteur jusqu'au bout. C'est qu'elle cumule les difficultés de sa jeunesse d'enfant d'immigrés algériens à La Ciotat au déclassement social lorsqu'après la naissance de son fils, elle ne parvient plus à retrouver un rôle au théâtre alors qu'elle jouait jusque là dans des théâtres subventionnés où elle gagnait jusque 4000 euros mensuels. Elle prend alors des heures de ménage, jusque quinze heures par semaine à dix euros l'heure et chaque journée devient un calvaire. "J'ai mal à Platonov" écrit-elle, se souvenant de Tchekhov et de son "Fou de Platonov"   "C'est seulement maintenant que je peux en percevoir toute l'âpreté, car elle définit si justement ce que je ressens, l'état épouvantable dans lequel je me trouve.

J'ai mal à Platonov.

Du désenchantement de l'existence. Cette fois, à n'en pas douter, elle m'a touchée au cœur." (p 90) L'auteure, heureusement s'est maintenant fait un nom dans le monde de la littérature, juste retour des choses.

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4 décembre 2017 1 04 /12 /décembre /2017 21:47

Cette oeuvre est un roman, c'est écrit sur la couverture. Dans les cinquante cinq premières

pages, j'en ai presque douté tant la description de la violence que vivent les personnages mais aussi les personnes est épouvantable. Les cinquante cinq premières pages semblent être une sorte de reportage sur les horreurs que subissent les femmes quand elles deviennent objets sexuels ou quand le viol est une arme de guerre.

Ensuite, heureusement, le roman reprend le dessus : les deux héros acquièrent un prénom, une histoire, un univers qui leur est propre. Ils s'humanisent et deviennent attachant, l'un comme l'autre, la jeune fille victime, comme son tortionnaire qui se révèle lui aussi victime du destin. Ces pages sont particulièrement touchantes et bien écrites. On y lit par exemple : "Elle comprend ou croit comprendre cela très vite, Marie. Que pour qu'on l'aime il lui faudra sans cesse s'inventer. Et plus elle grandit, plus il lui semble que dans une simple répétition de ce qu'elle est : une enfant vive et facétieuse, ce qui suffit à beaucoup, elle disparaîtrait. C'est une conviction qui la taraude, qui la pousse aux prouesses tout en faisant grandir en elle une perpétuelle inquiétude." (p 70) ou à propos d'Édouard, son tortionnaire : "Il faut dire qu'il a été invisible avant d'être irregardable. Son père, produit du bel amour, en quête de grandeur, devenu chirurgien des guerres lointaines , réparateur mercenaire des gueules fracassées _ quelle ironie _, ne rentre que rarement auprès des siens et, lors, flamboyant, héroïque, les pensées restées au front.  Il n'a, pour son calme foyer, que peu d'attention." L'ironie dont il est question ici fera disparaître le  père "chirurgien des gueules cassées" quand son fils  en aura le plus besoin.

Une troisième partie nous dévoile la souffrance des parents et amis. Les voilà contraints de parler devant une caméra, trois ans après la disparition de Marie. Cette partie du roman m'a semblé moins émouvante, moins crédible, plus froidement clinique. Cela se rapproche trop clairement de la réalité, cela sent l'enquête.

Entre les pages de cette histoire de Marie et d'Édouard, l'auteure glisse de courts paragraphes au milieu de pages blanches pour évoquer les femmes, partout dans le monde, "prises sans répit tout au long de l'histoire humaine [...] jetées, livrées aux crachats ou finies à la machette, à la kalach, à mains nues" (p 66)

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26 novembre 2017 7 26 /11 /novembre /2017 14:05

Depuis L'Herbe des nuits que j'avais présenté ici en 2013, je n'avais pas eu l'occasion de me

remettre dans l'univers si particulier de Modiano.

Mettez Paris, quelques livres, quelques femmes, quelques souvenirs, quelques rêves dans un flacon et secouez comme on le fait avec une boule à neige et vous retrouvez le monde de Modiano. Enfin presque ! en réalité vous n'en aurez qu'une représentation approximative mais pas la quintessence.

Dans Souvenirs dormants, il me semble qu'on l’atteint un peu : Paris est là bien sûr, mais c'est surtout  des noms de rues, de quartiers, de lignes de métro qui constituent autant des mélodies, des refrains que des images fugitives d'un Paris au mois d'août où on s'étonne à peine de retrouver une femme connue autrefois, réfugiée au fond d'un restaurant d'un autre temps nommée "La Passée", vêtue d'un manteau de fourrure. Dans ce Paris on croise et recroise des femmes dont on ne connaît pas grand chose. Des intrigues multiples commencent mais ne connaissent jamais de développement menant à une résolution. Le narrateur intradiégétique écoute, observe, parfois intervient dans l'histoire de ces femmes avec lesquelles il se montre attentif, empathique sans qu'on puisse bien identifier ce qui les lie. Tout cela est dit sur un rythme lent, comme égrené, entrecoupé de multiples silences que matérialisent les blancs entre les très nombreux chapitres de ce roman.

En somme, lire Souvenirs dormants, c'est un peu comme traverser un rêve où des lambeaux du réels se croisent et se perdent de vue sans que cela soit inquiétant. D'ailleurs, où est le réel et où est le rêve ?

"Je me demande si le souvenir lointain et confus d'un après-midi d'été passé à Saint-Maur ne m'a pas fait écrire, quarante-six ans plus tard, dans un cahier, à la date du 26 décembre 2011, ces quelques lignes :

Rêve. Je suis en présence d'un commissaire de police qui me tend une convocation sur du papier jauni. La première phrase évoque un crime sur lequel je dois témoigner." (p.95)

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21 novembre 2017 2 21 /11 /novembre /2017 19:18

Paris, rue du Rendez-Vous, Franprix, caisse 4. Ici, le vendredi matin est un point

d’intersection entre 3 chemins de vie : la caissière, l’homme sombre et notre narratrice observatrice. De cette rencontre hebdomadaire ressort des éléments de leur passé, de leur présent. Jeanne raconte. Premièrement, elle imagine à partir de ce qu’elle voit : une photo qui s’est égarée, des courses suggestives. « J’ai l’œil, je n’oublie à peu près rien, ce que j’oublie, je l’invente. » Puis, peu à peu, elle remonte leur histoire en alternant avec la sienne. La vieille femme découvre beaucoup de choses au sujet de ces deux personnages tout au long du livre.On devine un point commun entre eux : la solitude.

            La façon d’écrire de l’auteure rend la lecture de ce récit très agréable. Du fait qu’il n’y a pas de schéma narratif ordinaire, ce livre ressemble plus à un journal intime, ce qui nous rapproche de la narratrice. L’alternance entre la vie de Jeanne et celle des autres facilite la lecture. En effet, malgré le fait qu’il n’y a pas de chapitre, c’est fluide et on ne reste pas trop longtemps à parler de quelqu’un, ce qui pourrait devenir ennuyant. J’ai lu dans ce livres de jolies figures de style et je trouve qu’il a un côté poétique. C’est essentiellement narratif, descriptif. De ce fait, la moindre chose hors norme qui se passe, tel que la caissière qui sort de sa cabine, devient un exploit et le rythme du passage accélère.

            Le thème choisi par l’auteure est la solitude. C’est un fait social intéressant et elle le traduit bien dans son roman qui a pour cadre spatio-temporel la ville de Paris, de nos jours. Lorsque qu’un personnage parle (ou parlait si c’est un souvenir), aucune des règles du dialogue que l’on apprend à l’école n'est appliquée. La phrase est insérée dans le texte. « Gordana, […] s’employait à soulager l’angoisse du chien en lui répétant, dans un français rogue et chantant, n’aie pas peur Nino elle est revenue voilà, elle est revenue Nino la voilà n’aie pas peur. » Tous les personnages présentés sont, ou ont été seuls, en passant même par Jeanne la narratrice. Ce récit traite aussi des inégalités sociales et de l’immigration à travers ses portraits : « Si elle était née en France, en Allemagne, ou en Angleterre, en Italie même, si elle était née du bon coté, elle aurait été réparée. ». Les histoires sont aussi touchantes les unes que les autres.

            Ce livre m’a cependant moyennement plu car je suis plus amatrice de récits fantastiques et le cadre de l’histoire était trop monotone pour moi. Cependant je l’ai trouvé facile car on peut faire une pause à tout moment. Si vous recherchez une lecture calme, ce livre a été écrit pour vous !

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18 novembre 2017 6 18 /11 /novembre /2017 18:18

Cette grande fresque romanesque apparaît seulement en deuxième position dans la présentation de quatrième de couverture de ce roman de quatre-cents pages,

après la mise en avant de cet enfant et de ce mystérieux personnage. Cependant c’est bien l’Histoire le personnage principal qui est alors  raconté, retracé, reproduit. Mais pour cela, il faut que quelqu’un se dévoue pour prendre en charge ces travaux conséquents. Un enfant boiteux, voilà notre narrateur, et notre écrivain au passage.

Comment résumer un roman résumant lui-même tant d’années de recherches, basées au départ sur un simple bâtiment, accueillant des fous, le Lazaret ? Je me contenterai alors de repenser à cet homme répétant Taba-taba tout le temps, qui malheureusement n’apparaîtra pas assez de fois dans ce livre pour que je puisse comprendre pourquoi ces mots se retrouvent au plein milieu de la première de couverture. Il laisse place à la mise en scène d’une petite-fille nommée l’Impératrice Eugénie et de sa famille venant d’Égypte dans les années 1862, remplacée par la suite par l’arrivée d’un gymnaste, dont nous suivrons les déplacements qu’il fera avec sa femme, son fils et sa fille à travers la France durant la Première et la Seconde guerre mondiale.

Tous ces récits sont entrecoupés d’une part par des bouts d’histoire naviguant dans les siècles et dans les différents pays du monde. Des chefs d’État, des peintres, des résistants ou encore des inventeurs viennent s’intercaler entre les  nombreuses explications du narrateur. Quand l’enfant, devenu maintenant adulte, décide de ne plus rendre compte avec ses propres mots, il nous dévoile alors de nombreux documents qu’il a recueillis : des lettres authentiques de poilus, des articles de presse ou des citations de grands auteurs comme celle de Victor Hugo Voilà mille ans qu’ils font payer les émeraudes / Des tiares à ceux qui n’ont pas de souliers. D’autre part l’auteur nous rapporte ses aventures. En effet, lui aussi voyage dans le monde entier. Toujours dans la quête d’en apprendre plus sur le Lazaret et ses personnages, il va à la source de leur existence et nous fait part de nouvelles découvertes et d’hypothèses, le menant sur une nouvelle piste.

Des centaines d’informations dans un seul roman. C’est à la fois son point fort et sa faiblesse. Effectivement,  il rend compte dans cet ouvrage d’un travail époustouflant et grandissime. Des heures de recherche incalculables et effrayantes. Cependant quatre cents pages de pures descriptions historiques, cela peut être long … Patrick Deville pense tout de même à ce détail en découpant son texte en quatre-vingt-deux chapitres, permettant de faire une pause sans perdre le fils de l’histoire.

Son style d’écriture nous offre une approche simplifiée sur tous les aléas historiques. Enfin, il laisse au lecteur la possibilité de penser à des faits futiles_  Il prononce les voyelles dans l’ordre qu’il avait appris à les réciter ,a, e, i, o, u, s’aperçoit que « oiseau » est le seul mot à rassembler les cinq voyelles de l’alphabet en un arc-en-ciel de sonorité _ ou de remettre en cause les actions humaines en s’interrogeant sur l’avenir : les tempêtes et les ouragans furent les signes d’un bouleversement climatique qui entraîna la disparition de 95 % des espèces maritimes et de 70% des espèces continentales: parmi celles-ci l’humaine ne figurait pas encore.

Taba-Taba, l’enfant, la petite-fille ou encore le gymnaste, eux qui d’apparence n’ont rien à avoir ensemble, seront finalement assimilés un par un par un coup de maître de Patrick Deville. Mais pour le découvrir, il faudra se laisser guider à travers cette grande fresque historique.

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18 novembre 2017 6 18 /11 /novembre /2017 18:13

Pourquoi Marcello Martini doit-il revenir en France après vingt ans d'absence ? Ce roman

d'Yves Ravey repose sur cette question même si la réponse arrive rapidement dans l'histoire. Au début du livre, Marcello a reçu une convocation du notaire de sa tante qui lui a appris que celle-ci souhaitait le déshériter. Dans cette histoire, Marcello a trois jours pour convaincre sa tante de changer d'avis. Durant ses vingt ans d'absence, Marcello vivait en Afrique où il s'occupait – mais pas dans une grande transparence- d'une organisation humanitaire pour venir en aide aux enfants touchés par la guerre.

 

         Ce livre possède des points communs avec le polar représentant un tête-à-tête entre un neveu qui tente de préserver son héritage et une tante en maison médicalisée qui esquive cette rencontre avec une fausse naïveté. Monsieur Martini apparaît au début comme quelqu'un de sympathique puis se révèle un véritable escroc de petite envergure qui, à vouloir tellement quelque chose, risque de tout perdre. Ce livre est un roman assez épuré qui se lit en une seule fois et nous laisse sur un certain trouble.

 

         Tout d'abord, ce roman est fait d'une écriture vraiment minimaliste, un peu pesante au début mais qui devient, par la suite, un point positif puisqu'il pose une ambiance lourde et oppressante dans l'histoire ce qui rend cette situation plus réaliste. Cette écriture permet de raconter des faits sans analyse psychologique et sans jugement. Cela permet de laisser planer le doute tout le long. Le lecteur rentre très vite dans une situation familiale qui a l'air banale mais qui est en fait inquiétante avec des détails pas vraiment anodins. C'est tout au long de l'histoire que Marcello se révèle grâce à des phases narratives très souvent présentes.

 

         Le roman a toutefois quelques faiblesses. En effet, cette écriture minimaliste peut ennuyer des lecteurs qui préfèrent des histoires plus recherchées. Et la fin de ce livre est très étonnante par rapport à l'écriture qui semblait chercher à laisser le suspens tout le long.

 

         Ce roman peut plaire aux personnes qui ne recherchent pas un style d'écriture élaboré. Pour ma part, j'ai eu beaucoup de mal à plonger dans l'histoire et j'ai été vraiment déçue sur la fin du roman. Il n'est également pas sûr que ce soit un ouvrage susceptible de laisser une trace dans le domaine littéraire et qu'on se souvienne longtemps de l'histoire.

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4 novembre 2017 6 04 /11 /novembre /2017 10:27

Si comme moi, la lecture de La Promesse de l'aube vous a laissé des traces indélébiles, si La

Vie devant soi, J'ai soif d'innocence, et tant d'autres ne quittent pas votre mémoire, alors le livre de François-Henri Désérable est pour vous. Comment, en effet, s'intéresser à ce roman si on ne connaît ni la vie ni l’œuvre de Romain Gary alias Émile Ajar alias Roman Kacew ?

Désérable part sur les traces du jeune Roman Kacew à Vilnius alias Wilno et d'"un certain M. Piekielny" qui avait demandé au jeune Roman de rappeler aux grands de ce monde qu'il ne manquerait pas de rencontrer que "au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M.Piekielny"

De ce M. Piekelny point de traces, autres que dans les propos de Romain Gary dans La Promesse de l'aube chapitre VII et, à la fin du livre, ceux d'une vieille femme qui habitait aussi au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno. Alors Désérable imagine et reconstitue Pikielny, la "souris grise" qui jouait du violon sans bruit pour ne gêner personne, qui comme la plupart des juifs de Vilnius a peut-être été déporté en Sibérie ou bien qui a dû vivre dans le ghetto, puis a été chassé et sans doute mis à genoux au bord d'un trou, assassiné d'une balle dans la nuque comme le fut, affirme Désérable, le père de Romain Gary (cf. p 164) C'est l'occasion de réunir l'Histoire et ses plus horribles moments avec la fiction.

Sur Romain Gary, le roman est nettement plus précis et documenté. J'ai détesté ces pages où Désérable énumère des allégations de Romain Gary et les taxe systématiquement de "mensonges" mais j'ai savouré les pages où il retrace la rencontre de Gary avec Kennedy à la Maison blanche ou la rencontre avec Modiano lors de l'émission Apostrophe en 1980, deux scènes où se mêlent inextricablement fiction et réalité. L'auteur nous propose même ceci : "Imaginez un instant que vous êtes Romain Gary." Il est vrai qu'en cette année 1980, Gary est bien embarrassé par le double jeu qu'il a lui-même mis en place et qui lui vaut d'être le seul écrivain à avoir reçu deux prix Goncourt. Roman Kacew publie sous deux pseudonymes : Romain Gary et Émile Ajar.

Finalement, M. Piekelny comme Romain Gary ont à l'issue du roman acquis la part de réalité et la part de fiction qui font d'eux des personnages de roman à part entière. Désérable lui aussi tente de se situer dans cet entre deux qui unit réalité et fiction lorsqu'il se présente comme l'enquêteur mais aussi comme le compagnon de Marion et comme le jeune homme qui entend hurler une mère quand arrive au bas de son immeuble, la civière portant le cadavre de sa fille."Où finit la vérité ? Où commence le mensonge ?"

"Alors, mon Ramouchka, qu'aurais-tu répondu ? Tu t'en serais sorti, comme toujours, par une pirouette, tu m'aurais dit que l'important c'est d'y croire, et que d'ailleurs j'y avais cru, tu m'aurais dit que ça, la littérature, l'irruption de la fiction dans le réel, en parodiant la bonne vieille parade de Boris Vian, tu m'aurais dit mais voyons, mon cher F.-H., cette scène est vraie, puisque je l'ai inventée." p.242

 

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