Grand reporter et fille de paysans, c'est le grand écart annoncé par le sous-titre et c'est en effet le sujet du prologue :" Je suis une évadée de mon milieu d’origine", écrit l'autrice, expliquant le sentiment d'illégitimité qu'elle a parfois éprouvé puisque issue du milieu paysan de la campagne bretonne.
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Mais ce sentiment est vite balayé par une multitude d'autres problèmes auxquels elle doit faire face : en formation à Strasbourg, on lui reproche sa voix qui la condamne à la presse écrite. Qu'à cela ne tienne, elle travaille sa voix avec une orthophoniste et fait oublier ou accepter cette voix par la variété et l'actualité brûlante de ses reportages.
En 2000, alors qu'elle est déjà un reporter reconnu pour son reportage sur la peste en Inde et surtout pour son reportage sur les Kosovars fuyant devant l'arrivée des Serbes en 1999, elle est capturée, avec son équipe, par les islamistes philippins. Ces sept semaines de captivité auraient pu mettre un frein à son investissement dans le journalisme de reportage, mais l'actualité l'attend, elle repart.
Fille de paysans et femme à la voix de fausset, ex-otage de terroristes islamistes sur l'île de Jolo en 2000 durant sept semaines, Maryse Burgot est aussi mère de deux enfants. Cela ne l'empêche pas de repartir comme correspondante à Londres, puis à Washington, entrainant son époux et ses enfants. Elle évolue vers le reportage de guerre en Syrie puis en Afghanistan puis en Ukraine sans jamais couper les ponts avec ses enfants : "Mon téléphone sonne. Il est dans la poche de mon gilet pare-balles. Impossible de ne pas répondre, même si la voiture avance à toute allure sur cette route défoncée. C’est l’un de mes fils. Entre les soubresauts et la panique, je décroche. Cet appel vient du monde, si éloigné de nous, où la guerre est une abstraction. Il s’agit d’un problème de cuisson de riz. « Quelle est la meilleure méthode pour qu’il soit bon ? C’est-à-dire un peu collant, comme au restaurant, mais pas trop. » Et j’explique ma méthode. Je ne parle pas trop fort, j’ai peur que les membres de mon équipe ne me prennent pour une folle en s’exclamant : « Tu viens d'échapper à la mort, mais tu parles cuisine le plus calmement du monde ?"
Toutefois, cette qualité de femme et de mère contribue à la rendre plus sensible au sort des enfants. " Où que j’aille, dans les endroits les plus improbables de la planète, dans les circonstances les plus joyeuses ou les plus dramatiques, mes deux enfants ne quittent jamais mon esprit. La maternité a colonisé mon âme, les recoins de mon corps et de mon cœur.", écrit-elle et cela explique peut-être son attachement à sauver le petit Jerry d'une mort certaine sur un trottoir de Port-au-Prince après le tremblement de terre de janvier 2010 ou à Kaboul pour éviter à un couple de devoir vendre son bébé.
Concernant le travail de reportage, Maryse Burgot insiste sur le travail d'équipe : partout où elle va, c'est en équipe qu'elle travaille. Un cameraman et un monteur, hommes ou femmes, sachant que le métier de preneur de son en reportage a disparu depuis les années 90-2000. Le monteur envoie le sujet quelques minutes seulement avant pour la diffusion ! L'équipe s'étoffe aussi des fixeurs qui sur le terrain mettent l'équipe en relation avec les personnes ou les organismes concernés. Ces fixeurs sont des gens du pays, auxquels il faut que l'équipe puisse faire confiance et cela demande une bonne cohésion d'équipe et une capacité à décider. Ainsi, lors du reportage au Kosovo, ils font appel à Jovana qui "n’est pas du tout dans le monde du journalisme, c’est plutôt une intellectuelle, un peu artiste à ses heures. Un rien mondaine, blondissime et portant en permanence tailleur et bijoux. Elle est la maîtresse d’un prince monténégrin. Notre preneur de son l’appelle gentiment la Castafiore. " Ils lui font confiance et elle devient l'une de leurs meilleures fixeuses. Lorsque la presse est interdite d'entrée comme à Gaza, l'équipe s'étoffe encore de "relais sur place, des journalistes palestiniens, des caméramans. Des contacts précieux entretenus de longue date par notre bureau permanent et de nombreux journalistes de la rédaction. Ces personnes de confiance nous font parvenir leurs images, nous racontent. Leurs récits nous permettent de mettre des sujets à l’antenne sur la situation sécuritaire et humanitaire à Gaza." "Ces contacts dans l’enclave sont pourtant nos yeux et nos oreilles à Gaza puisque aucun journaliste occidental ne peut entrer dans l’enclave sauf autorisation rare et encadrée de Tsahal." De même, L’Iran, l’Afghanistan, le Yémen, le Soudan rendent l'accès à la presse occidentale très difficile. Cela constitue un sérieux problème pour le métier de journaliste, car les "relais sur place" n'ont sans doute pas la neutralité nécessaire pour témoigner comme il le faudrait. Au-delà, l'équipe s'étoffe aussi d'une direction : " Je ne décide pas seule de rentrer ou de rester. Nous avons une hiérarchie qui fait ces choix éditoriaux." Et l'équipe se complète encore d'"une cellule dont le travail consiste à vérifier l’authenticité de ces images. Leur mission est désormais très précieuse et indispensable. Nous avons aussi un service chargé de visionner les milliers d’images et de vidéos envoyées par des agences professionnelles comme l’AFP, l’Agence France-Presse, ou encore AP, Associated Press, ou CNN, la BBC, la télévision iranienne, chinoise, russe, etc. [...] Des journalistes de France Télévisions spécialisés dans ce service d’échanges nous signale quotidiennement les images qui méritent notre attention."
Passionnant pour qui veut découvrir le travail de journaliste reporter et je pense aussi aux élèves de quatrième et de seconde pour lesquels la découverte de la presse est au programme, ce livre l'est aussi par le rappel de l'actualité des 30 dernières années, un rappel précis, sensible, détaillé qui me semble particulièrement précieux à une époque où une information chasse l'autre !
Extrait Juin 2012 USA : " Ce matin-là, je choisis de suivre plus particulièrement une jeune femme. Elle a vingt-trois ans, elle est jolie. Elle attend avec sa mère dans la longue file d’attente. Je ne sais pas bien expliquer pourquoi je me dirige vers elle. Ce sont les grands mystères du hasard dans le métier de reporter. J’ignore combien ce qu’elle va vivre dans ce gymnase se révélera éprouvant. Je remarque assez vite qu’elle parle en prenant soin de ne surtout pas montrer ses dents. Nous lui demandons si elle accepte d’être filmée. Elle hésite beaucoup et finit par dire oui. Elle me dit qu’elle souffre depuis trop longtemps, qu’elle n’en peut plus. Elle est ici, dit-elle, pour qu’on lui enlève toutes ses dents ! Je remarque les ombres noires sur l’émail de ses dents, je me rends compte que toutes ses incisives et canines supérieures et inférieures sont cariées. Elle ne sourit jamais. Je comprends les souffrances physiques et psychologiques endurées par cette jeune femme brune, caissière dans un supermarché. Sans assurance santé, elle n’a pas les moyens de payer des frais dentaires."