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7 mars 2025 5 07 /03 /mars /2025 11:12

Grand reporter et fille de paysans, c'est le grand écart annoncé par le sous-titre et c'est en effet le sujet du prologue :" Je suis une évadée de mon milieu d’origine", écrit l'autrice, expliquant le sentiment d'illégitimité qu'elle a parfois éprouvé puisque issue du milieu paysan de la campagne bretonne.

Mais ce sentiment est vite balayé par une multitude d'autres problèmes auxquels elle doit faire face : en formation à Strasbourg, on lui reproche sa voix qui la condamne à la presse écrite. Qu'à cela ne tienne, elle travaille sa voix avec une orthophoniste et fait oublier ou accepter cette voix par la variété et l'actualité brûlante de ses reportages.

En 2000, alors qu'elle est déjà un reporter reconnu pour son reportage sur la peste en Inde et surtout pour son reportage sur les Kosovars fuyant devant l'arrivée des Serbes en 1999, elle est capturée, avec son équipe, par les islamistes philippins. Ces sept semaines de captivité auraient pu mettre un frein à son investissement dans le journalisme de reportage, mais l'actualité l'attend, elle repart. 

Fille de paysans et femme à la voix de fausset, ex-otage de terroristes islamistes sur l'île de Jolo en 2000  durant sept semaines, Maryse Burgot est aussi mère de deux enfants. Cela ne l'empêche pas de repartir comme correspondante à Londres, puis à Washington, entrainant son époux et ses enfants. Elle évolue vers le reportage de guerre en Syrie puis en Afghanistan puis en Ukraine sans jamais couper les ponts avec ses enfants : "Mon téléphone sonne. Il est dans la poche de mon gilet pare-balles. Impossible de ne pas répondre, même si la voiture avance à toute allure sur cette route défoncée. C’est l’un de mes fils. Entre les soubresauts et la panique, je décroche. Cet appel vient du monde, si éloigné de nous, où la guerre est une abstraction. Il s’agit d’un problème de cuisson de riz. « Quelle est la meilleure méthode pour qu’il soit bon ? C’est-à-dire un peu collant, comme au restaurant, mais pas trop. » Et j’explique ma méthode. Je ne parle pas trop fort, j’ai peur que les membres de mon équipe ne me prennent pour une folle en s’exclamant : « Tu viens d'échapper à la mort, mais tu parles cuisine le plus calmement du monde ?" 

Toutefois, cette qualité de femme et de mère contribue à la rendre plus sensible au sort des enfants. " Où que j’aille, dans les endroits les plus improbables de la planète, dans les circonstances les plus joyeuses ou les plus dramatiques, mes deux enfants ne quittent jamais mon esprit. La maternité a colonisé mon âme, les recoins de mon corps et de mon cœur.", écrit-elle et cela explique peut-être son attachement à sauver le petit Jerry d'une mort certaine sur un trottoir de Port-au-Prince après le tremblement de terre de janvier 2010  ou à Kaboul pour éviter à un couple de devoir vendre son bébé.

Concernant le travail de reportage, Maryse Burgot insiste sur le travail d'équipe : partout où elle va, c'est en équipe qu'elle travaille. Un cameraman et un monteur, hommes ou femmes, sachant que le métier de preneur de son en reportage a disparu  depuis les années 90-2000. Le monteur envoie le sujet quelques minutes seulement avant pour la diffusion ! L'équipe s'étoffe aussi des fixeurs qui sur le terrain mettent l'équipe en relation avec les personnes ou les organismes concernés. Ces fixeurs sont des gens du pays, auxquels il faut que l'équipe puisse faire confiance et cela demande une bonne cohésion d'équipe et une capacité à décider. Ainsi, lors du reportage au Kosovo, ils font appel à Jovana qui "n’est pas du tout dans le monde du journalisme, c’est plutôt une intellectuelle, un peu artiste à ses heures. Un rien mondaine, blondissime et portant en permanence tailleur et bijoux. Elle est la maîtresse d’un prince monténégrin. Notre preneur de son l’appelle gentiment la Castafiore. " Ils lui font confiance et elle devient l'une de leurs meilleures fixeuses. Lorsque la presse est interdite d'entrée comme à Gaza, l'équipe s'étoffe encore de "relais sur place, des journalistes palestiniens, des caméramans. Des contacts précieux entretenus de longue date par notre bureau permanent et de nombreux journalistes de la rédaction. Ces personnes de confiance nous font parvenir leurs images, nous racontent. Leurs récits nous permettent de mettre des sujets à l’antenne sur la situation sécuritaire et humanitaire à Gaza."   "Ces contacts dans l’enclave sont pourtant nos yeux et nos oreilles à Gaza puisque aucun journaliste occidental ne peut entrer dans l’enclave sauf autorisation rare et encadrée de Tsahal." De même, L’Iran, l’Afghanistan, le Yémen, le Soudan rendent l'accès à la presse occidentale très difficile. Cela constitue un sérieux problème pour le métier de journaliste, car les "relais sur place" n'ont sans doute pas la neutralité nécessaire pour témoigner comme il le faudrait. Au-delà, l'équipe s'étoffe aussi d'une direction : " Je ne décide pas seule de rentrer ou de rester. Nous avons une hiérarchie qui fait ces choix éditoriaux." Et l'équipe se complète encore d'"une cellule dont le travail consiste à vérifier l’authenticité de ces images. Leur mission est désormais très précieuse et indispensable. Nous avons aussi un service chargé de visionner les milliers d’images et de vidéos envoyées par des agences professionnelles comme l’AFP, l’Agence France-Presse, ou encore AP, Associated Press, ou CNN, la BBC, la télévision iranienne, chinoise, russe, etc. [...] Des journalistes de France Télévisions spécialisés dans ce service d’échanges nous signale quotidiennement les images qui méritent notre attention."

Passionnant pour qui veut découvrir le travail de journaliste reporter et je pense aussi aux élèves de quatrième et de seconde pour lesquels la découverte de la presse est au programme, ce livre l'est aussi par le rappel de l'actualité des 30 dernières années, un rappel précis, sensible, détaillé qui me semble particulièrement précieux à une époque où une information chasse l'autre ! 

Extrait Juin 2012 USA : " Ce matin-là, je choisis de suivre plus particulièrement une jeune femme. Elle a vingt-trois ans, elle est jolie. Elle attend avec sa mère dans la longue file d’attente. Je ne sais pas bien expliquer pourquoi je me dirige vers elle. Ce sont les grands mystères du hasard dans le métier de reporter. J’ignore combien ce qu’elle va vivre dans ce gymnase se révélera éprouvant. Je remarque assez vite qu’elle parle en prenant soin de ne surtout pas montrer ses dents. Nous lui demandons si elle accepte d’être filmée. Elle hésite beaucoup et finit par dire oui. Elle me dit qu’elle souffre depuis trop longtemps, qu’elle n’en peut plus. Elle est ici, dit-elle, pour qu’on lui enlève toutes ses dents ! Je remarque les ombres noires sur l’émail de ses dents, je me rends compte que toutes ses incisives et canines supérieures et inférieures sont cariées. Elle ne sourit jamais. Je comprends les souffrances physiques et psychologiques endurées par cette jeune femme brune, caissière dans un supermarché. Sans assurance santé, elle n’a pas les moyens de payer des frais dentaires."

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21 février 2025 5 21 /02 /février /2025 14:39

"Dire le sens de nos vies est moins facile que d’exalter leur complexité." Cette première phrase du roman en pose bien le cadre. En effet, tout le récit exalte la vie bien complexe d'un vieil homme rencontré sur un banc dans un cimetière niçois. 

Cet homme, Valdas, avait 15 ans en 1913 et passait les vacances dans la villa mauresque de l'Alizé en Crimée avec sa belle-mère, Léra, entourée d'artistes avec lesquels elle jouait la comédie, tandis que son père, Guéorgui Bataeff, éminent avocat, devait rentrer à St. Petersbourg pour son travail. Déjà, Valdas éprouvait un certain dégoût pour cet univers d'argent et de comédie ! 

L'envie d'aller voir plus loin le mène sur la côte, là où les contrebandiers sont pourchassés par les gardes-côtes. C'est là qu'il rencontre, Taïa, celle dont il se souvient encore, lorsque, vieillard, assis sur un banc de cimetière niçois, il dit " « La femme que j’aimais ne demanderait rien d’autre – ce vent ensoleillé et la ligne de la mer entre les cyprès. Désormais, cela nous suffit pour être vivants…" Cette femme pourtant ne croise Valdas que ponctuellement et lorsqu'ils se retrouvent, par hasard, fuyant la violence de la guerre civile qui ravage le pays, ce n'est que peu de temps en 1920, avant qu'elle ne tombe sous le feu des révolutionnaires.  «Ne dites jamais, avec reproche : ce n’est plus. Mais dites toujours, avec gratitude : ce fut." Cette inscription sur une tombe du petit cimetière illustre bien la dévotion de Valdas pour cette femme, bien plus tard. 

Dans sa vie, en Russie puis à Paris, il rencontre d'autres femmes, il en épouse même une mais décidément, comme sa belle-mère autrefois, les femmes sont infidèles.  C'est la comédie humaine !

Durant la guerre 39-45 à Paris, Valdas rencontre deux personnes qui suscitent son admiration : un résistant qu'il retrouve plus tard, revenu des camps de concentration et Rohr, oublié des dieux, qui cache Valdas poursuivi par la Gestapo, mais meurt sous les balles allemandes lors de la Libération de Paris ! Mais il a aussi Julien Soupault pour qui il accepte de mentir lorsque celui-ci a besoin du secours d'un résistant pour échapper à une condamnation pour collaboration.

Le détachement et la magnanimité de Valdas sont en effet ce qui marque le plus dans ce personnage : à son épouse qui le trompait, il laisse la maison qu'il vient de construire et s'accuse de tromperie pour éviter qu'elle se sente coupable ! Au collaborateur qui avait accaparé le cabinet d'architecture d'un déporté, il porte secours!

Comment peut-on raconter une vie si pleine en si peu de pages ? C'est une prouesse et Andrei Makine relève avec brio le défi ! L'écriture, toujours précise, claire, travaillée, parvient à donner à une telle puissance aux portraits et aux situations que je ne les oublierai pas de si tôt !

extrait :  Ils finirent par se revoir, en 54, de façon pas vraiment inattendue car conviés tous deux à la célébration du dixième anniversaire de la libération de Paris. Dire que Jean Holtzer avait vieilli eût été une figure de style : c’était une ruine, à la démarche lente, un homme que Valdas n’aurait pas reconnu au milieu d’une foule. Mais là, les organisateurs épelèrent tous les noms et il vit ce qu’était devenu Holtzer. Après la cérémonie, ils se saluèrent, avec une retenue gênée : chacun redoutant d’apprendre le côté sombre de l’autre. Valdas proposa d’aller prendre un verre et, difficilement, comme s’ils étaient encore obligés de garder le secret, ils se parlèrent, surpris de s’être si formidablement trompés l’un sur l’autre. Non, ce n’était pas Holtzer qui avait dénoncé Valdas mais un tout jeune homme, un simple « agent de liaison » qui escomptait être bien rémunéré par les Allemands. « C’est même plus compréhensible qu’une trahison sous les menaces et les coups, expliqua Holtzer. On n’imagine jamais le nombre de gens qui seraient prêts à trahir pour se payer un dîner ou épater une jeune femme… C’est ce que ce gars avait obtenu. » Lui-même n’avait pas pu s’échapper et, après des tortures qui avaient « ébranlé sa foi », s’était retrouvé à Buchenwald, ne rentrant à Paris qu’en juin 1945

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12 février 2025 3 12 /02 /février /2025 15:29

Prix Goncourt des Lycéens 2024, ce roman dont l'histoire se déroule hors du temps, dans un pays-arrière, on ne sait où, est longtemps pris en charge par un narrateur énigmatique, _le chien de Rose !_  puis par un narrateur extradiégétique. Le récit présente d'une façon quasi toujours chronologique la vie d'un hameau des Montées : trois maisons abritent, tant bien que mal, trois familles : celle de Rose, qui vit seule avec son chien jusqu'à l'arrivée de Madelaine. Celle d'Ambre et de son mari, sabotier, mais ivrogne, Léon. Celle d'Aelis, jumelle d'Ambre, de son mari, bucheron, Eugène et de leurs trois fils, Germain, Artaud et Mayeul. Eugène a la chance d'avoir un cheval, Jéricho, qui lui est fort utile dans son travail.  

Tout ce petit monde vit sur les terres des seigneurs du coin, les Ambroisies et redoute les impôts que les Ambroisies exigent chaque année et redoutent plus encore, la folie d'Ambroisie-le-fils qui parcourt les campagnes avec son cheval, décimant les récoltes, écrasant les enfants et troussant les femmes.  À cela s'ajoute, la rigueur du climat qui saccage le travail des paysans, la faim, le gel qui torturent les êtres, la fatalité qui empêche tout espoir ! la solidarité familiale permet certes de mieux supporter tous ces fardeaux, mais elle ne garantit jamais le bonheur. La révolte est si périlleuse que seule la jeune Madelaine l'ose et cela provoque de grands malheurs dans le village. 

Construit comme une tragédie, le prologue annonçant déjà l'inévitable malheur, ce roman est touchant par ses personnages dont on partage les espoirs, les colères, la soumission à la fatalité !

Terrible tragédie, hors du temps, dans un univers quasi mythologique où se côtoient le fleuve Basilic, le cheval Jéricho et les seigneurs Ambroisie, c'est aussi un roman de la misère et de la révolte qui rappelle la terrible histoire de Jacquou Le Croquant d'Eugène le Roi.

Le roman se teinte cependant d'une certaine modernité, accordant à la question de la place des femmes dans le monde, une place privilégiée. Est-ce ce qui a séduit cette année les lycéens ? 

Extrait choisi : " Je n’en avais jamais vu avant elles. Ambre et Aelis sont des jumelles. Cela n’arrive pas souvent et les gens se méfient quand les ventres des mères donnent la vie deux fois coup sur coup, soulagés lorsque l’un des deux enfants meurt à la naissance. Car pour eux, il n’y a rien de normal dans ces corps et ces visages qui se ressembleront goutte pour goutte tout au long de la vie, ces êtres dont on ne saura jamais vraiment si c’est l’un ou l’autre, si c’est humain, si au fond ce n’est pas le diable. Rose a ri en racontant il y a longtemps qu’Ambre et Aelis ont survécu toutes les deux et cela a causé bien du souci à leurs parents d’accueillir deux enfants d’un coup, deux filles qui plus est, qui n’auraient pas la force des fils, qu’il faudrait marier et presque payer pour qu’on les emmène. D’ailleurs il s’en est fallu de peu qu’on ne les jette dans le Basilic une nuit quand tout le village dormait. Cependant les nouvelle-nées étaient d’une beauté saisissante ; sans doute leurs parents les ont-ils gardées par une sorte de superstition confuse, mélange de fascination et de peur, n’osant défaire ce que le ciel avait fait si seulement c’était lui."

   

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 14:44

Voilà un livre que je quitte à regret, surprise à la dernière page, de le voir fini !, c'est qu'il n'a pas réellement de début ni de fin ! l'auteur nous raconte une tranche de vie, de sa vie et de celle de son frère ! certes, le récit commence par une naissance, celle d'un veau, lorsque l'auteur avait 15 ans alors que son frère avait "à peine treize ans" mais c'est qu'il y a là, un moment crucial : "Mon frère n’était pas aussi confiant. Je sentais la présence en lui d’une menace, d’un traumatisme naissant. L’adolescence est une période de remodelage du cerveau : le programme de maturation qui bientôt fournira les codes de l’âge adulte fait l’objet d’importants bouleversements. De nouvelles connexions neuronales se mettent en place, tandis que d’autres s’évanouissent. Des accidents se produisent, paraît-il, lors de cette grande période de reconfiguration, qui rendent certaines jeunes personnes particulièrement fragiles inaptes à gérer les situations émotionnellement éprouvantes. Cette nuit-là en tout cas, dans sa petite chambre jouxtant la mienne dans la maison familiale, j’ai entendu mon frère sangloter au creux de son lit. Le lendemain, les premiers signes de sa vertigineuse descente se manifestaient".

 

Cet événement constitue le premier chapitre du récit qui pour l'essentiel se déroule quarante-cinq ans plus tard. Tout comme le titre et tout comme l'image de couverture, il met au premier plan ce qui fait la singularité du frère cadet de l'auteur : il est schizophrène. Une large partie de ce récit biographique est alors consacrée aux relations qui unissent l'auteur et son frère : "Le mot schizophrénie, formé à partir du grec skhizein (fendre) et phrên (esprit), ne pourrait mieux illustrer le coup de hache qui un jour a fait voler en éclats l’existence de mon frère, et ouvert en lui une brèche impossible à refermer. Je tente comme je peux de me glisser avec lui dans cette ouverture, mais n’y parviens jamais qu’à moitié."

L'auteur, lui-même, laisse à plusieurs son esprit ou son âme (c'est le terme qu'il emploie" s'éloigner du simple réel pour accéder aux intuitions, de telle sorte que lors d'une crise de paranoïa très violente de son frère, l'auteur voit un roitelet monter au ciel en emportant son âme ou que lors d'une promenade dans la campagne, il marche avec son père, pourtant décédé.  

Mais ce qui marque surtout dans ce roman, c'est la sérénité que l'auteur trouve avec son frère, avec son épouse, Livia, mais aussi avec ses voisins, avec les animaux, son chien Pablo et son chat Lennon, avec la nature ! Sa vie consiste pour l'essentiel à écrire, à jardiner, à parler avec son frère de jardinage ou de poésie et à l'aider, à se promener dans la campagne et à ne rien faire. Et ce récit qui ne raconte finalement pas grand-chose est extrêmement apaisant.

Extrait choisi : « La vie passe, m’a dit ce matin mon frère une fois achevée sa lecture de mon manuscrit. La vie passe, banale, insignifiante, et pèse pourtant à ce point sur la pensée, le caractère et l’âme qu’elle finit par leur donner une raison d’être. Oui, presque rien n’arrive dans cette histoire, mais tout y a un sens. »

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26 janvier 2025 7 26 /01 /janvier /2025 17:21

Tout frais sorti le 16 janvier dernier, ce roman nous place, d'une certaine façon, devant la palette d'un romancier ou d'une romancière : ses personnages, son atmosphère, son style, ses épisodes et péripéties, sa chronologie... tout est là, posé de façon inaboutie.

Comment résister au charme d'Isaure Clément dont nous découvrons l'histoire de ses cinq ans à l'âge adulte. Le récit adopte son point de vue pour évoquer le père aux doigts marqués des lettres de son idole, puis de son dernier enfant, trop tôt décédé, ELVIS, la mère, deuxième épouse, défenestrée après le décès du petit Elvis, ne laissant à Isaure que le souvenir de son parfum de Prisunic, Ambre libertine, Monsieur Allain,  le professeur tant admiré et puis Madame K, son professeur de Lettres, rescapée des camps de concentration et retirée au milieu des jasmins à Grasse et Madame Lavigne, professeur de latin. Au fil de l'histoire, d'autres personnages affleurent sans prendre tout à fait consistance, tels les garçons aux cheveux blonds et aux yeux gris, Laetitia, victime qui n'obtiendra jamais justice, la vieille dame aux chats dont l'offre de lire les lignes de la main d'Isaure est restée sans réponse et Franck Margelle dont on pressent la menace, mais peut-être injustement. Sans oublier le chat blanc Phantome et les nombreux objets, sabliers, kaléidoscopes, cahiers à couverture bleu roi frappée de l'écusson fleurdelisé des papeteries Delacourt., flacon d'eau de verveine de Fragonard.

Tout, absolument tout est là pour créer le roman, et on s'y laisse prendre mais c'est sans compter l'accident qui cloue Laurence Métis, amnésique, sur un lit d'hôpital !  

Extrait choisi : "Voici Phantôme, que tu n'as jamais vu, et pour cause, il est insaisissable, lui avait dit Sybille Lavigne, théâtralement surmontée d'un turban fuchsia semé de paillettes d'or et drapée d'une de ses robes d'intérieur dont elle avait le génie, toute de soie chamarrée, les pieds nus aux ongles vernis de la même teinte que la coiffe extravagante. Le chat, d'une blancheur immaculée, trônait dans la bibliothèque, sur le rayonnage le plus haut, contre deux rangées de volumes latins et grecs séparés par des serre-livres, éléphants d'ébène. Isaure était restée seule dans la pièce, le temps que son excentrique hôtesse prépare un plateau qu'elle rapporterait, comme la première fois, et comme toutes celles qui suivraient, garni de deux verres de porto Fine White au goût d'agrume confit et de mirabelle, de tuiles au bleu de son invention et de ces raisins roses à gros grains sphériques que l'on trouve toute l'année."

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21 janvier 2025 2 21 /01 /janvier /2025 15:59

Épopée familiale, sur fond historique et autobiographique, ce roman commence comme un conte par la découverte d'un nouveau-né de trois jours sur le parvis d'une église au Venezuela. Une mendiante muette, Térésa, le prend en charge et le nomme Antonio, car l'église était placée sous le patronage de saint Antoine. Voilà un début plein de promesses, et la suite, en effet, est la fabuleuse histoire d'Antonio, parti de rien, mais, grâce à une tabatière d'argent trouvée dans ses langes, devenu cardiologue de renom, puis recteur de la plus grande université du Venezuela. C'est aussi l'histoire de son épouse, Anna-Maria, première femme médecin de son pays, éminente gynécologue obstétricienne, à la tête du combat pour le droit à l'avortement.

Une légende de Maracaibo dit que sur une portée de chatons, il y a toujours un petit léopard que la mère chasse, pour protéger les autres si bien qu'il "grandit différemment"

L'histoire extraordinaire de ce couple est contée avec une telle exubérance, une telle verve magique et réaliste, une telle profusion d'images et de sensations, que le roman vous entraine dans son tourbillon.

Mais la toile de fond est plus réaliste : nous suivons l'essor du Venezuela grâce à la découverte du gisement pétrolier vers 1917, puis  les mouvements de guérilla, les soulèvements et coups d'état, les années Chavez et Maduro, la difficile installation de la démocratie, ce que découvre Cristobal, petit-fils d'Antonio :  "   Cristóbal ne put en croire ses yeux. Des années après, il serait encore incapable de se rappeler cette scène sans être ébahi, sidéré. En arrivant sur les terrains de magnolias, il découvrit les tracteurs en fonctionnement, les fleurs ouvertes et épanouies, mais il ne lui fallut que quelques minutes pour se rendre compte qu’une des familles, plus importante que les autres, avait pris possession de la bâtisse des Pistoletto et versait aux trois autres un salaire pour s’occuper des plantations de magnolias. Les paysans avaient reproduit exactement ce qu’ils voulaient combattre."   

extrait choisi : Elle surgit un mardi de novembre. Les habitants du lac aperçurent de loin, depuis la promenade couverte de mangues écrasées et de poissons pourris, une imposante statue de quatre mètres de hauteur et de six tonnes de bronze coulé en Toscane. C’était un homme à cheval avec un costume du XIXe siècle, à l’allure autoritaire, qui regardait droit devant lui en pointant l’avenir de son épée, et dont l’élégance fit un tel effet sur les enfants de la plage, des garçons en haillons qui n’avaient jamais vu Simón Bolívar, qu’ils entrèrent dans leur maison en hurlant : « Dieu est arrivé à Maracaibo ! » Après une périlleuse traction de poulies de fer, de chapes et de courroies, on sortit Simón Bolívar du navire et on le déposa parmi des caissons de bananes plantains, de viandes séchées et des cages à poules, entouré de sacs de café. Son bronze puait la goyave. Il venait de loin. Il avait fait un voyage en bateau sur le cours d’une rivière tumultueuse. Il avait survécu aux pluies tropicales qui avaient éclaté plusieurs fois, aux quatre-vingts kilomètres de caïmans et de singes hurleurs, à la rouille et à l’oxydation. Il devait rester quelques jours à Maracaibo avant de continuer son chemin sur la rivière Escalante jusqu’à atteindre le port de Santa Bárbara del Zulia, en face de la ville de San Carlos où, un jour de 1820, Simón Bolívar, profitant de l’abondance de bois dans la région, avait ordonné la construction de cinq navires pour attaquer les Espagnols.

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9 janvier 2025 4 09 /01 /janvier /2025 14:30

Comme l'indique le titre, il s'agit de poursuivre L'Arabe du futur en revenant sur l'histoire par le regard cette fois du jeune Fadi dont nous ne connaissions presque rien si ce n'est l'enlèvement par son père Syrien.

Ici, c'est par la voix et le regard de Fadi que nous découvrons l'histoire : son père l'avait enlevé alors qu'il avait environ deux ans. Le dernier souvenir de l'enfant est le moment où il avait dit à sa mère "T'es méchante ! Je ne t'aime plus" parce qu'elle lui avait mis une salopette bleue pour aller à l'école.

En Syrie, loin de sa mère, Fadi se sent coupable, il réclame sa mère et son père, après avoir usé de tous les moyens de corruption possibles (bonbons encore et encore, Game Boy) finit par lui dire qu'en effet sa mère ne veut plus le voir. Cinq ans plus tard, Fadi ne comprenait plus le français. Seule la mauvaise foi de son père  est une constante immuable : il va jusqu'à accuser son fils d'avoir fait un mauvais choix d'épouse pour le remariage de son père !

Alors, bien sûr, on peut considérer qu'à deux ans, Fadi a une mémoire extraordinaire, mais dans les planches jaunes puis orange et rouges de la BD, nous découvrons la vie en Syrie à l'époque d'Haffez-El-Hassad : Le portrait du président est partout, les maîtres battent les enfants, le Doktor Sattouf connaît moins bien l'orthographe que son élève, mais menace le maitre de son fils en se présentant à l'école avec un fusil...  Le dessin, presque naïf à première vue, est volontiers sarcastique pour le plus grand plaisir du lecteur.

Voici par exemple une vignette clin d'œil à l'actualité récente :

 

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7 janvier 2025 2 07 /01 /janvier /2025 15:57

Le sujet n'est pas engageant, certes : L'effondrement est la mort du frère aîné de l'auteur, à seulement 38 ans, rongé par le ressentiment et par l'alcoolisme. Triste sort !

Mais, outre l'écriture, toujours aussi vivante et puissante,  ce qui m'a passionnée dans ce nouveau livre de l'auteur, de nouveau consacré aux dysfonctionnements de sa famille, c'est la quête du sens et en même temps le rejet viscéral qui se conjuguent étrangement dans l'approche du narrateur. Alors qu'il n'éprouve rien à l'annonce du décès de son frère et qu'il refuse de dépenser de l'argent pour organiser ses obsèques, le narrateur fouille ses souvenirs, interroge les femmes de la vie de son frère et tous les témoins possibles, cherche à comprendre en lisant Ludwig Binswanger, Anne Carson, Joan Didon de même que Michel Foucault ou Sigmund Freud ! Il aboutit à des images contradictoires : romantisme sentimental et violence bestiale, générosité et égoïsme, intelligence et sottise...  Abandonné par son père, méprisé par son beau-père, emporté par des rêves de grandeur et sans cesse rabaissé, ce frère pouvait quand même être un trésor de sensibilité tout comme un monstre violent. Le milieu dans lequel il a vécu explique un peu, mais n'explique pas tout. Le narrateur cherche un sens à l'histoire de son frère et ne le trouve pas. 

Extrait : Anne Carson note à la mort de son frère : « Nous voulons des autres qu’ils aient un centre, une histoire, une explication, quelque chose qui ait du sens. Nous voulons être capable de dire Voilà ce qu’il a fait et voilà pourquoi. Cela forme un rempart contre l’oubli. »

Peut-être que je ne sais rien de mon frère, mais j’ai besoin de croire que je sais. Peut-être que j’ai besoin d’une histoire, d’une explication, de quelque chose qui ait un sens. D’un rempart contre l’oubli.

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7 janvier 2025 2 07 /01 /janvier /2025 14:56

Prix Goncourt 2024, ce livre a retenu mon attention et m'a été conseillé par une amie et pourtant… que j'ai eu du mal à le lire ! j'avoue, je ne l'ai même pas fini. Oui, je sais, il relate des faits réels, trop réels, qu'il convenait de raconter puisqu'à ce jour, il reste interdit, en Algérie, d'évoquer cette boucherie fratricide.

Dans une première partie, l'auteur fait parler une femme qui n'a plus de voix depuis que toute petite, elle a été égorgée, perdant ses cordes vocales. Cette rescapée parle à son enfant qui n'est pas encore né et dont elle ne souhaite pas la naissance. Elle ressasse sa rancœur et sa révolte, narguant l'imam qui officie juste à côté de son salon de coiffure jusqu'au jour où son salon est massacré par on ne sait qui.  J'ai trouvé cette voix d'une femme aphone difficile à supporter et finalement artificielle. 

Dans la seconde partie, Le Labyrinthe, la voix d'un homme, libraire ambulant, mais analphabète, se mêle à celle de cette femme. Cet homme est le seul rescapé de sa famille et depuis il roule, encore et encore de peur de s'arrêter et de faire face au malheur. Il ne peut pas écrire, mais il a une mémoire fabuleuse qui lui permet de dire pour chaque date quelles horreurs ont été perpétrées, envers combien de personnes et en quel lieu. Pour lui, la jeune femme est précieuse, car son cou fendu en un horrible sourire est une preuve vivante.

Bref, ce livre est plutôt qu'un roman, un témoignage sur l'indicible et, pour moi, l'insupportable. Comment peut-on comprendre une telle sauvagerie ? Comment la supporter ? Comment lire cela, tranquillement dans un fauteuil ou dans son lit ?

Extrait : "Je te parle et je te parle, alors que je devrais me taire, prendre ma petite voiture et aller inspecter l’état de mon salon de coiffure pour me changer les idées. Oh oui, j’en ai un, très fréquenté et qui me fait vivre. Depuis trois jours il est fermé, car mes deux apprenties sont rentrées chez elles. Durant cette semaine de l’Aïd, les femmes ne se coiffent pas et ne soignent pas leur corps. Elles se destinent aux cuisines et aux cuissons, au gras et aux entrailles des bêtes égorgées. Alors, je n’attends pas de clientes. Et sans clientes, je libère les deux filles qui me détestent un peu, m’aiment un peu, et m’imitent en se taisant en ma présence. J’en souris et ce sourire apparaît sincère, comparé à l’autre, sous mon cou, qui pétrifie les gens autour de moi comme du fil de fer barbelé. C’est la longue signature calligraphiée du meurtrier qui ne m’acheva pas faute de temps. Le fou rire du prophète qui voulut égorger son fils. Je te parle et je prolonge le délai dans ce beau ciel oranais, alors que je gagnerais à me taire et à te couper la tête une fois pour toutes. Avec trois pilules, ou des pinces froides, des sirops interdits, des coups de poing au ventre, en sautant à pieds joints pendant des heures, en avalant de l’acide, en chutant volontairement dans un escalier ou en mâchant des herbes bannies. Ne viens pas ici, dans ce pays, s’il te plaît !

Pars"

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11 novembre 2024 1 11 /11 /novembre /2024 15:09

Voilà un titre bien énigmatique ! À qui s'adresse cette injonction ? À quelle brute ? Au Président Georges, chasseur d'enfants ? au père jaloux et violent de la petite Lucie ? En exergue, ce poème de Baudelaire peut-il nous éclairer ?

Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,


L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t'enfourcher ! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute.

Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur,
L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute ;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte !
Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur !

Le Printemps adorable a perdu son odeur !

Et le Temps m'engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur ;
Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur
Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.

Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute ?

Dans ce roman, le sommeil joue un rôle essentiel, mais c'est surtout celui des jeunes enfants, tout autour de la terre. Leur endormissement déclenche des catastrophes planétaires que l'on assimile bientôt au sept plaies d'Égypte, or, le point de départ semble être la jeune Lucie, réfugiée avec sa mère Eva dans les marais de Camargue pour échapper à la violence de Pierre, son père. Lucie et sa mère, Eva, paraissent pourtant avoir trouvé leur bonheur au cœur de la vie sauvage des marais, auprès de Serge, le géant solitaire à l'éternel pull bleu ciel en maille diamant.

C'est ainsi que le roman glisse vers la poésie et le réalisme magique qui fait sa beauté. Alors, Lucie peut couver des œufs d'oies sauvages et même s'envoler avec ces oies sauvages qu'elle a couvées. " Elle vole ? Lucie vole ? La Terre s’est retournée ? Tout bascule dans cette obscurité. Vous ne bougez plus, sous ce fil tendu, tu as peur qu’il ne casse, tu lui laisses du mou, puis tu tires un peu, pour dire à Lucie que vous êtes là sur la Terre, à l’autre bout, et que vous la retenez où qu’elle soit, que vous la soutenez, que vous l’aimez, alors le fil se détend, tu le roules en pelote, le mieux possible, tu tentes de ne pas l’emmêler comme quand tu étais enfant, tu ne sais pas combien de mètres il reste encore entre vous et Lucie, mais vous entendez le caquètement des jeunes oies, tout près." Ces fils sont bien entendus ceux du pull-over bleu ciel aux mailles diamant.

J'aime beaucoup ce genre de romans qui ne se contentent pas de nous livrer une image de la réalité sociale et qui osent déborder dans l'univers de la magie et de la poésie. Ici, le récit assumé à tour de rôle par les divers personnages, sans transition, conjugue avec brio réalité, rêve, magie, imaginaire. 

extrait choisi :

Nous sommes sorties sous le soleil dans le paysage que les fleurs commençaient à barioler. Nous avons marché jusqu’au grand étang et vu les trois arbres que feuilles et fleurs habillaient d’une sorte de robe pointilliste. La petite a voulu prendre au plus court et quitter le sentier, mais je le lui ai interdit. Il valait mieux ne pas s’aventurer dans les marais. Il nous l’avait dit, « ils sont dangereux ». Tout comme lui, avait-il précisé, et pourtant nous étions en chemin vers son antre. Je ressentais une étrange sensation à mesure que je m’approchais de la maison du colosse. J’entrais sur son territoire, comme sur celui d’une bête sauvage, ma fille m’entraînait dans un monde où je ne devais pas m’égarer et je lui tenais la main plus fort.

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