Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 octobre 2017 6 28 /10 /octobre /2017 11:27

Publié chez Grasset pour la rentrée littéraire 2017, ce livre arbore dès la couverture le

drapeau d'un genre : roman. Il fait d'ailleurs partie de la dernière sélection Goncourt. Pourtant La Disparition de Josef Mengele est un sujet terriblement réel, les cinq pages de sources et bibliographie, à la fin du livre témoignent d'un travail de recherche particulièrement fouillé. Reste-t-il de la place pour la fiction, élément inhérent au genre romanesque ? Sans doute oui, lorsque le récit retrace les angoisses ou les cauchemars de Mengele, peut-être aussi lorsqu'il évoque sa dégradation physique puis sa mort. Le personnage, après une première période heureuse en Argentine où il refaisait sa vie avec sa belle-sœur et l'argent de sa famille, passe son temps à fuir et devient paranoïaque. L'imaginer dévoré par les douleurs psychologiques ou physiques reste une piètre consolation au regard de la monstruosité des actes de ce tristement célèbre, Josef  Mengele, tortionnaire nazie à Auschwitz  où il mettait ses  compétences  de médecin au service d'expérimentations monstrueuses, sur des êtres humains qui, parce qu'ils étaient juifs, ne lui semblaient même pas humains. L'évocation des horreurs commises par ce "médecin qui riait à Auschwitz et sifflait des airs d'opéra sur la rampe de sélection" (p. 193) est particulièrement frappante. Le  mariage de la fiction et du réel dans ce récit produit ainsi un effet de malaise. Les deux citations données en exergue sur deux pages consécutives me semblent une bonne traduction de ce malaise :

"Toi qui as fait tant de mal à un homme simple

En éclatant de rire à la vue de sa souffrance

Ne te crois pas sauf

Car le poète se souvient " (Czeslaw Milosz)

"Le bonheur n'est que dans ce qui agite, et il n'y a que le crime qui agite : la vertu... ne peut jamais conduire au bonheur. " (Sade )

La valeur de ce livre me semble surtout résider dans sa richesse documentaire : on y comprend mieux pourquoi Mengele a pu échapper en particulier au Mossad, comment il a pu survivre grâce à l'argent de sa famille qui prospérait à Munich dans l'entreprise multinationale de machines agricoles. Elle réside aussi dans sa capacité à rappeler le passé pour tenter d’empêcher qu'il se répète. Sur ce point, on ne peut que souhaiter sa réussite.  

Partager cet article
Repost0
21 octobre 2017 6 21 /10 /octobre /2017 14:07

Lire La Serpe n'est pas une mince affaire ! plus de 600 pages imprimées en grand format

édité par Julliard, c'est un poids à supporter quand on lit au lit ! Un triple meurtre à la serpe, une nuit de 1941 dans un château du Périgord, ça n'est pas non plus une mince affaire ! Et quand on comprend que l'inculpé puis disculpé sans autre accusé n'est autre que le fils unique du châtelain, Henri Girard alias Georges Arnaud, auteur du célèbre Salaire de la peur, on comprend que le poids du papier n'est rien vis à vis de celui de l'affaire.

Or, c'est un livre qu'on ne peut pas relâcher tant il étonne, surprend, brise les attentes. En lice pour le Goncourt (le narrateur/auteur se soucie d'ailleurs de finir son livre assez vite pour cela), il se doit d'être un roman et s'affirme bien comme tel "Ce livre, ce roman, raconte ce qu'on appelle une histoire vraie." (p. 13) Certes l'image de couverture, les schémas des premières pages suggèrent un roman à énigme, sorte d'Agatha Christie. Pourtant l'auteur se distingue mal du narrateur, la fiction se détache difficilement de la réalité, la structure retrace les faits, le procès, pour ensuite accompagner les investigations minutieuses du narrateur, auteur aux archives et sur les lieux de ce crime vieux de soixante-quinze ans afin de mettre à jour de nouveaux indices menant à de nouvelles hypothèses. Cela s'apparente à une chronique, l'histoire en arrière-plan : l'Occupation, Vichy...

Sauf que ce narrateur/auteur prend très vite l'épaisseur d'un héros de roman, d'un Columbo (auquel lui-même se compare), d'un héros à la fois picaresque et hyper réaliste débarqué à l'hôtel Mercure de Périgueux avec la valise rouge à roulettes de son fils Ernest, le foulard à pois de sa femme Anne-Catherine après un périple chaotique au volant d'une Meriva de location dont le voyant rouge s'allume dès les premiers kilomètres à la sortie de Paris."Il faut, cependant que j'apprenne à relativiser. Au pire, je finis dans la glissière de sécurité. En rade sur le bord de la route avec, peut-être, une ou deux bosses et un peu de sang sur l'arcade. La pauvre Lili aurait signé tout de suite, dans son lointain Périgord."  Des motifs récurrents parcourent le roman, sortes de leitmotivs propres au héros narrateur auteur. Ainsi dès le premier chapitre, l'incipit du Club des Cinq en roulotte  "Quelle malchance ! " est évoqué et on retrouve ainsi comme les cailloux blancs du Petit Poucet, dispersées dans le roman, diverses réflexions sur Le Club des Cinq, ses aventures, ses personnages, le sexisme dans le Club des Cinq...Bref, dans ce roman, le sordide le plus épouvantable côtoie le quotidien, le sarcasme côtoie le lyrisme, le tragique côtoie le comique. Au lecteur, de s'y retrouver et je dois le dire, on se prend au jeu. Pas dans les cent premières pages, non, car pour ma part, j'étais trop déstabilisée par la perturbation des horizons d'attente du genre romanesque mais les cinq cents suivantes se lisent avec gourmandise car Jaenada écrit bien et on se laisse entraîner sans résistance. Je lui souhaite de décrocher le Goncourt !

extrait : "Les énormités de l'enquête déboussolent mais il ne faut pas que je parte dans tous les sens (j'ai mal à la tête.), ou le tunnel va devenir labyrinthe et on n'en sortira jamais. Creusons droit. (Le mois dernier, ma mère m'a envoyé une carte postale avec un proverbe chinois : "Qui veut gravir une montagne commence par le bas." Et qui veut creuser un tunnel dedans commence par l'entrée. Le milieu, c'est plus compliqué.) Avec les jours qui passent dans la salle de lecture, je prends du recul, je vois mieux. Je dois avancer dans l'ordre, en ligne, comme à l'école (ABC ou autre)." p 397 

 

Partager cet article
Repost0
21 septembre 2017 4 21 /09 /septembre /2017 20:48

Je craignais que Sorj Chalandon ait épuisé la veine de l'écriture romanesque après Profession

du père, Le quatrième mur, Retour à Killybegs, Mon traître... tant de beaux romans qui semblaient tous être nés d'expériences personnelles très puissantes. Le Jour d'avant est pourtant sorti cet été 2017 et comme les précédents, il semble bien avoir un rapport avec l'expérience personnelle, celle du journaliste de Libération qui en 1974 a suivi l'événement de la catastrophe de la mine de Liévin.

Alors une réécriture de Germinal, version XX" siècle ? Certes oui, et les références directes au roman de Zola sont d'ailleurs fréquentes. On croirait presque revoir Étienne descendre dans la mine ou les enfants Maheu au coron...

Cependant, le titre nous en avertit, ce qui intéresse ici le narrateur (intradiégétique) c'est le "jour d'avant" et ce narrateur, Michel,(qui rappelle de plus en plus Meursault) nous entraîne dans une perplexité de plus en plus grande lorsqu'il devient criminel ou presque, puis inculpé muet et condamné résigné alors que sa victime gagne en capital de sympathie à mesure qu'avance le récit. Dans ce roman les êtres sont complexes, une face en cache une autre et on explore ainsi l'extrême richesse de l'âme humaine.

L'écriture de Chalandon est toujours aussi efficace et incisive, je ne m'en lasse pas :

"Explosion. Une poche de grisou au creux de mon ventre. Une vague brûlante. Son souffle a enflammé ma poussière de charbon. Dos, bras, jambes. L'air m'a manqué. J'ai ouvert la bouche. Mes épaules se sont affaissées. Mon visage s'est violemment embrasé. Feu aux tempes, sang aux joues. Une larme de sueur a perlé derrière mon oreille. Ne pas abîmer mon regard. Ne pas cesser de sourire. Dans sa main, ma main tremblait. Ses yeux fouillaient les miens. Il prenait ce séisme pour un désarroi. J'ai rassemblé mes forces."

Passage énigmatique n'est-ce pas ? Mais tout le roman est comme ça ! Il faut se laisser intriguer.  

Partager cet article
Repost0
27 juin 2017 2 27 /06 /juin /2017 21:39

Ce roman couronné par le Goncourt des Lycéens en 2003 et semble-t-il encore largement

plébiscité par les lycéens qui le lisent ou l'étudient est le 3e que je lis de Laurent Gaudé après Le Soleil des Scorta (prix Goncourt 2004) puis Eldorado (2006). Mes lectures se font ainsi en sens inverse de la chronologie. Des trois, c'est celui que j'ai le moins apprécié. C'est à mes yeux une timide réécriture de l'Iliade transposée dans une Afrique légendaire où s'affrontent des êtres aussi fantasques que des amazones, des travestis, des drogués, des hommes fougères...en somme des êtres issus de diverses cultures. Les combats sont sanglants et coriaces comme dans l'Iliade mais comment rivaliser avec le souffle de cet immense poème épique qu'est l'Iliade ? ici Hélène se nomme Samilia et finit par disparaître, son père, le roi Tsongor,  confronté au dilemme du mariage de sa fille, préfère se suicider, livrant sa ville au saccage par les prétendants. Les combats font rage jusqu'à ce qu'il ne reste plus personne, sauf le dernier fils qui revient après ces années de carnage, ayant exécuté les dernières volontés de son père. Le roman n'est pas exempt de poésie mais à mon avis il rivalise avec un titan et c'est une entreprise téméraire.

Voici l'invocation par laquelle commence l'Iliade ( traduction de Frédéric Mugler, Actes Sud, 1995) :

« Chante, ô déesse, le courroux du Péléide Achille,
Courroux fatal qui causa mille maux aux Achéens
Et fit descendre chez Hadès tant d'âmes valeureuses
De héros, dont les corps servirent de pâture aux chiens
Et aux oiseaux sans nombre : ainsi Zeus l’avait-il voulu.
 »

Comment peut-on rivaliser ?

J'ignore ce qui séduit des jeunes lecteurs dans La Mort du roi Tsongor, j'en suis curieuse. Pour les enseignants, c'est évidemment un roman intéressant pour qui veut travailler les réécritures au lycée. A ce titre, je le conserve dans ma bibliothèque mais je préfère de loin Le Soleil des Scorta.

Partager cet article
Repost0
21 juin 2017 3 21 /06 /juin /2017 21:41

« Une histoire complète de la littérature mondiale en 19 recettes » tel est le sous-titre de La Soupe de Kafka de Mark Crick. Titres pleins de malice tout comme la photo de la jaquette aux éditions BakerStreet. Et pourtant sous les provocations de cette jaquette, on découvre un très beau livre, une couverture de toile blanche sans titre avec la photo imprimée ton sur ton en relief, des gardes de couleurs aux motifs de tapisseries bleu vert, des textes illustrés en pleines pages couleurs… Le livre donc est déjà un très bel objet qui se cache sous la provocation de la jaquette.

La malice on la retrouve bien dans le sommaire et la composition du recueil ; « Agneau à la sauce à l’aneth » à la Raymond Chandler (Je vous le recommande !), « Œufs à l’estragon »  à la Jane Austen (Particulièrement réussis), « Soupe Miso Express » à la Franz Kakfa, « Gâteau au chocolat » à la Irvine Welsh, « Coq au vin » à la Gabriel Garcia Marquez, « Risotto aux champignons » à la John Steinbeck et 13 autres recettes. Vous pouvez déjà mesurer l’éclectisme des écrivains et des recettes.

Or chacune de ces recettes est une vraie recette qui vous met l’eau à la bouche ou la cuillère en bois en main et aussi chacune est un superbe pastiche de l’écriture d’un auteur. J’ai trouvé particulièrement réussis les pastiches de Jane Austen (dont j’avais récemment lu trois romans), de Charles Dickens, de Marcel Proust, d’Homère et du Marquis de Sade mais comme je ne connais pas tous les auteurs, je ne peux pas vraiment donner un avis sur tous. Celui de Flaubert est très drôle : Emma, la pauvre, regarde la télé et s’éprend de … Donald Trump !

Les illustrations elles aussi sont des pastiches tantôt à la manière d’Andy Warhol, tantôt à la manière de Frida Kahlo ou de Man Ray ou d’une poterie grecque ou de Henri Matisse… et j’en passe beaucoup !

C’est que l’auteur en plus d’être un grand lecteur est aussi photographe, peintre et dessinateur de talent.

Un bémol ? Il écrit en anglais ! Pour cela, chaque recette a dû être traduite mais pas par n’importe qui : 19 traducteurs se sont répartis les 19 pastiches parmi lesquels Patrick Raynal pour Raymond Chandler, Geneviève Brisac pour Jane Austen,  Éliette Abécassis pour Kafka ou Frédéric Jacques Temple pour Sade… Des traducteurs choisis manifestement.

En somme voilà un très beau cadeau à offrir ou à s’offrir et pour ce qui me concerne, un livre précieux que je garderai dans ma bibliothèque et ressortirai sûrement à diverses occasions. Merci Babelio !

Extrait choisi :

"L'estragon français est une herbe aristocratique, et même si je la trouve fondamentalement trop bien pour vos oeufs, je ne peux nier que cela ferait un beau mariage,"dit Lady Camberland.
Mrs B accueillit sans broncher ce commentaire et l'offense faite à ses oeufs ne lui parut pas devoir être relevée. Une recommandation venue de si haut ne pouvait être négligée et le mépris de Mrs B pour l'auguste estragon fut instantanément oublié. La possibilité que ses oeufs pussent se retrouver dans le même plat que la noble herbe plongea alors notre héroïne dans une telle excitation que Lady Camberland se fût levée pour partir, n'eût été la perspective du déjeuner...

 

Partager cet article
Repost0
19 juin 2017 1 19 /06 /juin /2017 15:11

C'est mon premier manga ! Au départ, cela semble déconcertant mais on s'y fait vite et cela se lit très vite. Celui-ci a un intérêt documentaire évident : on découvre la cuisine turque et la danse ou plutôt les danses orientales en détail. L'intrigue, elle, me parait plus faible et improbable : cela commence par l'enlèvement à Tokyo de Yako une jeune étudiante en école de mode. Le kidnapper est un vieillard, un restaurateur turc qui en est à son troisième enlèvement ! Or, contre toute attente, Yako accepte de devenir serveuse au restaurant, L'akşehir. Le vieil homme l'avait remarquée car elle avait au cou un nazar boncuk , amulette turque destinée à écarter le mauvais oeil. Yako devient alors l'amie de Zakuro, japonaise mais danseuse orientale au restaurant. L'intrigue ainsi lancée marque une pause, jusqu'à ce qu'à la fin, au cours d'une intrigue sentimentale naissante, elle se relance et s'achève sur une énigme : quel est le sens de cette amulette offerte à Yako par une ancienne amie soudain revenue pour la lui offrir avant de se suicider ?
J'ai demandé leur avis à trois collégiennes habituées aux mangas. Toutes trois apprécient la dimension documentaire mais chacune formule un ou deux bémols : il y a trop peu de rebondissements ; les dessins, en particulier de danse, seraient mieux animés ; le contexte japonais n'est pas assez mis en valeur ; enfin l'héroïne est un peu fade par rapport aux personnages secondaires.

Partager cet article
Repost0
2 juin 2017 5 02 /06 /juin /2017 18:55

Il s'agit d'un récit que j'hésite à nommer roman tant il est bref (à peine 116 pages) pour 27

chapitres. Le film d'Alain Corneau, que je n'ai pas encore vu, a sans doute beaucoup contribué à la renommée de ce roman qui à lui seul ne me semble pas mériter toute l'attention qu'il a pu soulever (grâce notamment aux programmes de l'Éducation nationale).

De quoi s'agit-il ? En 1650, Monsieur de Sainte Colombe, un musicien, perd  son épouse et se trouve ainsi chargé d'élever leurs deux filles, Madeleine et Toinette. Il confie le soin de leur éducation à Monsieur de Bures, un représentant des Jansénistes de Port-Royal et passe quant à lui le plus clair de son temps dans sa cabane au fond du jardin où il joue de la viole et compose. Dès que ses filles arrivent en âge, il les initie à son art. Prié de venir à la cour afin de jouer pour le roi, il refuse et se retire encore un peu plus dans sa cabane au bord de la Bièvre. Un jeune homme, chassé de la maîtrise du roi en raison de sa mue, vient lui demander de l'accueillir comme élève. Bien qu'irascible et taciturne, Monsieur de Sainte Colombe accepte. Le jeune homme, Monsieur Marin Marais, séduira à tour de rôle les deux filles avant de se faire chasser pour avoir brûlé sa viole à la chaufferette de la reine. Madeleine sombre dans la dépression et finit par se pendre, sa soeur se marie et devient mère de cinq enfants. Monsieur de Sainte Colombe dans sa cabane a reconstitué la tableau Nature morte aux gaufrettes de Lubin Baugin et lorsqu'il joue de la viole, il parvient à faire revenir son épouse disparue jusqu'au jour où, à son tour il approche à son tour de la mort et confie à Marin Marais "un ou deux arias capables de réveiller les morts."

De 1650 à 1689, c'est donc une quarantaine d'années que l'auteur relate en cette centaine de pages. Les ellipses sont nombreuses, les références (à Port-Royal, au jansénisme, au baroque, aux Libertins) allusives, les écarts érotiques parfois crus détonnent et semblent des concessions incongrues à la modernité voire au commerce, les éclats de colère du héros qui parle peu mais casse beaucoup sont excessifs. La poésie peine à s'insinuer, sauf peut-être dans la description des paysages :

"Il aimait le balancement que donnait l'eau, le feuillage des branches des saules qui tombait sur son visage et le silence et l'attention des pêcheurs plus loin [...] Il écoutait les chevesnes et les goujons s'ébattre et rompre le silence d'un coup de queue ou bien au moyen de leur petites bouches blanches qui s'ouvraient à la surface de l'eau pour manger l'air."  (p.35)

En somme, un petit roman, vite lu et sans doute vite oublié si je n'avais pris le temps d'écrire cet article.

Partager cet article
Repost0
31 mai 2017 3 31 /05 /mai /2017 16:00

Je viens de lire ce roman publié en 2008 à propos de la trahison de Tyrone Meehan.

C'est dans Retour à Killybegs, publié en 2011 que l'on comprend comment ce héros de  l'IRA a pu devenir un traître. J'ai donc lu l'explication avant le récit de la trahison. C'est un itinéraire que je conseille car ainsi le personnage prend chair de manière plus puissante.

Le titre de ce roman peut surprendre : "Mon traître". La lecture de l'oeuvre l'éclaire : de même que dans l'incipit du Quatrième mur, publié en 2013, le narrateur désigne son ami Marwan par "mon druze", le narrateur désigne ainsi son ami "traître". Entre déterminant et nom, il y a comme un oxymore, un hiatus que le héros narrateur, Antoine, un luthier parisien, peine à transformer.

Ce roman, comme la plupart de ceux de cet auteur, est largement inspiré de la réalité : quand Sorj Chalandon, grand reporter à Libération, rencontre Denis Donaldson, leader charismatique de l’IRA et de sa branche politique, le Sinn Fein, ils deviennent amis. Le roman est surtout un hymne à l'amitié, thème qui se retrouve aussi dans Une Promesse, publié en 2006, à l'époque du jugement de l'ami traître, renommé Tyrone Meehan. Mise à mal par la trahison, l'amitié qui unit le luthier parisien et le membre de l'IRA est ici présentée de sa naissance à la disparition  de Tyrone, assassiné à Killybegs.La rencontre d'une vieille irlandaise permet cependant de conclure sur une note apaisée :

"Elle a dit qu'il y avait des Tyrone partout, dans les guerres comme dans les paix, et que cela ne changeait rien. Ni à la paix, ni à la guerre. Ni même à Tyrone.Elle a dit que nous l'avions aimé sans retenue parce que c'était lui.Et que nous lui avions donné notre confiance parce que c'était lui. J'ai hoché la tête. J'ai souri. J'ai revu nos gestes. Cette façon que nous avions de relever nos cols de vestes à la pluie. Ms pas dans les siens. Son regard sous la visière. Nos verres levés. Sa main. J'ai regardé la salle. J'ai laissé faire une larme." (p 216)

Partager cet article
Repost0
20 mai 2017 6 20 /05 /mai /2017 11:38

Ce roman a été publié en 1813, deux années plus tôt que le précédent que j'ai lu, Emma.

Qu'importe,ils se lisent indépendamment l'un de l'autre et on y retrouve les mêmes analyses sociales de la gentry et le même esprit frondeur ici incarné par Lizzy et non plus par Emma.

Lizzy est la seconde des cinq filles de Mr et Mrs Bennett. Celle-ci n'a qu'une préoccupation : marier ses filles. Pour Mrs Bennet, toutes les préoccupations tournent autour du nombre de livres de rentes que pourraient avoir ses gendres et, en conséquence, des maisons et des robes que pourraient avoir ses filles.Entre caprices et crises de nerfs, Mrs Bennet apparaît surtout comme une femme sotte et  vulgaire. Son époux est un gentleman, il s'est fait une raison : il se retire presque toujours dans sa bibliothèque et lorsqu'on le consulte, il prend presque toujours des décisions contraires à celles de son épouse.

Parmi les filles, Lydia, la troisième, épousera in extremis un aventurier sans foi ni  loi avec elle lequel elle s'était enfuie, L'honneur de la famille est atteint mais sauf. Jane et Lizzy, les deux aînées, plus proches de leur père, au terme de multiples péripéties, épouseront tout de même des gentlemen qui auront su vaincre par amour pour elles, orgueil comme préjugés.

Dans ce roman plus que dans le suivant, l'écart social est important. Le récit nous permet de découvrir quelques personnages représentatifs de ce microcosme. Parmi les portraits  soigneusement dressés, le plus souvent du point de vue de Lizzy, il y a l'obséquieux Mr Collins dont Lizzy a fort justement repoussé l'offre de mariage, la très orgueilleuse Lady Catherine de Bourgh, et bien sûr son neveu, le beau ténébreux Mr Darcy qu'épousera Lizzy après l'avoir  une première fois repoussé :

"Après un silence qui dura quelques minutes, il s'avança vers elle dans un état de grande agitation et commença ainsi :

_J'ai lutté en vain. Je n'en puis plus. Je ne puis dompter mes sentiments. Il faut que vous me permettiez de vous dire à quel point je vous admire et vous aime ardemment.

L'étonnement d'Élizabeth ne peut se dépeindre. Elle ouvrit de grands yeux, douta et garda le silence. Il prit cela pour un encouragement suffisant et l'aveu de tout ce qu'il avait éprouvé, et éprouvé depuis longtemps pour elle, suivit immédiatement. Il s'exprimait bien mais il n'avait pas que son amour à exprimer et l'orgueil ne parlait pas moins fort dans sa bouche.C'est ainsi que profondément convaincu de leur différence de rang, il mit en lumière l'abaissement auquel il consentait, les obstacles familiaux que son jugement avait toujours opposés à son inclination, le tout avec une chaleur que justifiait l'extrême importance donnée par lui à ces choses, mais qui paraissait peu propre à recommander sa demande.

En dépit de son antipathie profondément ancrée, elle ne put rester insensible au compliment que présentait pour elle l'affection d'un tel homme ; et, bien que sa résolution n'ait pas chancelé un instant, elle regretta, d'abord, la peine qu'elle allait lui faire...." (p 236/237)

 

Partager cet article
Repost0
22 avril 2017 6 22 /04 /avril /2017 11:43

Jane Austen est une romancière anglaise de fin XVIII/début du XIXe siècle, elle a publié Emma en 1815, époque où chez nous Chateaubriand occupait largement la une littéraire laissant Mme de Staël Marceline Desbordes-Valmore bien en retrait. Or Jane Austen avec Emma écrit un vrai gros roman qui mêle intrigues sentimentales, analyses psychologiques, étude de moeurs, humour, sarcasme, critique sociale, suspense. En somme, un roman total, étonnamment moderne dans lequel Emma, une jeune femme de 21 ans, manigance et conjecture au sujet des personnes de son environnement de la gentry provinciale de Surrey ce qui donne l'occasion à l'auteure de créer des personnages parfois caricaturaux comme la trop bavarde Miss Bates, l'hypocondriaque Mr Woodhouse, parfois complexes et particulièrement travaillés comme Mr George  Knightley, Miss Jane Fairfax, Miss Hariett, l'odieuse Mrs Elton... Et cela offre aussi l'occasion d'explorer les moeurs provinciales de ce temps, soirées au coin du feu, soupers, pique-niques, visites, promenades et même un bal, de décrire la campagne anglaise et  de se livrer à une critique sarcastique des règles sociales en vigueur.

Extrait choisi, Emma vient de se moquer de Miss Bates au cours d'une journée de pique-nique collectif à Box Hill et Mr Gorge Knightley le lui reproche :

  "Oh ! s'écria Emma, je sais qu'il n'existe pas au monde une meilleure créature qu'elle, mais vous savez aussi que la bonté et le ridicule forment la base de son caractère.

_ Cela est vrai, dit-il, je l'avoue. Mais si elle était riche, j'admettrais même que le ridicule surpassât la bonté ; si elle avait de la fortune, je ne trouverais pas mauvais que ses absurdités fussent pour vous un objet de dérision. Si elle était votre égale par sa position, je ne vous ferais aucun reproche. Mais, Emma, considérez la distance qu'il y a de vous à elle : elle est très pauvre, elle est déchue de l'état de prospérité dans lequel elle était née, et, si elle vit longtemps, son sort deviendra encore plus malheureux. Sa situation devrait exciter en vous la pitié. En vérité, vous vous êtes mal conduite. Vous, qu'elle a vue enfant, vous qu'elle a vue grandir lorsque ses attentions vous honoraient, vous venez maintenant, par l'étourderie, par un orgueil mal entendu, de vous moquer d'elle, de l'humilier devant sa nièce et devant les gens dont quelques-uns imiteront votre exemple.Ce que je vous dis, Emma, ne vous est pas agréable, sans doute, et je vous assure que cela me l'est encore moins. Mais il est de mon devoir de vous faire ces représentations. Tant qu'il sera en mon pouvoir de vous dire la vérité, je le ferai. En vous donnant de bons conseils, je vous prouve la sincérité de l'amitié que j'ai pour vous : rt je me flatte qu'un jour ou l'autre vous me rendrez plus de justice que vous ne le faites à présent.

Tout en parlant, ils s'approchaient de la voiture. Elle était prête et, avant qu'elle pût dire un mot, il lui avait donné la main pour y entrer. Il avait méconnu les sentiments qui l'avaient engagée à tourner la tête et l'avaient empêchée de parler. C'était un composé de colère contre elle-même, de mortification et de chagrin." (p 414-415)

J'ai dévoré ce roman qui m'a tenue en haleine d'un bout à l'autre car l'auteure sait créer et soutenir le suspense jusqu'au bout. Les manigances d'Emma pour prévoir et organiser des mariages, ses maladresses et les patients reproches de Mr Knightley qui se comporte toujours en sage gentilhomme sont pour beaucoup dans le plaisir de cette lecture. Emma est en effet un roman à suspense et aussi un roman d'initiation. Je ne m'attendais pas à une telle modernité dans une oeuvre datant de 1815. Je l'ai lue traduite pour l'édition archipoche par Hélène Seyrès.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : LIRELIRE
  • : Ce blog est destiné à recevoir et à diffuser nos avis de lecteurs à propos des livres choisis (élire) et lus (lire).
  • Contact

licence et trace carbone

Lirelire   Josiane Bicrel est mis à disposition selon les termes de la licence creativecommons by-nc-sa/4.0

Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les mêmes Conditions 

Lirelire est neutre en carbone.

 

Rechercher

Mon profil sur Babelio.com

Classement Alphabétique Des Auteurs

Mon profil sur Babelio.com