Jardins d'exil publié aux Éditions du lointain, est le premier roman de ce jeune auteur. C'est un récit très étonnant, car construit d'une manière éclatée, ce qui déstabilise le lecteur habitué à des structures plus conventionnelles et, sans doute, plus policées.
Ici les ruptures sont constantes, le monde vole en éclats, entre Ve siècle av JC et XXIe s, entre Montreuil, Le Caire, Al-Bariya au Maroc, L'Espagne, Israël, L'Iran, la Crête ..., entre bars de nuit, laboratoires de recherches, appartements et hôpital, entre aventures et "bitures"... L'entrée dans le roman par un rêve d'ivrogne, un rêve sans queue ni tête a priori est d'ailleurs annonciatrice de ce monde désarticulé.
Et pourtant, on s'y fait et même, on s'y laisse prendre : Laura, jeune sœur du héros Alejandro survivra-t-elle à sa leucémie ? Aemilia, jeune alexandrine des débuts de l'époque byzantine, est-elle morte des suites d'une leucémie ou a-t-elle été assassinée ou n'a-t-elle pas réussi à surmonter la douleur du départ de son amante Théodora repartie pour Antioche ?
Les personnages aussi sont attachants : les doutes et complexes du grand frère Alejandro vis-à-vis de sa jeune sœur Laura, les questions qui taraudent les exilés comme Azadeh, Hakim, Youssef, le personnage de Sacha aussi est intéressant. Le titre "Jardins d'exil" a beau être au pluriel, il ne rend compte que d'une petite partie du roman.
Le roman est aussi rempli de références culturelles diverses mais passionnantes : l'origine de la religion copte, l'histoire de la reine Théodora, les progrès scientifiques liés aux greffes ou liés aux possibilités de recherches par l'étude de l'ADN.
Je trouve toutefois que dans les premières pages le recours aux métaphores est excessif et maladroit : "les zones les plus reculées de mon cerveau prennent alors les commandes [...] un cadavre pompéien de spaghettis [...] Une ultime nuée de fumée sonne comme un chant du cygne gastronomique..." Heureusement, cela ne dure pas. Les scènes érotiques et dans une moindre mesure les scènes d'alcoolisation tombent presque toujours à plat, transformant le lecteur en voyeur puisque ces descriptions n'ont pas d'autres enjeux véritables. C'est dommage car ce récit valait mieux.
J'ai repéré aussi quelques coquilles qui ne sont pas passées au crible de l'éditeur : p 88 "Il m'a toujours aimé" P197 "Mais tu m'as rassuré" p 213 "Elle organise, transfert" p 220 " Une dictature vielle" "p 287 " Azadeh était déçu" Surprenant, car je suppose que ce livre a été lu et relu avant d'être édité. Ce premier roman mérite le meilleur !
Extrait choisi : "Des nouveaux rôles se dessinaient malgré nous dans notre minuscule tribu. J'épousais celui de l'esprit subversif et ma sœur de l'irréprochable modèle. Elle suivait la voie royale, et moi une voie sans issue. Elle appelait régulièrement pour donner de ses nouvelles, je ne répondais jamais au téléphone. Elle prenait soin d'elle, comme de ses affaires, je perdais souvent mes cartes bleues, mes clés ou mes portables et ne revouvelais que très rarement ma garde-robe. Enfin, j'avais des relations compliquées avec des filles impossibles, elle rencontrait des garçons charmants, bien sous tous rapports. Cette caricature participait à écrire la légende familiale"