La pièce reprend l'histoire de l'empereur romain assez fidèlement mais Camus en fait une œuvre littéraire et philosophique au service de sa théorie de l'absurde.
Je présente ici cette pièce très célèbre à travers quelques citations choisies :
"Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux" I4
" tout, autour de moi est mensonge et moi, je veux qu'on vive dans la vérité. Et justement, j'ai les moyens de les faire vivre dans la vérité." I4
"Je n'ai pas tellement de façons de prouver que je suis libre." II9
"On est coupable parce qu'on est sujet de Caligula." II9
" Et près des femmes que je caresse, quand la nuit se referme sur nous et que je crois, éloigné de ma chair enfin contentée, saisir un peu de moi entre la vie et la mort, ma solitude entière s'emplit de l'aigre odeur du plaisir aux aisselles de la femme qui sombre encore à mes côtés"II 14
"Pour un homme qui aime le pouvoir, la rivalité des dieux a quelque chose d'agaçant. J'ai supprimé cela. J'ai prouvé à ces dieux illusoires qu'un homme, s'il en a la volonté, peut exercer, sans apprentissage, leur métier ridicule." III 2
"On ne comprend pas le destin et c'est pourquoi je me suis fait destin" III 2
" Je sais d'avance ce qui me tuera. Je n'ai pas encore épuisé ce qui peut me faire vivre" III3
" Je crois que toutes [les actions] sont équivalentes" III 6
" Aimer un être, c'est accepter de vieillir avec lui. Je ne suis pas capable de cet amour" IV 13
" On croit qu'un homme souffre parce que l'être qu'il aime meurt en un jour. Mais sa vraie souffrance est moins futile : c'est de s'apercevoir que le chagrin non plus ne dure pas. Même la douleur est privée de sens" IV 13
" Me voilà encore plus libre qu'il y a des années, libéré que je suis du souvenir et de l'illusion." IV 13
"Cette logique implacable qui broie des vies humaines pour parfaire enfin la solitude éternelle." IV 13
Clara lit Proust est le récit d’une épiphanie : la découverte de La Recherche du temps perdu par Clara jeune coiffeuse du salon chez Cindy à Chalon sur Saône, épouse d’un pompier est pour elle une révélation lumineuse. Sa vie tout entière s’en trouve bouleversée. Rien pourtant ne semblait l’y préparer. On peut lire ce livre comme une apologie du pouvoir de la lecture et surtout comme une épiphanie : « L’affaire est de se libérer soit même : trouver ses vraies dimensions, ne pas se laisser gêner » est la citation de Virginia Woolf que l’auteur place en exergue.
Mais ce serait oublier Proust, omniprésent dans ce livre. Les personnages du salon, la patronne Mme Habib, la collègue Nolwenn, le collègue Patrick mais aussi la voisine du bar tabac Lorraine et bien sûr les clientes, Claudie en particulier, semblent avoir une sorte de lointaine parenté avec la duchesse de Guermantes, la tante Léonie, Odette, Charlus, Swann et les autres. C’est comme si le regard de Proust sur les êtres se portait aussi sur ces personnages modernes. Un entrelacs se dessine peu à peu entre le monde de Clara et celui de Proust dont des extraits de textes sont régulièrement cités, lus par Clara. Pourtant au contraire de l’écriture de Proust, l’auteur privilégie ici les chapitres courts voire très courts, les phrases brèves alors même que la longueur et la complexité des phrases de Proust est maintes fois rappelée, au début comme un frein à la lecture puis comme une trace de l’extrême précision de ses évocations. Proust est mort le 18 novembre 1922, bientôt 100 ans mais on voit bien ici qu'il n'a pas disparu.
Tout cela donne à ce roman l’effet d’une petite friandise qu’on aurait bien tort d’ignorer.
Extrait choisi : « Mme Habib dans son salon à neuf heures du matin ressemble à une femme jouant au casino le samedi soir. Chemisier de soie havane ou léopard, bracelet faisant cliqueter ses moindres gestes et Shalimar, beaucoup de Shalimar, tellement de Shalimar que le parfum, imprégnant l’endroit, en est devenu la marque autant que son carrelage blanc à effet marbré ou les deux notes de son carillon à l’entrée. Son maquillage excessif accentue l’expression de fatigue de ses yeux sortant légèrement de leurs orbites. Sa voix est enrouée, cassée par la cigarette comme à la fin d’une journée passée à attendre. Son teint est bistré par la poudre autant que les séances sous les lampes, Madame Habib est accro au bronzage ( aux beaux jours, à la pause déjeuner, il n’est pas rare de la voir, place de la Libération, assise à un bout de banc pas encore à l’ombre, déguster sa salade de riz, le visage offert au soleil). »
C'est un tout petit recueil plein de malice et de fantaisie où les traits se succèdent sans ordre apparent dans un méli-mélo d'aphorismes aigres-doux tantôt drôles, tantôt plus graves mais toujours spirituels. "Tentative fragmentaire de compter sur soi jusqu'à l'infini" annonce le sous-titre du recueil mais tout de même, quelle mouche a piqué Olivier Cousin de nous écrire d'outre-tombe ? "Je suis mort depuis trois ans déjà et je me sens bien, merci.", ironise-t-il au début du recueil. Heureusement ce "je est un autre", je le sais !
extraits choisis :
défaite
Remonter le temps ? La pente, interminablement est un cul-de-sac.
Tuer le temps ? C'est une victime inaccessible et un ennemi imbattable.
Gagner du temps ? Ici ce serait perdre le soin.
Prendre son temps ? Mais à qui le donner ?
Tous nos voisins en ont autant que nous à faire fumier.
dissertation
Vivre sous un tas de pierres. Mourir sous un tas de pierres. Quelle différence cela fait-il ? Je vous laisse méditer là-dessous. Déposer sa réponse sous le bénitier. Je la lirai quand j'aurai un temps mort.
logique
Puisque presque tout le monde naît en pleurant, presque tout le monde devrait mourir avec le sourire.
Sorj Chalandon a obtenu en 1988 le prestigieux prix Albert Londres de la presse écrite alors qu’il venait de couvrir le procès Barbie en 1987 en tant que chroniqueur judiciaire de Libération. Plusieurs prix littéraires ont aussi émaillé son parcours d’écrivain dont en 2015 le prix du style de l’OBS pour Profession du père, œuvre où il dévoilait sa famille et tout particulièrement son père, un homme fantasque, mythomane et violent. La biographie de l’auteur nous apprend qu’il s’est émancipé dès 17 ans alors que la majorité n’était alors qu’à 21 ans. Or en 2020, six ans après la mort de son père, Sorj Chalandon peut accéder au dossier de son père à la cour de justice de Lille, conservé aux archives départementales du Nord.
Ce roman paru en août 2021 est la conjonction de ces trois éléments : le héros vient de découvrir grâce à un ami le dossier de son père à la cour de Justice de Lille et il s’efforce d’obtenir de son père des aveux ou pour la première fois la reconnaissance de la vérité. Au même moment, il est chroniqueur judiciaire au procès Barbie auquel son père assiste en se faisant passer pour un résistant, lui qui avait été condamné comme collabo ! Ce sont les deux fils qui constituent la trame du roman.
Le roman doit son titre aux paroles adressées un jour au narrateur enfant. Ce sont ces paroles qui déclenchent son besoin impérieux de connaître la vérité sur le rôle joué par son père pendant la guerre. Personnellement, j’ai surtout été intéressée par le procès Barbie dont je ne connaissais pas grand chose. Chalandon retrace le procès dans le détail, nous fait entendre les témoins et victimes et avec eux les horreurs sans nom des tortures infligées par les nazies, nous fait voir l’accusé immobile et silencieux ou absent, jusqu’au moment où il reconnaît comme faits de guerre ce qui lui est reproché vis à vis des résistants mais refuse de reconnaître tout autre fait, ce qui lui a permis durant la guerre froide d’être recruté par les Américains. On assiste aussi à la plaidoirie de défense assurée par Jacques Vergès qui pour défendre l’accusé remet en question certains témoignages qui pourtant imposaient juste le silence, puis rappelle que la France coloniale a elle aussi commis des horreurs.
Ce qui m’a semblé préoccupant car en écho avec l’actualité, c’est la sortie du tribunal de Vergès et de ses associés. Dehors, une foule les accueille avec menaces de mort et propos racistes. Verges est même traité de « SS » … juste après cette horrible litanie de témoignages des horreurs commises par Barbie ! Ces excès de la vindicte populaire sont particulièrement inquiétants.
Alors, c’est vrai, le propos est si fort que j’en oublie de parler du talent de l’écrivain : je suis une fidèle de Chalandon dont j’ai lu presque tous les livres, celui-ci est de la même patte. Dommage qu’il ait été retiré de la liste des Goncourt des lycéens car même si Le Quatrième mur avait déjà remporté ce prix, Enfant de salaud dit ce qu’il est nécessaire que la jeune génération connaisse.
Extrait choisi : « Vergès a été assailli. [...]
Ça a été le vacarme. La colère s’est ruée en hurlant sur le groupe. Avocat, policiers, journalistes, tous pourris. « À mort ! » Voix d’hommes, de femmes, hurlements, coups de poing donnés au hasard.
— Vergès SS ! ont scandé des inconnus.
J’ai été bouleversé. Au crépuscule de ce procès, j’avais cru que les mots étaient retournés à leur place. Que le crime de Klaus Barbie ne désignerait jamais rien d’autre que le crime de Klaus Barbie. Qu’aucun flic, même la pire des ordures, ne serait jamais plus traité de SS. Et qu’aucun avocat ne serait jamais comparé à celui qu’il avait défendu. J’avais eu tort. Ce fut la curée. Les policiers ont sorti leurs matraques. Ils ont tapé à l’aveugle. Les journalistes, badgés d’orange, ont été traités de complices.
Dans la nuée, il y avait des femmes, des hommes, des jeunes, des plus vieux emmêlés. Certains étaient dans la salle d’audience au moment des débats, d’autres arrivaient de la rue, appâtés par l’événement. [...]Au passage de l’avocat africain, une gamine a imité le piaillement du singe. La foule était portée par son déchaînement. ”
Ce roman écrit en anglais en 2019 et traduit et publié en français en 2020, nous transporte dans le comté du Hampshire dans les années 30. Il prend appui sur des réalités historiques avérées : le personnage de Louisa Pesel, brodeuse pour la cathédrale de Winchester et ses broderies, l'art campanaire et ses subtilités mais aussi cette réalité de l'entre deux guerres où les familles restaient meurtries des disparitions de leurs pères, fils, maris, fiancés ou frères et où les jeunes filles ne trouvaient pas de mari, car la population masculine était décimée tandis qu'un certain Hitler gravissait les marches vers le pouvoir en Allemagne.
C'est dans ce contexte que nous suivons la jeune Violet, déjà 38 ans mais "femme excédentaire", sans époux. Avec elle, c'est l'émancipation de la femme que nous suivons : elle rencontre des hommes lors de ses sorties "Sherry", elle fume, elle travaille comme dactylo et ne craint pas de formuler revendications et suggestions d'amélioration à son patron, elle a quitté la maison familiale pour s'installer dans une pension à Winchester et elle sait résister aux prières insistantes de son frère de rentrer pour veiller sur leur mère au caractère irascible. Elle sort de son isolement en rejoignant le club des brodeuses de Louisa Pesel, prend des vacances pour se lancer dans une randonnée en autonomie malgré la menace d'une sorte d'homme des cavernes nommé Jack Well. Elle s'est éprise d'Arthur, un sonneur de cloches, c'est un homme marié qui pourrait être son père, le scandale menace. Puis elle élève leur enfant en mère célibataire, occupant la maison familiale de Southampton rebaptisée "maison du péché" par les voisins, avec ses amies, Gilda et Dorothy qui forment un couple, bravant, elles aussi, les qu'en-dira-t-on.
"Per angusta, ad augusta" dirait la prof de latin Dorothy !
Est-ce parce qu'il est si anglais ou parce qu'il tourne sans cesse autour des questions de mariage, de famille et de femmes en quête d'indépendance, ce roman rappelle par bien des aspects les romans de Jane Austen pour notre plus grand plaisir.
Extrait choisi : "Pour Violet, la broderie était comparable à la dactylographie, en plus satisfaisant. Il fallait se concentrer, mais une fois qu'on était suffisamment experte, on trouvait son rythme et on ne pensait plus qu'à l'ouvrage qu'on avait devant soi. La vie se résumait alors à une rangée de points bleusqui se muaient sur la toile en une longue tresse, ou à une explosion de rouge qui se transformait en fleur. Au lieu de taper des formulaires pour des gens qu'elle ne verrait jamais, Violet faisait grandir sous ses doigts des motifs aux couleurs éclatantes."
Sido, c'est le titre de ce recueil, écrit par Colette en 1929 pour évoquer son enfance et sa famille. Certes l'ouvrage se compose de trois chapitres, "Sido", "Le Capitaine" et "Les Sauvages" accordant aux fils et au père une partie a priori égale à celle qui est consacrée à la mère, Sido mais l'ensemble est clairement dominé par l'image de Sido, de sa complicité avec l'autrice enfant dans leur jardin rempli de fleurs et d'échos.
Pour recréer par l'écriture, ce jardin d'Éden de sa maison natale, Colette alors qu'elle est désormais âgée de 56 ans, retrouve les mille et un noms et couleurs des plantes cultivées par sa mère : "O géraniums, o digitales... Celles-ci fusant des bois taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, [...] "Sido" aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu'elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais" Elle ajoute aussi quelques " bulbes de muguet, quelques bégonias et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules" sans oublier les arbres, "bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba."...
Au milieu de ce jardin d'Eden, Sido telle une majestueuse déesse, "repoussait en arrière la grande capeline de paille rousse, qui tombait sur son dos, retenue à son cou par un ruban de taffetas marron, et elle renversait la tête pour offrir au ciel son intrépide regard gris, son visage couleur de pomme d'automne. Sa voix frappait-elle l'oiseau de la girouette, la bondrée planante, la dernière feuille du noyer, ou la lucarne qui avalait, au petit matin, les chouettes ? Ô ¨surprise, ô certitude... D'une nue à gauche une voix de prophète enrhumé versait un "Non, Madame Colê...ê...tte !" qui semblait traverser à grand peine une barbe en anneaux, des pelotes de brumes, et glisser sur des étangs fumants de froid."
Colette fait ainsi renaître les sensations de son enfance et avec elles tout un passé pourtant révolu. En effet, cette déesse-mère qui lui apprenait la vie et la nommait "mon Joyau-tout-en-or" finit par mourir laissant après elle son "Capitaine" qui "l'aimait sans mesure" mais qui "ne s'intéressait pas beaucoup, en apparence du moins, à ses enfants" et sa fille aînée "habitée par le fantôme littéraire des héros" et mal mariée, son fils aîné, un "sauvage" devenue médecin, son fils cadet, resté "sauvage" bien après l'enfance et notre Colette dont la plume magique fait renaître son enfance dans le paradis de la maison natale de Saint-Sauveur-en-Puisaye que j'espère visiter un jour.
Le récit commence par le décès d'un homme entouré de sa famille. Cet homme meurt d'une leucémie, il a 34 ans, seule sa fille, encore trop petite, est absente.
Dans sa famille, il est le cadet et devient le canard noir : alors que son père et son frère sont de grands médecins, chefs de clinique et fortunés, lui, il a arrêté ses études de médecine, il dépense sans compter aux jeux et se prend d'amour fou pour une demi-mondaine qu'il épouse et dont il a un enfant.
La narratrice en l'enfant de cet amour fou d'un "canard noir" et d'une belle du jour. Lorsque meurt son père, elle est accueillie avec sa mère dans le château familial mais sa situation est délicate car sa mère n'est pas vraiment bienvenue. Quand celle-ci part refaire sa vie avec un autre homme dont elle a un autre enfant, notre héroïne n'a plus sa place et coupe les ponts. Après le décès de sa riche grand-mère, voilà qu'elle est seule héritière avec son oncle...
Ce récit reprend dans une fiction les principaux sujets d'étude de l'autrice psychologue clinicienne. L'analyse psychologique y est très présente mais la présentation d'un milieu social bien particulier en fait aussi l'intérêt. La lecture est facile et rapide, les chapitres sont courts, l'écriture presque plate sauf quelques passages qui semblent correspondre aux moments de perte de repères. Ainsi :
"Je me sens tapissée d’une substance opaque, qui tache de nuit tout ce que je regarde. Les maisons sont ternes. Les arbres, desséchés. Le ciel, sale. Viennent des rêves où tout recommence. Ce sont des rêves où toutes les couleurs semblent plus vives : les bleus sont plus tranchants, les rouges plus brillants, les blancs plus laiteux. J’ouvre une porte. Les gens qui sont morts ne sont pas morts. Leur visage est lumineux. Ils me prennent dans leurs bras. Je ne suis plus seule. Je n’ai plus peur. Je n’ai plus froid. Quand j’ouvre les yeux, je mets de plus en plus de temps à me souvenir qu’ils sont vraiment morts. Persiste, pendant plusieurs heures, le sentiment qu’ils sont toujours là, et qu’ils vont venir me chercher, et tout sera pardonné. Les portraits de mes grands-parents, de mon père et de mon oncle gisent sur mon oreiller. Je colle mon visage au leur. Je veux rentrer dans les images, mais mes dents se mettent à claquer. La terreur s’abat sur moi. Mes yeux n’arrivent plus à se détacher des affaires de ma grand-mère : je ne peux ni les toucher ni les jeter. Et du fond d’une valise éventrée, l’œil d’argent du dragon ornant la soupière de ma grand-mère me regarde, prêt à me calciner. Ma bouche reste fermée."
Sous-titré " La Merveilleuse Histoire du général Johann August Suter", L'Or est le premier roman de Blaise Cendrars.
Publié en 1924, il raconte l'histoire vraie de Johann August Suter, qui en mai 1834 abandonne sa femme et ses quatre enfants dans le comté de Bâle en Suisse. Âgé de 31 ans, Il part sans un sou en poche et prend un bateau qui le conduit en Amérique. Pendant deux ans, il pratique de multiples petits métiers et se crée un réseau d'aventuriers et de commerçants grâce auxquels il s'informe sur les moyens d'atteindre l'Ouest. La traversée de l'Amérique d'Est en Ouest renvoie pour le lecteur moderne aux multiples images de westerns vus à la télé ou au cinéma. Parvenu à Santa Fé, il apprend l'existence d'une autre région bien plus à l'Ouest, une région qui irrémédiablement l'attire. Il repart vers cette région, aujourd'hui la Californie, En chemin il s'arrête à Honolulu où il s'attache une équipe de travailleurs Canaques. Avec eux, il gagne la Californie où il obtient d'importantes concessions de la République de Mexico. Il nomme son domaine La Nouvelle Helvétie et mets en place agriculture et élevage puis construit moulins, ponts, routes, ... Suter devient multimillionnaire et parvient habilement à repousser les attaques. Il envoie de l'argent en Suisse et fait venir sa femme et ses enfants.
Extrait :
"La Nouvelle-Helvétie prenait tournure. Les maisons d’habitation, la ferme, les principaux bâtiments, les réserves de grains, les dépôts étaient maintenant entourés d’un mur de cinq pieds d’épaisseur et de douze pieds de haut. A chaque angle s’élevait un bastion rectangulaire muni de trois canons. Six autres pièces défendaient l’entrée principale. La garnison permanente était de 100 hommes. En outre, des patrouilles et des rondes parcouraient toute l’année l’immense domaine. Les hommes de troupe, racolés dans les bars d’Honolulu, étaient mariés à des femmes californiennes qui les accompagnaient dans tous leurs déplacements, portant le bagage, pilant le maïs et fabriquant les balles et les cartouches. En cas de danger tout ce monde se rabattait sur le fortin et venait renforcer la garnison. Deux petits bateaux armés de canons étaient à l’ancre devant le fort, prêts à remonter soit le Rio de los Americanos, soit le Sacramento.
Les directeurs des moulins, des scieries où se débitaient les arbres géants du pays, des innombrables ateliers, étaient pour la plupart des charpentiers de bord, des timoniers ou des maîtres d’équipage que l’on faisait déserter des voiliers en escale sur la côte en leur promettant une solde de cinq piastres par jour.
Il n’était pas rare de voir des Blancs venir se présenter à la ferme, attirés par la renommée et la prospérité de l’établissement. C’étaient de pauvres colons qui n’avaient pas su réussir seuls, principalement des Russes, des Irlandais, des Allemands. Suter leur distribuait des terres ou les employait selon leurs capacités.
Des chevaux, des peaux, du talc, du froment, de la farine, du maïs, de la viande séchée, du fromage, du beurre, des planches, du saumon fumé étaient journellement embarqués. Suter expédiait ses produits à Van Couver, à Sitka, aux îles Sandwich, et dans tous les ports mexicains et sud-américains ; mais il approvisionnait surtout les nombreux navires qui venaient maintenant jeter l’ancre dans la baie.
C’est dans cet état de prospérité et d’activité que le capitaine Frémont trouva la Nouvelle-Helvétie quand il descendit des montagnes après sa mémorable traversée de la Sierra Nevada. Suter s’était porté à sa rencontre avec une escorte de 25 hommes splendidement équipés. Les bêtes étaient des étalons. L’uniforme des cavaliers, d’un drap vert sombre relevé d’un passepoil jaune."
Mais, alors qu'il est installé depuis près de dix ans, il suffira d'un coup de pioche d'un charpentier pour que tout l'édifice s'écroule. C'est que ce coup de pioche a provoqué la découverte d'un gisement d'or sur les terres de Suter. Alors, on assiste à la corruption de tous ceux qui jusque-là travaillaient en bonne entente sur le domaine et à l'invasion incontrôlée et incontrôlable du domaine par des chercheurs d'or venus du monde entier. Une ville naît, San Francisco, Suter est proclamé général mais spolié de tous ses biens. San Francisco est rattachée aux États-Unis, Suter a tout perdu.
Cette histoire est donc une histoire vraie mais Cendrars lui donne une dimension largement plus intéressante, ce roman prend en effet la dimension d'une tragédie ou au moins d'un apologue.
"Ma condition physique, enfin auditive ne m'interdit rien, et je suis les cours de gym comme tout le monde. J'ai été sourde
mais je n'ai pas de séquelles. J'entends comme les autres, sauf que j'ai des appareils aux oreilles. Par conséquences, j'évite d'attacher mes cheveux, mais un jour le prof m'a demandé de les tirer en arrière. J'ai baissé le nez, j'ai refusé. La classe me regardait et je ne suis pas la plus forte pour tenir tête aux professeurs. Je n'ai pas pu évoquer la raison de mon refus, alors j'ai fini par obéir. J'ai obéi en pensant à mes appareils auditifs que tout le monde allait voir. Dans quelques mois, ils seront de taille plus réduite. J'ai prié je ne sais pas qui pour qu'on ne les remarque pas. Mais franchement, c'est impossible de ne pas les voir. Et Romane les a vus en première. Elle m'a demandé ce que c'était, je lui ai expliqué que j'avais été sourde mais que c'était en voie de guérison."
La citation que j’ai choisie explique certaines périodes du livre où le personnage principal a des moments de tristesse à cause de son passé. De cela, on tire aussi une conclusion que certains problèmes que nous avons vécus plus petit peuvent nous gêner et nous causer des problèmes.