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12 décembre 2023 2 12 /12 /décembre /2023 17:42

Publié aux Éditions Arthaud le 12 avril 2023, ce livre a été couronné par le prestigieux prix Albert Londres en novembre 2023 : " Le jury du Prix Albert Londres applaudit ce travail d’enquête au long cours sur un sujet essentiel, vital, qui concerne chacun d’entre nous. Cette immersion dans l’agro-industrie bretonne est un travail difficile, brillant, documenté qui révèle une atmosphère sournoise de féodalité, et décortique les méthodes, ce que l’on pourrait aussi appeler la « Breizh mafia »." Est-ce ce qui explique qu'à cette approche de noël le livre version papier est introuvable ? Heureusement, la version numérique reste accessible.

Voilà en effet un travail d'enquête de sept années devenu un incontournable pour tout breton et tout curieux de la Bretagne, une œuvre si documentée que la mention des sources occupe plus de deux cents pages sur les 451.

Le livre se présente comme une série d'enquêtes jalonnées de témoignages et réparties en trois grandes étapes :

I Les fondements de l'empire armoricain

Après le rappel de ses racines agricoles, l'auteur assène quelques témoignages qui donnent le ton. Ainsi celui d'Emmanuel, éleveur — Mes parents ont commencé avec cinq vaches. On vivait bien. Moi, j’ai débuté avec soixante, aujourd’hui j’en ai cent cinquante. On gagne 2 000 euros par mois à deux. On travaille entre douze et quatorze heures par jour. Comme on dit avec ma femme : le week-end, pour nous, ça commence le dimanche à 12 heures et ça finit le même jour à 18 heures, pour la traite. On se retrouve obligés d’investir, mais c’est juste pour garder notre revenu. Pour continuer à remplir le Caddie. On est dans la course à l’échalote pour pouvoir rester là. Heureusement que ma femme travaille à l’extérieur, pour qu’on puisse payer les courses. Je ne peux pas me permettre d’engager quelqu’un. Je peux vous présenter des amis éleveurs chez qui le grand-père continue de travailler sur la ferme, à 70 ans… Y a des moments, quand on perd de l’argent à travailler… Quand j’ai commencé, y avait dix-sept producteurs laitiers dans la commune. Aujourd’hui, on n’est plus que trois. Ma laiterie ? C’est les mêmes gangsters que les autres… Ça n’a pas de sens… Mais je suis là, j’ai des prêts à rembourser. Faut bien que je vive. J’ai des amis qui se sont suicidés. Mon voisin, il est parti avec son télescopique 3 , il a pris une corde, il s’est pendu dans un coin de la ferme. Et voilà."

Le chapitre s'attache alors à remonter le fil qui a mené à cette croissance qui appauvrit les agriculteurs, élimine les plus petits et les désespère parfois en leur livrant une guerre sourde pour peu qu'ils aient émis quelques velléités de rébellion.

Il remonte ainsi aux années 60 qui a vu le développement en Bretagne de l'agro-industrie autour de quelques personnalités souvent issues des Jeunesses Agricoles Catholiques et assez souvent aussi du lycée agricole du Nivot. Parmi celles-ci, Alexis Gourvennec. . "Au début des années 1990, il pouvait prétendre au titre de premier éleveur porcin breton, avec trois mille huit cents truies pour une production annuelle de quatre-vingt mille animaux, soixante-cinq salariés et 550 hectares au total répartis sur trois sites. Il a possédé un élevage au Venezuela (cinquante salariés, mille sept cents truies), ce qui revenait, d’une certaine façon, à participer au dumping social à l’encontre de ses propres confrères français. À cela s’ajoutait une importante entreprise piscicole, adossée à une société de transformation et de surgélation de poissons." Ce système de croissance exponentielle, c'était le modèle qu'il voulait développer en Bretagne, quitte à éliminer tous les petits producteurs qu'il désignait comme "minables" Mais ce développement n'est pas à la portée de n'importe qui. Alexis Gourvennec était aussi président du Crédit agricole qui finançait son développement, président et créateur de la Britanny Ferry, créateur de la SICA de St Pol de Léon et du lobby Breiz-Europe !  Il côtoyait la sphère politique de droite. Bref, il avait tous les atouts en main.

Le comte Hervé Budes de Guébriant, un catholique royaliste, agronome de formation, est autre figure de cette transformation de la Bretagne, il dirigeait l'Office central (assemblage d'organismes agricoles) et possédait une centaine de fermes en Bretagne.  Lui voulait la modernisation des campagnes, mais pas le capitalisme ni le libéralisme.  Il est à l'origine de la création du lycée agricole du Nivot. L'Office central s'est disloqué dans les années 60  : " le Crédit Mutuel de Bretagne, la coopérative Coopagri (rebaptisée Triskalia, puis Eureden : 3,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, dix-neuf mille cinq cents coopérateurs), la caisse bretonne de l’assureur Groupama, la Mutualité sociale agricole de Bretagne ainsi que l’hebdomadaire Paysan breton, principal organe d’information professionnelle du monde agricole breton (fondé quant à lui par un résistant, Pierre Guillou), sont tous des « enfants » de l’institution landernéenne"

Ces années sont aussi celle de la création de l'un des plus grands empires de la grande distribution : Leclerc dont le but est de vendre à des prix imbattables. Leclerc possède les abattoirs de Kerméné et avec Intermarché, autre mastodonte breton, ils abattaient en 2018 un tiers des porcs bretons, pour vendre la viande au plus bas prix possible. 

L'élevage hors-sol est emblématique de cette modernisation à tous crins : Volailles et porcs (comme fraises et tomates !) sont élevés par des agriculteurs qui se retrouvent liés à des firmes ou à des coopératives auxquelles ils achètent les animaux, leur alimentation, leur médication et auxquelles ils revendent les animaux destinés à l'abattoir. Au fil des crises, on assiste à l'élimination des plus fragiles, et cela, même au niveau des abattoirs : Gad, Doux, Tilly, des abattoirs ferment, victimes de la concurrence acharnée, des centaines de salariés perdent leur emploi, les patrons, comme Loïc Gad   quittent le navire avec des parachutes dorés. On assiste par la même occasion à l'invasion des algues vertes sur les côtes et des nitrates dans l'eau des rivières.

La culture intensive de la pomme de terre et du maïs sont un autre aspect de la modernisation galopante : le maïs est destiné à l'alimentation animale, mais comme il n'apporte pas assez de protéines, il faut acheter du soja aux USA. Pour le cultiver et le récolter, de grosses machines sont nécessaires, ce qui a sonné le glas des talus lors du remembrement et ce qui a développé le marché des engins agricoles. La pomme de terre, aussi use la terre et draine des marchés de produits de traitement :" En itinéraire « conventionnel », en 2017, en France, un champ de pommes de terre recevait en moyenne 20,1 traitements (insecticides, herbicides, fongicides et adjuvants divers) entre la plantation et la récolte, soit près de trois fois la moyenne toutes catégories confondues (7,025 traitements par an)" La terre gorgée de ces pesticides glisse lors des pluies abondantes des plateaux d'Irvillac jusqu'à la rade de Brest où l'huitre plate a déjà disparu tandis que l'élevage des huitres creuses et des moules est devenu impossible.

II Le bal des vampires

En somme, la modernisation de la Bretagne tant voulue par Gourvennec comme par de Guébriant et à leur suite par la FNSEA fait beaucoup de dégâts latéraux et ceux qui tentent de résister sont souvent incompris sinon malmenés, c'est ce que développe la deuxième partie de l'enquête. Refus de prêts, report de l'enlèvement des porcs vendus, livraison d'animaux de seconde classe dits "queues de lots", menaces de mort, intimidations diverses, mises au ban... Les procédés "mafieux" ne manquent pas et les victimes se taisent, se suicident ou rentrent dans le rang. L'auteur recueille plusieurs témoignages glaçants, mais les victimes témoignent presque toujours sous couvert d'anonymat. Cela pose bien sûr un problème au journaliste qui s'attache alors à croiser les sources.

III Une lumière d'automne

Dans cette dernière partie, l'auteur rassemble enquêtes et témoignages sur les prises de consciences, les alternatives et les solutions. Certaines maladies professionnelles commencent à être prises en compte. Des associations de défense de la nature parviennent à faire entendre leur voix. Des éleveurs assument des choix plus écologiques et humains et en font la promotion. Cette "lumière d'automne" n'est peut-être pas près de s'éteindre. Laissons Eluard conclure ainsi :

La lumière toujours est tout près de s'éteindre
La vie toujours s'apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini

(Eluard, Dit de la force de l'amour)

 

 

 

 

 

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29 juin 2023 4 29 /06 /juin /2023 19:06

C’était l’heure des informations. La voix suave de la présentatrice annonça sur les ondes de France Inter un incendie dont l’origine n’était pas encore connue.

Celui-ci était survenu quelques minutes plus tôt quelque part dans le territoire français. Les locaux d’un établissement commercial avaient pris feu. Selon un bon nombre de témoins oculaires, une sorte de météorite avait jailli du ciel et s’était abattue sur le bâtiment qui abritait une entreprise. Était-ce le même feu du ciel qui avait détruit la ville biblique de Sodome ? L’archange Métatron, l’ange suprême de la mort et du pardon, avait-il enfin sévi ? Par ailleurs, Anne-Laure Combes avait prédit que le feu de Dieu s’abattrait sur Don Pietro et ses hommes. N’avait-elle pas exigé du ciel la destruction de tous les biens de ce redoutable criminel ? Le foudroiement était-il programmé depuis la menace ayant été proférée par l’épouse du diplomate ayant été kidnappé ? Était-ce réellement Armageddon ? Ainsi revenait-il à l’Honorable Baptiste Bisengu de l’Arnerie de Saint-Didier de clarifier ces phénomènes et faits hors du commun, dans l’attente de l’avis officiel mais énigmatique du Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (GEIPAN).

Titre : Midi-Pyrénées connexion Auteur : Gaspard-Hubert Genre : policier Sortie : 5 juin 2023

Jean Gandon

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11 août 2021 3 11 /08 /août /2021 13:28

Quel magnifique premier roman ! J'en suis toute retournée. D'ailleurs, un roman ou un long poème ?

Le narrateur est un enfant, il est au bord de la mer, seul avec sa grand-mère et sa tante. Cette grand-mère qui l'humilie quand elle roule les r ou offre du foie haché en cadeau d'amitié à la famille du nouvel ami du jeune narrateur est son seul soutien. Elle l'abrite, le nourrit, le lave et lave son linge, mais ils ne se parlent pas. Sa tante vit recluse dans sa chambre, elle est laide et folle, l'enfant a surtout peur de lui ressembler un jour. Dans leur immeuble vivent aussi une très vieille dame avec son fils, ombre décharnée qui souffre de la même "maladie qu'Yves St Laurent", selon la grand-mère. À lui aussi, le jeune narrateur craint un jour de ressembler. Il écoule ainsi une vie mélancolique, observant le bonheur des familles sur la plage : "ce qui excitait [sa] curiosité, c'était de voir des parents avec leurs enfants. Le quotidien banal d'une famille normale". Sur sa famille à lui rien n'est vraiment dit : sa mère serait morte "exprès" ; de son père, il a des souvenirs fugaces et toujours vaguement inquiétants ;  de ses origines juives, restent quelques relents de personnes entassées, brûlées, mais tout cela reste imprécis, vagues, pas plus présent que les fourmis, que le jeune garçon observe patiemment et dont il tente de contrarier la route ou que les méduses que l'enfant triture avec un bâton lorsqu'il est avec son nouvel ami Baptiste ou encore que Vera le Playmobil qu'il est allé "inhumer" aux Vaches noires dans les sables mouvants qui ont commencé à engloutir Baptiste et on ne saura jamais si Baptiste en est sorti. Ce récit est plein de suggestions, mais de non dits et de détournements comme si le passé enseveli tentait de refaire surface dans la conscience du jeune narrateur. Cela donne des pages pleines de poésie et parfois de philosophie : "C'est l'automne sur le visage de Baptiste. Feuillage orange et fond bleu sur terre noire et gonflée. Baptiste s'est battu au club Mikey. C'est l'un des deux garçons rencontrés à la plage l'autre jour qui l'a obligé à renoncer pour quelques jours au rose élastique de sa pommette. J'ai du mal à comprendre pourquoi, quand une personne en frappe une autre, ce n'est pas celui qui a donné le coup qui en porte la trace."  

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22 août 2020 6 22 /08 /août /2020 16:28

Qu'est-ce que cela signifie ? A peine fini un livre sur le changement de moi (L'Homme-dé), voilà que je me

plonge dans un roman Changement de décor ! Deux romans des années 70 et deux auteurs anglophones en plus !

Celui-ci au moins est à la fois divertissant, drôle et enrichissant. Sur un rythme alerte, nous découvrons un sujet aussi sérieux que la comparaison des systèmes universitaires anglais et américains des années 70. En effet, Morris Zapp l'Américain, spécialiste de Jane Austen quitte son université de Plotinus à Esseph pour un échange de six mois avec  l'université de Rummidge en Angleterre. Il laisse en suspens la séparation que demandait son épouse Désirée. Philip Swallow l'Anglais est un universitaire a priori moins brillant. C'est lui qui prendra un poste à Plotinus pendant six mois, laissant le soin à son épouse, Hilary, de s'occuper de leurs enfants. Le premier chapitre peut sembler un peu long, les deux protagonistes sont en avion et se dirigent en sens inverse. Déjà, pourtant, une surprise de taille : Morris Zapp réalise soudain que dans son avion, il est le seul homme ! L'explication ne tarde pas : aux Etats-Unis, l'avortement est à cette époque interdit alors qu'il est légal en Angleterre. Toutefois l'expérience des deux protagonistes révèlera ensuite à quel point l'Angleterre est restée traditionnelle et conservatrice alors que les USA sont en perpétuelle ébullition. A la fin du roman, Philip et Hilary, Morris et Désirée se retrouvent en Amérique  : il s'agit de décider qui vivra où et avec qui !

La comparaison  des deux décors est saisissante :

"Lorsqu’il tirait les rideaux de sa salle de séjour tous les matins, le panorama remplissait tout le cadre de sa baie vitrée comme par l’un de ces tours de force[2] que réservait le Cinérama à ses débuts. Au premier plan, à sa droite et à sa gauche, les maisons et les jardins des professeurs les plus riches d’Euphoria s’accrochaient avec pittoresque aux flancs des collines de Plotinus. Juste en dessous de lui, là où les collines plus basses descendaient en gradins jusqu’aux rives de la Baie, s’étalait le campus avec ses bâtiments blancs et ses allées boisées, son campanile et sa plaza, ses amphithéâtres, ses stades et ses laboratoires, bordé tout autour par les rues rectilignes du centre ville de Plotinus. La Baie remplissait le panorama au milieu, s’étendant à perte de vue de chaque côté ; l’œil était entraîné naturellement dans un mouvement semi-circulaire qui balayait tout le paysage : il suivait l’Autoroute de la Côte toujours très encombrée, s’écartait et traversait la Baie en suivant le long Pont d’Esseph (seize kilomètres d’un péage à l’autre), avant d’atteindre la masse impressionnante de la ville, avec la ligne sombre des gratte-ciel du centre ville qui se détachaient contre les collines résidentielles toutes blanches, et de là il franchissait la Porte du Pacifique, épousant les courbes gracieuses du pont suspendu de l’Arche d’Argent, pour retomber sur les pentes vertes du Comté de Miranda, célèbre pour ses forêts de séquoias et sa côte spectaculaire. Même très tôt le matin, ce vaste panorama était sillonné par tous les moyens de transports connus – bateaux, yachts, voitures, camions, trains, avions, hélicoptères et hovercrafts – qui se déplaçaient tous en même temps, ce qui rappelait à Philip la couverture somptueusement illustrée d’un livre, Les Merveilles du transport moderne à l’usage des petits garçons, qu’il avait reçu pour son dixième anniversaire.

[...] Morris Zapp était, quant à lui, infiniment moins séduit par sa vue – une longue enfilade de jardinets humides, de cabanes pourrissantes, de linge dégoulinant, d’énormes arbres disgracieux, de toits crasseux, de cheminées d’usines et de flèches d’églises – mais il avait très vite abandonné ce critère lorsqu’il s’était mis à chercher un meublé à Rummidge. On pouvait s’estimer heureux, comme il l’avait très vite compris, si on réussissait à trouver un logement qui voulût bien se maintenir à une température adaptée à l’organisme humain, qui offrît tous les conforts les plus élémentaires de la vie civilisée, et qui ne vous donnât pas envie de vomir au premier coup d’œil avec les couleurs et les motifs bigarrés de la tapisserie. Il avait envisagé un moment de vivre à l’hôtel, mais les hôtels autour du campus étaient encore pires, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, que les maisons privées. Finalement, il avait pris un appartement au dernier étage d’une immense maison ancienne qui appartenait à un médecin irlandais et à sa nombreuse famille."

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24 novembre 2019 7 24 /11 /novembre /2019 14:48

Pas de point d’interrogation pour ponctuer ce titre car il ne s’agit pas d’une question mais d’une réponse sous la forme d’un pamphlet contre les politiciens français de tous bords pratiquant tous une politique néo-libérale : Emmanuel Valls, Myriam El-Khomri, François Hollande, Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron. Tous sont les coupables désignés par le titre. Dans le texte, l’auteur s’adresse à son père « « Tu appartiens à cette catégorie d'humains à qui la politique réserve une mort précoce. »

Mais ce n’est pas qu’un pamphlet. L’œuvre débute par le retour de l’auteur chez son père et le choc du premier regard : il ne reconnait plus son père tant il est brisé, à bout de souffle, presque grabataire. L’auteur entreprend alors dans un long monologue adressé à ce père méconnaissable, de rassembler les souvenirs qui les unissent et qui les ont séparés aussi : « Pendant toute mon enfance j’ai espéré ton absence. Je rentrais de l’école en fin d’après-midi, aux alentours de cinq heures. Je savais qu’au moment où je m’approchais de chez nous, si ta voiture n’était pas garée devant notre maison, cela voulait dire que tu étais parti au café ou chez ton frère et que tu rentrerais tard, peut-être au début de la nuit. Si je ne voyais pas ta voiture sur le trottoir devant la maison je savais qu’on mangerait sans toi, que ma mère finirait par hausser les épaules et nous servir le repas et que je ne te verrais pas avant le lendemain. Tous les jours, quand je m’approchais de notre rue, je pensais à ta voiture et je priais dans ma tête : faites qu’elle ne soit pas là, faites qu’elle ne soit pas là, faites qu’elle ne soit pas là ».

En 2001, le malaise du père voyant son fils danser devant ses collègues, un autre soir où l’auteur encore enfant avait trouvé une photo de son père déguisé en majorette alors que depuis toujours, il disait qu’« un homme ne doit jamais se comporter comme une femme »...  C’est que ce père avait quitté l’école de bonne heure pour aller travailler à l’usine, signe de masculinité à son époque. La pauvreté, le corps brisé, peut être même l’alcoolisme sont les résultats de ce sacrifice à la masculinité.  Or ce père est lui-même le fils d’un père alcoolique et pauvre. Le déterminisme social est implacable ! Et les souvenirs s’égrènent ainsi au gré de leur apparition, sans linéarité chronologique. Ils disent le malentendu entre père et fils et aussi l’amour qui les unissait sans s’exprimer vraiment .

"Il me semble souvent que je t'aime" p 21

 

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20 juillet 2019 6 20 /07 /juillet /2019 18:23

Paru en 2018 et couronné la même année des prix Fémina et Renaudot, ce livre est le récit d’une lente et patiente reconstruction physique mais aussi d’une lente et patiente quête d’une identité nouvelle qui puisse enfin être habitée.

 

L’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015 est l’élément déclencheur ; l’auteur en sort plus mort que vif, L’acharnement des chirurgiens de La Pitié-Salpêtrière parvient au prix de dix-sept opérations au moins à remettre l‘auteur dans le monde des vivants, presque de force ! Il faudra encore plusieurs mois aux Invalides et l’entêtement des kinésithérapeutes et psychiatres puis la remise à neuf de son appartement pour enfin tirer l’auteur vers la vie. Il est tout juste tiré d’affaire quand lui parvient lors de son séjour à New-York la nouvelle de l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015. Et le récit s’achève là. Ces onze mois racontés en 512 pages sont donc la traversée du désert dans ce qu’il a de plus concret et de plus aride, Pas de place pour autre chose que la réalité: «Si écrire consiste à imaginer tout ce qui manque, à substituer au vide un certain ordre, je n’écris pas : comment pourrais-je créer la moindre fiction alors que j’ai moi-même été avalé par une fiction ? Comment bâtir un ordre quelconque sur de telles ruines ? Autant demander à Jonas d’imaginer qu’il vit dans le ventre d’une baleine au moment où il vit dans le ventre d’une baleine. » (p 93).

 

Pourtant outre l’indéfectible présence de son frère, de ses parents, de ses proches, de l’équipe médicale, le monde de la fiction ou au moins celui de la création littéraire et artistique constitue pour l’auteur une sorte de viatique : La mort de la grand-mère dans Le Côté de Guermantes relue avant chaque descente au bloc opératoire puis La Montagne magique de Thomas Mann, les pages où « où les morts sont descendus dans la neige sur des bobsleighs », les lettres de Kafka à Milena Jesenská, l’art de la fugue de Bach, les tableaux de Vélazquez… « Ma seule prière passait pour l’instant par Bach et Kafka : l’un m’apportait la paix, et l’autre, une forme de modestie et de soumission ironique à l’angoisse. » dit-il p 274. Tout cela accompagne l’auteur dans son parcours de douleur et le lecteur dans sa lecture.

 

Extrait : « Le lundi 2 février, je lis la mort de la grand-mère et je descends au bloc, dans l’après-midi. Comme l’attente n’en finit pas, je lis aussi quelques pages de La Montagne magique, celles où les morts sont descendus dans la neige sur des bobsleighs. Je ferme les yeux. Je suis chacun d’eux. La neige sur laquelle ils glissent a une odeur faite de cire chaude, de gazole et de tilleul menthe. Peu après être remonté du bloc, c’est la panique autour de moi : la saturation baisse, le pouls s’accélère, je sue comme la neige fond, je ne parviens pas à respirer, l’interne ne sait pas quoi faire. Mon père et mon frère me regardent, bras ballants, très pâles, littéralement interdits. J’ai le sentiment de descendre dans un puits humide et chaud, sans air. C’est épouvantable et c’est enivrant. C’est mystérieux et c’est intéressant. En me jouant des tours, mon corps m’initie. En m’échappant, il m’appartient. J’observe la descente que je subis, je me sens le père de mon père et l’ancêtre du frère dont je dépends. »

 

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5 mai 2019 7 05 /05 /mai /2019 22:50

La grande Russie ne cesse de me fasciner aussi ai-je choisi cette BD parmi les offres masse critique.

L'image qu'on y trouve de la Russie d'aujourd'hui me semble assez réaliste entre la bourgeoisie intellectuelle qui vit à Moscou, les jeunes qui se bâtissent une vie plus paisible et naturelle en province, les organisations mafieuses locales, les jeunes laissés-pour-compte de cette époque de mutation et les sbires de Poutine, décidés à éradiquer la mafia, coûte que coûte. L'histoire racontée est assez attendue.

Les dessins sont soignés, celui de couverture est un tantinet désuet. Cependant, les couleurs sont harmonieuses, les planches, souvent d'un camaïeu pastel de jaune, d'orange, de beige et d’ocres dégagent une impression d'unité et de douceur en contraste avec la tension du récit ... Ces couleurs  chaudes bousculent l'idée que je me fais de la Russie et de ses paysages de taïga ou même de toundra.

 

 

Extrait p 12

 

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31 janvier 2019 4 31 /01 /janvier /2019 18:54

Le nuage de mots de Mélinda, 4C

3 raisons/3mn par Emma, 4C

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7 novembre 2018 3 07 /11 /novembre /2018 20:07

3 raisons / 3 mn par Louise, 4D

 

Nuage de mots de Jade, 4D

Le livre Dis-moi si tu souris est un roman écrit par Éric Lindstrom qui est un auteur anglais. Anne Delcourt a traduit le livre en français en 2016. La date de parution de ce livre est 2015, celui-ci est inspiré d’une personne handicapée. C’est un roman de jeunesse.

« Voir n’est pas croire » est la phrase qui m’a le plus marquée car elle dit vraiment tout, si tu vois quelque chose ça ne veut pas forcément dire que c’est la vérité donc il ne faut pas vraiment y croire.

Le personnage principal est Parker une jeune fille de 16 ans qui raconte son histoire à travers son handicap. Les autres personnages sont : Scott, son ancien meilleur et petit ami ; Sarah, sa meilleure amie et Molly, sa nouvelle partenaire qui l’aide dans ses cours et qui l’accompagne.

L’action se déroule dans le lycée Adams en Amérique, pendant l’année de première de Parker.

Pour résumer en quelques lignes, c’est l’histoire d’une fille, Parker, qui est tombée aveugle lorsqu’elle était petite, à cause d’un accident de voiture où sa mère est morte. Quelques années plus tard, son père meurt, un matin, dans son lit mais on ne sait pas à cause de quoi. Du coup, depuis la mort de son père, elle vit avec sa tata, son tonton, son cousin et sa cousine. Parker a des règles très précises car elle est aveugle et il y a une règle qui est très claire et qu’elle  voudrait qu’elle ne soit jamais trahie : « Il n’y a aucune seconde chance. La trahison est impardonnable ». Alors quand Parker reprend les cours, elle ne s’attend pas à recroiser Scott ou à lui parler. Scott, qui était son meilleur et petit ami en 4e l’avait trahie… Mais comme le lycée Jefferson avait fermé pour raison d’argent, les responsables avaient dû transférer tous les élèves au lycée Adams et c’est ainsi que Scott se trouvait dans le lycée Jefferson. Vont-ils se reparler ?  Est-ce qu’ils vont redevenir amis ? Parker va-t-elle céder à sa règle ? Ou vont-ils s’ignorer ?

J’ai aimé ce livre car en le lisant, je perçois bien les humeurs de Parker et ce qu’elle ressent en tant qu’aveugle. Son histoire est incroyable, je trouve. En plus, j’aime bien ce genre de livre avec de l’amour et de l’amitié. Par moment cependant, j’avais un peu de mal à suivre certaines scènes.

L’auteure a voulu nous montrer que ce n’est pas parce que l’on est aveugle, que l’on ne peut pas parler, entendre, marcher, courir ou vivre tout simplement. «Les handicapés » sont des êtres humains  comme nous tous, ils ont juste quelque chose en moins ou en plus par rapport à « une personne normale ».

Passage du livre   P.18 et 19

« -T’es sur que t’es dans la bonne salle ? Il n’y a plus de place chez les surdoués ?

-Je parie que ta prof principale, c’est Kensington. C’est pas un peu tôt pour jouer à ça ?

Je ne sais pas ni de quoi il parle ni qui est Kensington. Une prof de Jefferson, sans doute.

-Hé, tête de nœud, intervient une autre voix masculine à gaude de la tête de nœud. Elle ne joue pas. Elle est vraiment aveugle.

Intéressant. Cette voix-ci est plus douce, d’un calme avec lequel on entend rarement insulter les grosses voix de sportifs bronzés. Elle me dit quelque chose, mais je n’arrive pas à la situer.

-Mais non, c’est un truc de Mme Kensington, où il faut faire comme si…

- Je connais, mais elle ne distribue pas de cannes blanches, et elle attend quelques jours après la rentrée.

-Mais si elle était vraiment aveugle, pourquoi elle mettrait un band…

-Un conseil, mec : ferme-la. »

 

Alexiane 4e C

Le nuage de Julie, 4D

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 13:29

Du tout au tout est un roman poétique, satirique, dystopique et magnifique si ce n'est les

écarts langagiers qui jonglent entre le familier et l'argotique. Certes, dans la tradition rabelaisienne, c'est là une langue qui peut faire merveille et même qui donne au roman sa singularité mais cela l'exclut je le crains des CDI et des cours de lycée où pourtant il aurait sa place. En effet, on peut considérer Du tout au tout comme une réécriture de L'Écume des jours à bien des égards : l'univers des quatre-vingts premières pages rappelle celui de Colin : celui-ci est devenu Pierre Pierre mais c'est la même simplicité onomastique et le même portrait lisse et policé. Si Colin est riche et oisif, Pierre n'est ni l'un ni l'autre mais tous deux ont de la chance en dépit de leur maladresse : ici Pierre Pierre qui traînait sur un banc comme les "clodos qui cocotaient l'eau de Cologne" et dont "les cheveux étaient propres comme ceux d'une communiante", la "peau rosée", les "ongles faits"... Pierre Pierre, donc, rencontre César de la Mer, fondateur et patron du Poséidon et se fait engager. Colin a des souris gentilles et empathiques, Pierre Pierre a un chat, Mohair qui gonfle de bonheur quand le monde est à l'harmonie, Colin rencontre Chloé, Pierre Pierre rencontre Isis mais un jour Chloé est victime du nénuphar, mais un jour César de la Mer se retire au cimetière des bateaux, vieux et ruiné. Alors la DRH commet l'irréparable et tout de dégrade, les esthètes du Poséidon sont remplacés par les datas et par les mails des bazoomails de l'entreprise qui désormais est celle de Vulcain, Isis y perd son âme et celle de César s'échappe par toutes les fissures de la bâtisse qui de forme ovoïde est de devenue pyramidale, Mohair est devenu si petit que Pierre Pierre le transporte dans un tube.

Dès lors le roman se fait critique d'une société dans laquelle on reconnaît bien des défauts de la nôtre. Un exemple, p 253 : "On était quatre cents salariés du temps de César. En trois mois, tu sais à combien on est passé ?

_ Trois cents. Moins 25% d'effectif en un trimestre. Par contre, on a trois cents contrats pro.

_ Un par personne. Pour s'en souvenir, c'est du nougat. Ça vient d'où cette mode ? On est tombé sur une ruche ?

_ Le nouveau code du travail. Plus on exploite les mômes, moins on paie d'impôts. Tu parles que c'est pas passé à la direction... On les prend, on les lessive, on les essore et on les jette. Pauvres gosses... "

C'était mon premier roman d'Arnaud Le Guilcher, j'y reviendrai, c'était un très bon moment.

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