Du tout au tout est un roman poétique, satirique, dystopique et magnifique si ce n'est les
écarts langagiers qui jonglent entre le familier et l'argotique. Certes, dans la tradition rabelaisienne, c'est là une langue qui peut faire merveille et même qui donne au roman sa singularité mais cela l'exclut je le crains des CDI et des cours de lycée où pourtant il aurait sa place. En effet, on peut considérer Du tout au tout comme une réécriture de L'Écume des jours à bien des égards : l'univers des quatre-vingts premières pages rappelle celui de Colin : celui-ci est devenu Pierre Pierre mais c'est la même simplicité onomastique et le même portrait lisse et policé. Si Colin est riche et oisif, Pierre n'est ni l'un ni l'autre mais tous deux ont de la chance en dépit de leur maladresse : ici Pierre Pierre qui traînait sur un banc comme les "clodos qui cocotaient l'eau de Cologne" et dont "les cheveux étaient propres comme ceux d'une communiante", la "peau rosée", les "ongles faits"... Pierre Pierre, donc, rencontre César de la Mer, fondateur et patron du Poséidon et se fait engager. Colin a des souris gentilles et empathiques, Pierre Pierre a un chat, Mohair qui gonfle de bonheur quand le monde est à l'harmonie, Colin rencontre Chloé, Pierre Pierre rencontre Isis mais un jour Chloé est victime du nénuphar, mais un jour César de la Mer se retire au cimetière des bateaux, vieux et ruiné. Alors la DRH commet l'irréparable et tout de dégrade, les esthètes du Poséidon sont remplacés par les datas et par les mails des bazoomails de l'entreprise qui désormais est celle de Vulcain, Isis y perd son âme et celle de César s'échappe par toutes les fissures de la bâtisse qui de forme ovoïde est de devenue pyramidale, Mohair est devenu si petit que Pierre Pierre le transporte dans un tube.
Dès lors le roman se fait critique d'une société dans laquelle on reconnaît bien des défauts de la nôtre. Un exemple, p 253 : "On était quatre cents salariés du temps de César. En trois mois, tu sais à combien on est passé ?
_ Trois cents. Moins 25% d'effectif en un trimestre. Par contre, on a trois cents contrats pro.
_ Un par personne. Pour s'en souvenir, c'est du nougat. Ça vient d'où cette mode ? On est tombé sur une ruche ?
_ Le nouveau code du travail. Plus on exploite les mômes, moins on paie d'impôts. Tu parles que c'est pas passé à la direction... On les prend, on les lessive, on les essore et on les jette. Pauvres gosses... "
C'était mon premier roman d'Arnaud Le Guilcher, j'y reviendrai, c'était un très bon moment.