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24 mars 2024 7 24 /03 /mars /2024 19:55

Publié aux Presses de la cité en 2016, ce roman a pour cadre le bassin d'Arcachon entre 1849 et 2000.  Il nous fait découvrir, à travers une famille dont l'aïeule, épouse d'un résinier, était une femme irascible qui avait maudit sa fille Léonie. Le point de vue adopté est celui des femmes dont on suit au fil des générations les luttes pour s'émanciper et les progrès réalisés.

C'est d'abord l'histoire de Léonie devenue "bas rouges" (par son travail de pêche de sangsues) après la mort de son mari et un accident qui l'empêche d'être plus longtemps résinière. Léonie tient en effet à rester indépendante et ne pas être à la charge de ses enfants.  Sa plus jeune fille, Margot, est bien décidée quant à elle à s'extraire de cet univers de misère. Elle part à la ville, comme bonne, et ses charmes lui permettent de séduire d'abord un bourgeois bordelais qui l'abandonne peu après puis un fils de famille James, qui lui construit la maison du Cap et lui fait un enfant, Charlotte, mais se soumet aux pressions familiales pour épouser la fille d'un banquier. Charlotte reste donc une jeune fille sans père, mais elle vit dans la maison du Cap tandis que sa mère transforme en pension pour curistes la villa Sonate à Arcachon, achetée aussi grâce James. Charlotte quant à elle évolue à sa guise, se passionne pour la photographie, épouse un médecin dont elle aura deux enfants. Elle quitte son mari pour un amour fou avec un écrivain et navigateur écossais qui disparait en mer. Sa fille, Dorothée, véritable tête-brûlée, se consacre à sa passion, l'aviation  et se désintéresse de tout autre sujet, à tel point de son mari Philip Galway se suicide et que sa fille Violette la reconnait à peine...

L'émancipation des femmes dans ce roman se fait donc par étapes : il s'agit d'abord d'indépendance économique, puis s'ajoute la liberté dans le couple, même si le divorce n'est pas vraiment acté, puis l'accès aux métiers plus souvent réservés aux hommes (Charlotte est photographe, Dorothée est pilote d'avion) et à l'engagement politique (la Résistance)...

Au fil du récit, on parcourt aussi un siècle et demi d'histoire et Françoise Bourdon s'attache à bien retracer notamment les périodes des deux grandes guerres du XXe siècle : la vie dans les tranchées, le sort des soldats récalcitrants, les gueules cassées... Puis la seconde guerre, le sort des prisonniers en Allemagne, la vie sous l'Occupation, la Résistance, le sort des internés dans les camps de la mort. 

Ainsi, avec une écriture très classique et de façon tout à fait chronologique, ce roman remplit simultanément trois objectifs : Décrire les particularités et l'évolution du bassin d'Arcachon, rappeler l'histoire du XXe siècle et illustrer l'évolution de la condition féminine, tout en donnant chair à des personnages de fiction à l'instar de Charlotte ou de Margaux. 

Extrait choisi : "Tous deux dînaient sur la terrasse. De sa place, Dorothée apercevait le Bassin, et le pinceau du phare du cap Ferret. Elle songea à sa mère, qu’elle avait entrevue durant l’après-midi. Charlotte mitraillait Louis Paulhan et aurait aimé voler à bord du Curtiss Triad mais l’aviateur avait emmené Léo Neveu, un autre photographe.

« Un homme, bien sûr, avait pesté Charlotte. Ces messieurs se tiennent les coudes. »

François s’essuya posément la bouche.

— Piloter ? répéta-t-il, visiblement stupéfait. As-tu perdu le sens commun, ma chérie ? Tu es une jeune fille. Apparemment, cette dernière phrase résumait tout ! Choquée, Dorothée se redressa sur sa chaise.

— Parce que je suis une jeune fille, comme tu dis, je n’ai pas le droit de vivre à ma guise et de chercher à réaliser mes rêves ?

Son ton était belliqueux. Elle promettait d’être belle, pensa François. Silhouette élancée, visage menu encadré de cheveux sombres, yeux bleu foncé, Dorothée ressemblait à Margot telle qu’Édouard Manet l’avait représentée, au début de 1871."

 

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17 janvier 2024 3 17 /01 /janvier /2024 10:45

Décidément, rien n'égale la lecture d'un livre d'Alessandro Baricco ! Je viens de finir Océan mer, traduit de l'italien par Françoise Brun ! C'est une œuvre étrange, drôle, tragique, poétique, fantaisiste, à la fois roman, conte philosophique et poème en prose.

Résumer ce livre serait en diluer la saveur. L'Océan est l'élément central du texte : la pension Almayer  au bord de l'Océan "posée sur la corniche ultime du monde", réunit sept personnages et des enfants : Plasson, un peintre qui passe son temps à peindre la mer en blanc, parfois à l'eau de mer, Bartleboth, un scientifique qui cherche à trouver les limites de la mer, Elisewin, venue guérir son cœur de cristal à la mer, Le Père Pluche qui parle plus vite qu'il ne pense et écrit des prières poétiques, la belle Ann Dévéria envoyée là par son mari pour que l'océan l'éloigne de son amant, Adam, dont l'histoire occupe le cœur du récit et un mystérieux pensionnaire qui ne sort de sa chambre qu'une fois le livre fini !

Chacun de ces personnages est un poème à lui tout seul et les enfants semblent être les seuls à pouvoir conseiller et ramener à la raison.

L'Océan quant à lui est une puissance indomptable et redoutable, capricieuse : "La mer. La mer ensorcelle, la mer tue, émeut, terrifie, fait rire aussi parfois, disparaît, par moments, se déguise en lac ou alors bâtit des tempêtes, dévore des bateaux, elle offre des richesses, elle ne donne pas de réponses, elle est sage, elle est douce, elle est puissante, elle est imprévisible. Mais surtout, la mer appelle. Tu le découvriras, Elisewin. Elle ne fait que ça, au fond : appeler. Jamais elle ne s’arrête, elle pénètre en toi, elle te reste collée après, c’est toi qu’elle veut. Tu peux faire comme si de rien n’était, c’est inutile. Elle continuera à t’appeler. Cette mer que tu vois et toutes les autres que tu ne verras pas mais qui seront là, toujours, aux aguets, patientes, à deux pas de ta vie. Tu les entendras appeler, infatigablement. Voilà ce qui arrive dans ce purgatoire de sable. Et qui arriverait dans n’importe quel paradis, et dans n’importe quel enfer. Sans rien expliquer, sans te dire où, il y aura toujours une mer qui sera là et qui t’appellera."

Extraits choisis ici et là :

"On peut dire qu’à chaque kilomètre de route il y comprenait un kilomètre de moins."

"Ce sont des choses qui arrivent. Tu as des rêves, une chose à toi, intime, mais la vie en fait, elle ne veut pas jouer à ça, et elle te les démonte, un instant, une phrase, et tout se défait. Ce sont des choses qui arrivent. Et c'est pour cette raison-là que vivre est un triste métier. Il faut bien se résigner. Elle n'a pas de gratitude, la vie, si vous voyez ce que je veux dire."

"Elle lui dit exactement ce mot : enchantée. Elle le dit en penchant légèrement la tête sur le côté et en écartant de ses yeux une mèche d cheveux noirs comme le jais. Du grand art. Pour Bartleboom, cette phrase, ce fut comme si on l’avait injectée directement dans son sang. Elle se répercuta, si l’on peut dire, jusque dans ses pantalons. Il bafouilla quelque chose, et dès cet instant ne fit plus que transpirer. Il transpirait comme un fou, lui, quand il transpirait. La température n’avait rien à voir. Il fonctionnait en autonomie."

"Je voulais dire que la vie, je la veux, je ferai n’importe quoi pour l’avoir, toute la vie possible, même si je deviens folle, peu importe, je deviendrai folle tant pis mais la vie je ne veux pas la rater, je la veux, vraiment, même si ça devait faire mal à en mourir c’est vivre que je veux. J’y arriverai, n’est-ce pas ?"

 

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7 novembre 2023 2 07 /11 /novembre /2023 11:41

Ce roman a obtenu cette année le grand prix du roman de l'Académie française, ce qui a suscité ma curiosité : le souvenir du Mage du Kremlin et surtout après Mon Maitre et mon vainqueur. 

Ici, nous sommes entraînés dans une quête du passé, un peu à la manière d'Annie Duperey dans Le voile noir ou même de Modiano dans beaucoup de ses œuvres :la  narratrice n'a pratiquement pas de souvenir, elle reconstitue le passé à partir de quelques photos et d'un article de journal. Elle cherche à recréer l'histoire de sa tante Madeleine, décédée il y a peu de temps. Cette tante était une belle femme, elle ressemblait dans sa jeunesse à Michèle Morgan, mais c'était une femme très discrète et réservée. Élevée dans une pension catholique dans la région de Nantes, elle aimait lire et son livre préféré était Thérèse Desqueyroux, l'histoire "d'une femme qui empoisonne son mari" !   À 26 ans, elle s'est mariée, sans doute, car elle pensait avoir atteint l'âge !  Son mari, Guy, était très amoureux. La même année, ils se sont envolés pour Douala où Guy travaillait dans le commerce du bois. En 1958, leur unique enfant, Sophie, était venue au monde. Madeleine, toujours aussi réservée, vivait en marge, mélancolique, uniquement préoccupée de sa fille. Cette mélancolie offre l'occasion de belles descriptions de son environnement chargé de bruits et de pluie :   " De grosses pluies survenaient le soir, elles amenaient des nuées de moustiques, et, quand les pièces étaient éclairées, on voyait courir de travers sur les murs de petits lézards froids, furtifs et dodus, les « margouillats ». Quelquefois, ils vous tombaient dans le cou. Des roussettes, qui dormaient dans les manguiers sauvages, frôlaient le toit. La case laissait entrer les bruits de la nuit : des frôlements d’animaux, des glissements dans les feuilles, des coassements, des croassements, le bruit de la radio qui venait de la case la plus proche". Tous ces bruits créent une atmosphère inquiétante. Pourtant, les colons font la fête et vivent entre eux dans un petit monde insouciant et joyeux autour du "délégué et de sa femme Jacqueline" dont chacun savait qu'elle était la maitresse du docteur Ambrières.  Guy explique à sa femme tout ce qu'il faut savoir pour ne pas commettre d'imper dans ce microcosme.  Malgré tout, Madeleine se tient à l'écart, elle est perçue comme provinciale et timide.  Un jour, un visiteur venu de Yaoundé l'invite à danser... C'est le début d'une histoire que l'on ne peut vraiment nommer aventure, car la discrétion de Madeleine conserve ses sentiments dans le secret de son cœur.

Cependant, la révolte gronde, Guy conserve un fusil dans leur chambre jusqu'au moment où en octobre 1959 il met sa femme et sa fille dans l'avion, car l'indépendance du Cameroun est inéluctable.

Une recréation très fine de l'atmosphère de ces sociétés coloniales installées en Afrique après-guerre et jusqu'à l'indépendance, de ces ex-colons rentrés en France mais encore nostalgiques des années après, de ces personnages du microcosme colonial dans une écriture soignée, précise, évocatrice, sont à mes yeux les atouts de ce roman, mais le sujet crée une sorte de malaise : le passé colonial n'est pas précisément ce dont on aime se souvenir.

Extrait : Les boys en blanc, sous la surveillance de Bogart qui affichait toujours la même lassitude, le même léger mépris, circulaient entre les convives avec des plateaux et des verres. On buvait sec aux frais de la République, les plats se dégarnissaient comme si les gens n’avaient pas mangé depuis quinze jours. Des types groupés parlaient entre eux de leur carrière, des planteurs de passage donnaient la « température du pays » ; on disait en hochant la tête : C’est inquiétant, très inquiétant ; on déplorait les progrès des « upécistes », on critiquait l’armée, le gouvernement, les décisions de la métropole (Ils ne comprennent rien à Paris), on disait du mal du haut-commissaire. Des Pères blancs incongrus et buveurs de whisky parlaient de la vie de leur mission, du catéchisme, des cérémonies de baptême. Et finalement, à ces détails près, quand les couples tournaient sur « La java bleue » ou improvisaient à petits pas pressés, à petits déplacements d’avant en arrière, à gauche et à droite, les évolutions syncopées d’une rumba ou d’un tango très décent et très ralenti, je crois qu’à la délégation de Douala, on aurait pu se croire en France par un été chaud, à n’importe quel bal de village. On y jouait les succès qui passaient à la radio :

« Bambino » de Dalida,

Mouloudji : « Un jour tu verras / On se rencontrera »,

Guy Béart : « Si tu reviens jamais danser chez Temporel / Un jour ou l’autre… »

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5 juillet 2023 3 05 /07 /juillet /2023 10:47

Le titre de ce roman annonce par avance l'absurde de l'action, qu'elle soit projet ou ordre à exécuter. En effet, deux narrateurs prennent en charge le récit en alternance : d'une part, Séraphine qui avec son époux Henri, leurs deux garçons et leur fille Caroline, mais aussi avec Rosette, la sœur de Séraphine et son époux, Louis, quittent leur banlieue parisienne pour un eldorado, une terre promise, en Algérie.   D'autre part, un soldat dont on ignore tout sauf que, comme ses camarades, il n'est "pas un ange" comme le leur rappelle leur capitaine dont le comportement n'a rien à envier à ceux que plus tard, on nommera "Nazies"

À travers ces deux narrateurs qui ne se croisent jamais, l'auteur nous fait découvrir une période rarement évoquée, celle de la colonisation de l'Algérie au XIXe siècle, vers 1845. Tous les chapitres ont en alternance ces mêmes titres entre parenthèses : (Rude besogne) (Bain de sang)  et l'on devine vite quel titre annonce le récit de quel narrateur.

Séraphine raconte le dur apprentissage de la vie de colons : trois mois dans un campement sous tentes militaires : pluie, boue, odeurs pestilentielles, "comme si chacun de nous, pauvres et naïfs apprentis colons à peine débarqués, était en train de pourrir et de se décomposer".  Ensuite, la vie se poursuit sous un soleil de plomb dans des cabanes de bois entourées de palissades  où le choléra fait rage et décime la famille de Séraphine, enfin les attaques de rebelles et le massacre de Rosette et de son nouveau mari. "Sainte et sainte mère de Dieu" tel est le refrain qui rythme le récit de Séraphine, longue descente aux enfers aux paragraphes non ponctués et sans majuscules.

Le récit du soldat, lui, est rythmé par le lancinant refrain, "  nous ne sommes pas des anges", réponse sollicitée par le capitaine pour justifier les pires exactions.

On songe à travers cette lecture à la terrible épopée des Raisins de la colère de J STEINBECK mais aussi à La Peste d'Albert Camus. Ici aussi tel le docteur Rieux, un médecin militaire tente tout ce qu'il peut pour sauver les colons :

"le nouveau médecin militaire à bout de remèdes de bonne femme n’avait rien trouvé de mieux que de nous conseiller de danser pour que le sang bouillonne dans nos artères, pour que la chair sue, élimine ses sueurs empoisonnées, rendez-vous compte à quoi la peur de mourir nous réduisait ! ce sinistre soir d’enterrement, nous avons donc laissé nos cinq enfants à la garde du vieux d’Aubervilliers, et Célestine, Rosette, Henri et moi, bien qu’épuisés par la chaleur et la tristesse de ce jour, sommes allés danser chez le Gaston Frick qui avait embauché un accordéoniste et qui pour quelques sous nous promettait du remue-ménage bien arrosé du coucher au lever du soleil

il fallait nous voir danser sans joie valses et polkas, fantômes de chair triste s’agitant au milieu d’autres fantômes de chair triste, et nous échauffant le sang au point d’en devenir écarlates, et suant toutes nos misères jusqu’à ce que l’accordéoniste en ait mal aux doigts et décide d’aller se coucher

on y croyait dur comme fer aux conseils du médecin, on avait les jambes en charpie, les paupières plus lourdes que du plomb, mais on ne cédait pas à la fatigue, il fallait lui faire peur à ce choléra, l’empêcher d’entrer dans notre corps par tous les moyens, et si par malheur il y était entré à quelque moment de la journée, l’en faire sortir par tous les pores de la peau en valsant comme des fous furieux

je ne sais pas combien de nuits nous avons dansé au son de cet accordéon qui n’avait plus pour nous sa sonorité habituelle, on se trémoussait sans écouter les notes de musique, tant il nous semblait que ce n’était pas un accordéon qui jouait mais bien plutôt une cloche qui sonnait le glas du coucher du soleil au lever du jour pour nous rappeler l’atroce vérité de nos vies humaines qui n’avaient jamais tenu et ne tiendraient jamais qu’à un fil

pauvres de nous

non, je ne sais pas combien de nuits nous avons perdu la tête dans les vapeurs enfumées de la taverne de Gaston, et je ne vous dirai pas combien de colons se sont retrouvés au cimetière, allongés pour l’éternité entre quatre planches de bois blanc

notre tombe, sur laquelle Henri avait planté une croix avec le nom de famille de Louis Callot

notre tombe a très vite été agrandie pour faire de la place à nos deux fils, morts d’une manière que je préfère taire, tant les mots seraient impuissants à décrire les souffrances de nos deux garçons qui ne demandaient qu’à profiter de la vie qu’Henri et moi leur avions donnée

sainte et sainte mère de Dieu, vous m’avez arraché la moitié de mon cœur"

 

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12 février 2023 7 12 /02 /février /2023 14:37

"Certains ne deviennent jamais fous ... Leur vie doit être bien ennuyeuse." c'est la déclaration de Charles Bukowski choisie par l'auteur comme exergue de son roman.

Ce roman est effet est le récit d'un enfant dont les parents vivent un amour fou et une existence à sa mesure rythmé par danse, musique, alcool, fêtes, château en Espagne ... à en perdre la tête. L'enfant dans cette affaire est à la fois témoin, complice, victime et bénéficiaire : faute d'adaptation à l'école, sa mère lui a accordé une "retraite anticipée" qui lui permet de participer aux aventures familiales, toujours accompagné de la demoiselle de Numidie, "Mademoiselle Superfétatoire". Un sénateur, surnommé "L'ordure"  est l'ami protecteur de la famille, il participe aux fêtes et aux frais. Mais un jour, un huissier se présente au domicile du couple et la vie bascule... 

Ce roman tourbillonnant, pétillant, drôle, spirituel et pourtant tragique a remporté plusieurs prix en 2016 mais je ne le découvre que maintenant au hasard de pérégrinations en librairie. Il a pourtant été adapté au théâtre et au cinéma !

extrait choisi : "Elle s'extasiait de tout, trouvait follement divertissant l'avancement du monde et l’accompagnait en  sautillant gaiement. Elle ne me traitait ni en adulte, ni en enfant mais plutôt comme un personnage de roman. Un roman qu'elle aimait beaucoup et tendrement et dans lequel elle se plongeait à tout instant. Elle ne voulait entendre parler ni de tracas, ni de tristesse.

_ Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire, vous mentez si bien, ce serait dommage de nous en priver.

Alors je lui racontais ma journée imaginaire et elle tapait frénétiquement dans ses mains en gloussant :

_ Quelle journée mon enfant adoré, quelle journée, je suis bien contente pour vous, vous avez dû bien vous amuser !

Puis elle me couvrait de baisers. Elle me picorait, disait-elle, j'aimais beaucoup me faire picorer par elle. Chaque matin, après avoir reçu son prénom quotidien, elle me confiait un de ses gants en velours fraîchement parfumé pour que toute la journée sa main puisse me guider" 

 

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21 janvier 2022 5 21 /01 /janvier /2022 14:58

Enki Bilal vous connaissez, bien sûr ! Moi je le connaissais à travers ses bandes dessinées et j’ai eu l’occasion de voir une exposition à la fondation Leclerc de Landerneau mais je ne connaissais pas l’écrivain. Si Nu avec Picasso est une lecture plutôt simple et distrayante, en faire une critique me parait plus complexe. 

Enki Bilal , le personnage qui se déplace dans un Paris dépeuplé se trouve projeté, propulsé contre sa volonté par une main inconnue, nauséabonde dans un bâtiment. Le lieu est obscur comme la nuit mais le personnage, Enki, voit comment en plein jour. Sa tête heurte un vase que porte une statue de bronze. Il perd connaissance et à son réveil se retrouve sur un lit de camp. Est-il séquestré ? Est-ce une prison politique ?

Sur le mur, près de son lit, sont inscrits des noms d’intellectuels d’aujourd’hui : Kamel Daoud, Lydie Salveyre... Ont-ils aussi été séquestrés? Mais non, ce n’est pas une prison mais plutôt un musée. Comme ceux dont les noms sont inscrits là, Enki Bilal expérimente une nuit au Musée Picasso !

Commence alors une longue déambulation et de multiples rencontres mais pas n’importe lesquelles. Successivement, tableaux, statues, deviennent concrets, parlent, ils peuvent même dire leur mécontentement de la façon dont l’artiste les a représentés. Les œuvres ne sont plus simplement des toiles accrochées sur les murs, des statues statiques d’un musée. Les modèles s’expriment et l’on côtoie Dora Marr, Marie-Thérèse Walter, Maria Luisa Peredès, Pablo et d’autres modèles encore que l’on retrouve dans le tableau Guernica. Plus drôle encore, le cheval de Guernica devient un personnage « il dit s’appeler Aquilino ». Enki Bilal devient lui-même un des modèles de Guernica.

Pour faire bonne mesure, on retrouve le peintre Goya et le patron, Picasso. Évidemment Enki et tous les autres protagonistes durant toute la déambulation sont nus. Mais Enki est enjoint à montrer qu’il fait partie du clan de ceux qui transmettent. Il entreprend de dessiner Marx, Lénine, Staline... Pour Goya, il est bien clair que de Hitler à Mao Tse Toung  cela demande des explications ! « C’est comme Napoléon, pour vous », lui dit Dora Marr.

Ce petit livre et les conseils de prélecture nous entraînent dans une découverte alternative, plaisante et instructive de l’œuvre de Picasso mais pas seulement. L’auteur nous dévoile aussi son amour pour Picasso, amour dans lequel apparaît aussi une pointe de jalousie.

Fantasmagorie, humour, hommage, philosophie se conjuguent ici pour le plus grand plaisir du lecteur et tout cela par le texte mais aussi par le dessin, bien caractéristique d’Enki Bilal. P 47 par exemple il réinterprète « La femme du pleure » de Picasso.

Extraits

P 35 : « L’actualité et l’Histoire qui travaillent les artistes et les secouent… Il faut mêler les événements, chercher leur sens dans la profondeur du temps. Une violence historique du dehors aurait provoqué une violence hystérique du dedans ? Picasso en est-il conscient ? »

p 81 82 : «  Picasso ouvre la bouche pour dire ça : “Alors tu seras mon nu couché.”

L’instant d’après je suis allongé sur le flanc. Il me fait basculer sur le dos tout en me demandant de garder 
le bras gauche tendu par-dessus la tête, paume ouverte. La position est Intenable (torsion au niveau de 
l’épaule), d’autant qu’il me faut à présent tendre dans le sens opposé mon bras droit, avec dans la main un 
glaive en bois brisé à la moitié de la lame. Mon allonge ne le satisfaisant pas, Picasso tranche. Le bras sera 
coupé, quelque part au niveau du coude et légèrement éloigné. Mes deux bras ainsi disposés au bas du 
cadre offriront une assise plus dramatique à l’ensemble du tableau. Ma tête, ou plus précisément ma nuque,
reposera sur le sabot arrière droit d’Akilino, qui je le sens, darde sa langue pointue dans les hauteurs de la 
toile sous l’ampoule-oeil qui clignote”

 

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5 octobre 2020 1 05 /10 /octobre /2020 20:55

Derrière trois citronniers et un cep de vigne

 

Ce roman commence à la fin du XIXe siècle, lorsque le phylloxera détruit les vignobles du Juras. 

Comme plusieurs de ses contemporains, le héros quitte le pays,  un cep encore sain en poche, et prend un navire en direction de la Californie. Le hasard  fait cependant qu'il s’arrête au Chili et s'installe à Santiago dans une demeure de style andalou dont la façade était cachée par trois citronniers. Là il fonde une famille qui n'aura de cesse de quitter le bercail pour la France puis de rentrer au bercail, au moins lorsque cela reste possible. Le roman nous raconte l'histoire de cette famille nommée Lonsonnier à la suite d'une confusion avec la ville de ses origines, Lons-le-Sonnier et c'est aussi l'histoire du monde qui heurte de plein fouet plusieurs de ses membres : les tranchées de la première guerre mondiale fauchent deux des fils Lonsonnier, les batailles aériennes de la seconde guerre mondiale meurtrissent sa petite-fille et pour finir la dictature de Pinochet oblige son arrière petit-fils à l'exil en France. Les pages qui évoquent la torture des prisonniers de Pinochet à la villa Grimaldi sont particulièrement saisissantes.

 

Mais ce roman ne se résume mais si aisément. Outre l'arrière-plan historique, il est étonnant par le rôle de l'élément magique qui sert souvent de lien entre les éléments :  "vieille femme couverte de bracelets, aux lèvres jaunes, assise sur une chaise de rotin, au front tatoué d’étoiles" d'abord puis, à plusieurs reprises, "un machi célèbre, un guérisseur mapuche, appelé Aukan, qui fascinait les foules autant qu’il repoussait les scientifiques. Cet homme étrange, promis à jouer un rôle essentiel dans l’histoire familiale, disait être né dans la Tierra del Fuego, issu d’une interminable descendance de sorciers et d’ensorceleurs. Il avait traversé l’Araucanie à pied, fuyant les missionnaires et les frères jésuites qui fondaient des communautés, où il avait gagné sa vie en se livrant à des prescriptions de médecine surnaturelle, là où la médecine naturelle avait échoué. Il avait dans son sourire un soupçon de malice, des anneaux aux poignets et une bague à son index trouvée dans l’estomac d’un poisson. Son dos était comme un chêne large, sur lequel tombaient de longs cheveux noirs, attachés avec une barrette indigène. Toujours vêtu d’un poncho qui laissait à découvert son épaule gauche, il portait un épais ceinturon d’argent, adorné de grappes de cascabelles, et un pantalon en peau de vigogne dont le pli effleurait la chaussure. Quand il souriait, ses dents avaient une lueur bleuâtre et, quand il parlait, des paroles étranges aux inflexions mystiques, avec un accent insituable, semblaient venir non pas tant d’un autre pays, mais d’un autre temps, d’une langue si singulière qu’on n’aurait su dire si elle existait ou s’il l’inventait sur-le-champ."

J'ai beaucoup aimé ce savant assemblage du réalisme historique et de la magie, les personnages sont attachants et remarquablement dessinés.

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28 juin 2020 7 28 /06 /juin /2020 11:19

Soie est roman publié en 1996 et paru en français en 1997, la même année que Novecento : Pianiste que j'ai beaucoup aimé et 18 ans avant Trois fois dès l'aube.

 

Dans ses premières pages, l'auteur présente son héros de façon poétique, certes mais peu engageante quand on commence un roman : "C’était au reste un de ces hommes qui aiment assister à leur propre vie, considérant comme déplacée toute ambition de la vivre.

On aura remarqué que ceux-là contemplent leur destin à la façon dont la plupart des autres contemplent une journée de pluie."

Le sujet, son titre le dit, est la soie : en 1860, Hervé Joncour de Lavilledieu est incité par un étrange personnage aussi ingénieux que généreux nommé Baldabiou à  faire le commerce de vers à soie afin d'approvisionner les sériciculteurs locaux. Il s'approvisionne d'abord en Afrique du nord mais voilà qu'une maladie, la prébine tue les œufs. Baldabiou n'est pas en reste, il conseille à Hervé Joncour d'aller chercher les vers à soie au Japon. Les allers-retours au Japon éloignent chaque année quelques mois Hervé Joncour de sa compagne Hélène. Là-bas, Hervé Joncour achète des œufs de vers à soie à Hara Key dont la jeune maitresse l'intrigue et le fascine. Mais voilà que Pasteur parvient à éradiquer la prébine et qu'au Japon une guerre se déclare.

Dans ce roman, le merveilleux glisse sur le réel comme un voile de soie jusqu'à ce qu'il ne reste plus à Hervé Joncour qu'à cultiver son jardin.

"Le dimanche, il allait jusqu’au bourg, pour la grand-messe. Une fois l’an, il faisait le tour des filatures, pour toucher la soie à peine née. Quand la solitude lui serrait le cœur, il montait au cimetière, parler avec Hélène. Le reste de son temps s’écoulait dans une liturgie d’habitudes qui réussissait à le défendre du malheur. Parfois, les jours de vent, Hervé Joncour descendait jusqu’au lac et passait des heures à le regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessiné sur l’eau, le spectacle léger, et inexplicable, qu’avait été sa vie."

J'ai préféré Nocecento : Pianiste et Trois fois dès l'aube car je trouve que dans Soie, l'exercice de style est un peu trop visible. Soie reste quand même une belle découverte.

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3 juin 2020 3 03 /06 /juin /2020 10:35

Dans le hall d’un hôtel, vers quatre heures du matin, alors que le concierge dort, une femme entre. Elle porte une robe de soirée jaune et semble un peu perdue. Sur un fauteuil un homme attend. Le dialogue s’engage, la femme s’obstine à retenir cet homme qui pourtant veut aller travailler : il fabrique et vend des balances ...

De nouveau dans un hall d’hôtel mais moins classe, une nuit, le concierge voit arriver un couple : la fille lui paraît bien jeune et jolie quoique fatiguée mais son compagnon semble rustre et violent. Il leur attribue une chambre mais la jeune femme redescend soit disant pour chercher des serviettes. Elle parle avec le concierge, lui demande de raconter sa vie et s’attarde mais son compagnon s’impatiente. Elle continue pourtant ...

Enfin dans la troisième histoire, encore une nuit dans un hôtel, on retrouve l’homme de la première histoire mais qui est encore enfant. Échapper à l’incendie et ses parents sont décédés dans l’incendie. Une policière est chargée de le garder pour la nuit dans un hôtel miteux. Elle prend pitié et décide de partir avec l’enfant pour lui offrir un refuge plus digne et plus heureux.

Ces trois histoires constituent un ensemble intitulé Trois fois dès l'aube et il se trouve que c'est le récit d'un personnage,  l'Anglo-indien Akassh Narayan  dans Mr Gwyn, publié en 2011. Ces trois histoires tressent des récits dont les personnages, les situations et les lieux se répondent sans être les mêmes. L’auteur parvient alors à nous jouer ce tour de force qui consiste à nous entraîner dans ses histoires sans pour autant nous faire oublier qu’il en est le prestidigitateur. Sa baguette magique une écriture souple, précise, élégante autant que je puisse en juger d’après la traduction de Lise Caillat.

Extrait  choisi :

C’était un hôtel, d’un charme un peu suranné qui avait su probablement, par le passé, tenir certaines promesses de luxe et de raffinement. Par exemple, il avait une belle porte à tambour en bois, un détail toujours propice aux fantasmes.

C’est par là qu’une femme entra, à cette heure étrange de la nuit, apparemment perdue dans ses pensées, à peine descendue d’un taxi. Elle portait juste une robe du soir jaune, plutôt décolletée, sans l’ombre d’un châle sur les épaules : cela lui donnait l’air intrigant de ceux à qui il est arrivé quelque chose. Il y avait une élégance dans ses mouvements, mais on aurait dit aussi une comédienne regagnant les coulisses, libérée de la contrainte du jeu et renouant avec une partie d’elle-même, plus sincère. Ainsi elle avait une manière précise de poser ses pas, un peu fatiguée, et de tenir son minuscule sac à main, prête à le lâcher. Elle n’était plus très jeune, mais ça lui allait bien, c’est le cas parfois des femmes qui n’ont jamais douté de leur beauté.

Dehors, régnait cette obscurité qui précède l’aube, ni la nuit ni le matin.

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29 novembre 2019 5 29 /11 /novembre /2019 10:34

Le quiz de Louis https://www.babelio.com/quiz/44686/Un-ete-denfer

***

J’ai aimé ce livre car c’est vrai que ce n’est pas facile de s’installer dans un groupe où on ne connaît personne .

extraits choisis :

Vera : Allez maman tout le monde fait des soirées pyjamas

Maman: D’accord

Vera: ouaaaais!

Vera : Et on mangera un gâteau de chez Carvel et de la pizza, il y aura des cadeaux , et ... (pages 18 à 25)

J'aime ce moment car c'est celui de son anniversaire.

Vera : Mais cette année, je faisais pareil moi aussi .

Vera -Allez fais pas cette tête ! ça va être génial ! On va chanter, faire des travaux manuels, du canoë, des feux de camp ! Et on aura des tas d’amis ! -mais eux, ils seront russes, comme nous. Ça va être chouette, non , de pas se sentir mal à l’aise? de pas se sentir différents?

Frère : Je me sens différent. Je veux rester ici. (pages 34 à 44)

J'aime bien ce moment mais là que commence cette histoire au camping.

Sara: waouh !tu es trop forte ! (pages 104 à 114)

J'aime ce moment car Véra fait des dessins pour ses voisines de tente.

Vera : j’ai un petit truc pour toi, sous mon pull …

-son amie : Malchik!!! c’est sa bête .(pages 182 à 233)

J'aime bien ce moment car c'est là que Véra se fait une amie et plus elles sont amies, plus elles s'entraînent pour gagner contre les garçons  et comme elles s'entraînent, elles gagnent et donnent des gages aux garçons.

A la fin, chacun rentre chez soi.

Les moments que je n'ai pas aimés sont les moments de moquerie,

74 et 75 Pages

Sarah 1: Mais si tu les planques bien, les Bêtes ne les trouvent pas.

Sarah 1,2 : Mince Alors!!!

Sarah 1: Elle porte pas de soutif!

Sarah 2: Dégueu!!!

Sarah 1,2 : C’était pas précisé sur la liste d’affaires …

119 à 120 pages

Vera:Il me restait mon atout. Je pouvais tout arranger .

Sarah 2 : Oh la Vache ! Regardez!

Sarah 2 : Vera est amoureuse d’Alexei!!!

Vera : Non, pas du tout!

Sarah 2 : Pourquoi tu le dessines dans ce cas?

Sarah 1: Elle en a besoin pour pouvoir l’embrasser.

Toute les filles : Ha,Ha,Ha,Ha!

pages 151 à 153 

Gregor :Allez Gregor ,tire

Les filles et garçons : Ha ,Ha ,Ha ,Ha !

Le chef et Gregor : Nous avions déjà fait 11km, et les chefs scout ont décidé de continuer tout simplement .

Gregor : ça faisait un bien fou, bizarrement, de voir quelqu’un d’autre souffrir .

Sarah 1: Ils auraient dû le renvoyer.

Alexei:ou alors l’enfoncer jusqu’à la tête dans la boue !

Sarah 1:Ha Ha Ha Ha!

Tihane, 4C

 

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