Publié aux Presses de la cité en 2016, ce roman a pour cadre le bassin d'Arcachon entre 1849 et 2000. Il nous fait découvrir, à travers une famille dont l'aïeule, épouse d'un résinier, était une femme irascible qui avait maudit sa fille Léonie. Le point de vue adopté est celui des femmes dont on suit au fil des générations les luttes pour s'émanciper et les progrès réalisés.
C'est d'abord l'histoire de Léonie devenue "bas rouges" (par son travail de pêche de sangsues) après la mort de son mari et un accident qui l'empêche d'être plus longtemps résinière. Léonie tient en effet à rester indépendante et ne pas être à la charge de ses enfants. Sa plus jeune fille, Margot, est bien décidée quant à elle à s'extraire de cet univers de misère. Elle part à la ville, comme bonne, et ses charmes lui permettent de séduire d'abord un bourgeois bordelais qui l'abandonne peu après puis un fils de famille James, qui lui construit la maison du Cap et lui fait un enfant, Charlotte, mais se soumet aux pressions familiales pour épouser la fille d'un banquier. Charlotte reste donc une jeune fille sans père, mais elle vit dans la maison du Cap tandis que sa mère transforme en pension pour curistes la villa Sonate à Arcachon, achetée aussi grâce James. Charlotte quant à elle évolue à sa guise, se passionne pour la photographie, épouse un médecin dont elle aura deux enfants. Elle quitte son mari pour un amour fou avec un écrivain et navigateur écossais qui disparait en mer. Sa fille, Dorothée, véritable tête-brûlée, se consacre à sa passion, l'aviation et se désintéresse de tout autre sujet, à tel point de son mari Philip Galway se suicide et que sa fille Violette la reconnait à peine...
L'émancipation des femmes dans ce roman se fait donc par étapes : il s'agit d'abord d'indépendance économique, puis s'ajoute la liberté dans le couple, même si le divorce n'est pas vraiment acté, puis l'accès aux métiers plus souvent réservés aux hommes (Charlotte est photographe, Dorothée est pilote d'avion) et à l'engagement politique (la Résistance)...
Au fil du récit, on parcourt aussi un siècle et demi d'histoire et Françoise Bourdon s'attache à bien retracer notamment les périodes des deux grandes guerres du XXe siècle : la vie dans les tranchées, le sort des soldats récalcitrants, les gueules cassées... Puis la seconde guerre, le sort des prisonniers en Allemagne, la vie sous l'Occupation, la Résistance, le sort des internés dans les camps de la mort.
Ainsi, avec une écriture très classique et de façon tout à fait chronologique, ce roman remplit simultanément trois objectifs : Décrire les particularités et l'évolution du bassin d'Arcachon, rappeler l'histoire du XXe siècle et illustrer l'évolution de la condition féminine, tout en donnant chair à des personnages de fiction à l'instar de Charlotte ou de Margaux.
Extrait choisi : "Tous deux dînaient sur la terrasse. De sa place, Dorothée apercevait le Bassin, et le pinceau du phare du cap Ferret. Elle songea à sa mère, qu’elle avait entrevue durant l’après-midi. Charlotte mitraillait Louis Paulhan et aurait aimé voler à bord du Curtiss Triad mais l’aviateur avait emmené Léo Neveu, un autre photographe.
« Un homme, bien sûr, avait pesté Charlotte. Ces messieurs se tiennent les coudes. »
François s’essuya posément la bouche.
— Piloter ? répéta-t-il, visiblement stupéfait. As-tu perdu le sens commun, ma chérie ? Tu es une jeune fille. Apparemment, cette dernière phrase résumait tout ! Choquée, Dorothée se redressa sur sa chaise.
— Parce que je suis une jeune fille, comme tu dis, je n’ai pas le droit de vivre à ma guise et de chercher à réaliser mes rêves ?
Son ton était belliqueux. Elle promettait d’être belle, pensa François. Silhouette élancée, visage menu encadré de cheveux sombres, yeux bleu foncé, Dorothée ressemblait à Margot telle qu’Édouard Manet l’avait représentée, au début de 1871."