Comment désigner cette œuvre parue 1990 et publiée par Gallimard en 1994 ? Roman d'Amour ? notes d'écrivain ? Il s'agit en effet d'un dialogue entre Philip (l'auteur ?) et successivement plusieurs femmes, fictives ou réelles, anglaises, slaves ou américaines, épouse légitime ou maitresses. Les sujets de ces dialogues sont les sujets chers à l'auteur et ils s'enchainent ici abruptement, sans véritable fil conducteur passant de la sexualité à la vie des juifs ou à l'écriture, de la tromperie à la littérature. Quelques mots en majuscules relancent de temps à autre la conversation : JE VAIS.... JE SUIS ... TU ... J’ÉTAIS ... J'AI... On ne peut pas dire que ce soit des mots très originaux mais peut-être ont-ils un sens. En effet il s'agit dans ce roman de mieux comprendre qui on est, quelle est la part de la réalité et celle de la fiction, du rêve et du réel et cela à travers un dialogue tantôt léger, tantôt très littéraire voire philosophique. Voila donc un roman qui interroge avec brio les limites du genre romanesque.
Extrait choisi : " L'une est une silhouette esquissée dans un carnet au fil de conversations, l'autre est un personnage très important empêtré dans l'intrigue d'un livre complexe. Je me suis imaginé, extérieur à mon roman, en train de vivre une aventure avec un personnage à l'intérieur de mon roman. Si Tolstoï s'était imaginé amoureux d'Anna Karénine, si Hardy s'était imaginé mêlé à une aventure avec Tess – écoute, je suis mes inclinations là où elles me mènent – ah, et puis merde. Que suggères-tu, que je me surveille ? Que je ne cède pas à cette sorte d'impulsion par peur de... peur de quoi ? D'une opinion éclairée encline à la lascivité ? Eh bien, ni par toi ni par personne d'autre, je ne serai jamais censuré de cette façon !
– Oh, l'hypocrisie du menteur pris en flagrant délit ! Cesse donc de faire ton foutu hypocrite et ne crie pas après moi – Je ne supporte pas que l'on me crie après ! Tu es coincé et tu essaies de me brouiller les idées ! "
Un film a été réalisé en 2021 à partir de ce roman, je ne l'ai pas encore vu. Il me semble qu'un tel roman pose quelques difficultés d'adaptation
La hantise de la désagrégation du corps et de la mort, tel est le sujet de ce roman publié chez Gallimard en 2007. C'est dire si la lecture de ce roman n'est pas une partie de rigolade !
Le récit commence par l'enterrement du héros dans un cimetière juif presque abandonné du côté de Newark : sa fille Nancy, son frère ainé Howie puis ses deux fils, Lonny et Randy lui rendent un dernier hommage. Puis le roman retrace les étapes de la vie de ce héros, proche de l'auteur comme souvent chez Roth, et le récit s'attache à souligner la lente mais inexorable déréliction du corps, le lent mais inexorable détachement du monde des vivants. Depuis l'opération d'une hernie à l'aine à l'adolescence, les opérations n'ont cessé de se succéder, les artères ne cessent de donner des alertes. En même temps, après l'échec successif de trois mariages, une retraite de son agence de publicité, l'abandon de son cours de peinture, la maladie ou le décès de ses collègues, la solitude est à son comble. Lorsqu'il rentre, seul, à l’hôpital pour se faire opérer de l'artère carotide droite, il demande une anesthésie générale et c'est donc les yeux fermés qu'il meurt. Comment ici ne pas penser aux beaux vers d'Hadrien traduits par Marguerite Yourcenar en épilogue des Mémoires d'Hadrien : "Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois. Un instant encore, regardons ensemble les rives familières, les objets que sans doute nous ne reverrons plus… Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts…"
Le sujet est ainsi de ceux qu'il convient d'aborder avec un solide appétit de vivre mais comment rester insensible au mélange subtil d'ironie et de clairvoyance qui donne à cette écriture son pouvoir de fascination ? et pour finir : "Les paroles prononcées par les os l’avaient rendu allègre, insubmersible. De même que son triomphe de haute lutte sur son propre marasme. Plus rien ne pourrait éteindre la vitalité de ce gamin dont le petit corps-torpille fuselé, immaculé, avait jadis chevauché les grosses vagues atlantiques, dans l’océan déchaîné, à cent mètres des grèves. Oh, quelle ivresse ! l’odeur de l’eau salée, la brûlure du soleil ! La lumière du jour, la lumière qui pénétrait partout, jour après jour d’été, la lumière du jour, brasillant sur la mer vivante, trésor optique si vaste, d’une valeur si astronomique, qu’il croyait voir sous la loupe de son père, gravée à ses initiales, la planète elle-même, parfaite, précieuse, sa demeure, ce joyau d’un million, d’un billion, d’un trillion de carats, la Terre ! Il coula sans venir voir le coup, sans jamais pressentir l’issue, avide au contraire de s’assouvir encore, mais il ne se réveilla pas. Arrêt cardiaque. Il n’était plus. Affranchi de l’être, entré dans le nulle part, sans même en avoir conscience. Comme il le craignait depuis le début."
Les tribunaux regorgent de ces faits divers plus sordides les uns que les autres, relayés ensuite par la presse. La fascination / répulsion des lecteurs alimente même la presse à scandale.
Dans ce roman, l'auteur ne nous épargne rien de l'horreur des crimes - passages cauchemardesques ! _ mais il laisse parler son personnage, Duke, victime devenue coupable et le relai de cette voix devient vite l'essentiel. Duke écrit sa propre histoire de sa cellule alors qu'il est condamné à la prison à perpétuité, il ne s'adresse à personne de précis, c'est une parole cathartique par laquelle il affonte son "démon" hérité de la "colline aux loups" et se souvient de "la chaleur" du "nid" où il dormait avec ses frères et sœurs, de la tendresse de sa sœur Clara, de la nature, de l'amour de son amie Billy, de Pete et Maria, sa famille d'accueil. Il alimente son récit de ses lectures, le Traité du Purgatoire Sainte Catherine puis Les Confessions de St Augustin. En effet, Duke raconte sa vie de sa petite enfance à sa mort sans jamais se départir de la question philosophique et morale du bien et du mal.
Sa parole dérange : il ne ponctue presque pas, il dispose d'un lexique limité et original. Le lecteur est bien obligé de prendre un peu de recul et c'est grâce à cela qu'il échappe à la fascination/ répulsion pour accéder avec Duke à des questions bien plus profondes, à une sensibilité, à un imaginaire, à un regard singulier et décapant, en somme à la condition humaine et à l'humain.
Avec ce roman, on songe à tour de rôle à L'Etranger de Camus, au Dernier jour d'un condamné de Hugo et plus encore à Crime et Châtiment de Dostoevski. Mais ici la langue épurée du héros nous fait accéder à une œuvre tout à fait singulière, bouleversante.
Extrait choisi : "Je me suis agenouillé et j'ai pris le sable dans mes mains ça faisait comme de l'eau solide. J'en ai passé sur mon visage, j'en ai goûté ça n'était pas bon. Je suis resté là à me rouler dedans et à approcher l'eau je sentais la force permanente du sel balayer mes instincts et je crois que j'aurais voulu mourir d'avoir rencontré autant de majesté. L'eau était froide j'ai été secoué par une vague je me suis retrouvé trempé et je criais dans l'eau lave-moi viens te battre avec le Démon." p 144
Le psychanalyste Luke Rhinehart doute de l'intérêt de la psychanalyse alors qu'il est médecin dans un hôpital
Psychiatrique. L'idée lui vient alors que chaque individu est prisonnier d'un moi unique alors que si on peut changer ce moi, la libération peut être vitale. Pour cela, il met au point une méthode originale : tout jouer au dé. Pour chaque acte de la vie, proposer diverses solutions et laisser le hasard choisir en lançant le dé. Les résultats sont totalement imprévisibles et totalement libres vis à vis de la loi comme vis à vis de la morale. Un aliéné est interné car il violait les petites filles, le voilà maintenant complétement désintéressé par les fillettes mais intéressé par les petits garçons ! Le docteur applique aussi sur sa propre vie sa méthode et se retrouve ainsi à aider une trentaine d'aliénés à s'évader de l'hôpital.
La question initiale est tout à fait intéressante : le moi que nous affichons au quotidien est une construction qui bride notre créativité comme notre liberté.
Le traitement de la question est en revanche tantôt humoristique, tantôt provocatrice jusqu'à devenir agaçante, laissant libre cours aux fantasmes divers du personnage. Alors certes, ce livre n'est pas à mettre dans toutes les mains.
Le narrateur porte les même noms et prénoms que l'auteur qui se plait de la sorte à créer le trouble. Les citations en exergue donnent au libre un caractère sérieux, scientifique :
"Nous ne sommes pas nous-mêmes ; en vérité, il n’y a plus rien qu’on puisse encore appeler un « moi », nous sommes multiples, nous avons autant de « moi » qu’il y a de groupes auxquels nous appartenons… Le névrosé est la victime patente d’une maladie dont tout le monde souffre… J. H. VAN DEN BERG
Mon but est d’aboutir à un état psychique dans lequel mon patient se mette à expérimenter sur sa propre nature – un état de fluidité, de changement et de croissance, dans lequel plus rien ne serait éternellement figé, désespérément pétrifie. CARL GUSTAV JUNG
La torche du chaos et du doute : telle est la lanterne du sage. TCHOUANG-TSEU
Je suis Zarathoustra le sans-Dieu : je fricote encore toutes les chances dans ma marmite. NIETZSCHE N’importe qui peut être n’importe qui. L’HOMME-DÉ
C'est ainsi qu'à la sortie de ce roman beaucoup ont cru à une autobiographie et le récit a connu un succès retentissant attisé par le parfum du scandale.
En réalité, c'est une supercherie, l'auteur se nomme en réalité George Powers Cockcroft, c'est un romancier américain, professeur de littérature, Luke Rhinehart est le nom de son personnage et son nom de plume.
extrait : "De retour à mon bureau, je récrivis les deux premières options : quitter Lil et abandonner les dés. J’accordai alors une chance sur cinq à l’option de décider au début de chacun des sept mois suivants (c’est-à-dire jusqu’au premier anniversaire du jour D à la mi-août) à quoi chacun de ces mois devrait être consacré. J’attribuai les mêmes chances à l’option d’essayer d’écrire un roman pendant ces sept mois. Un peu plus à celle de faire trois mois de tourisme en Europe et de voyager le reste du temps selon le caprice du dé. Ma dernière option était de remettre la conduite de mes recherches de sexologie avec le Dr Felloni à l’imagination du dé.
Le premier jour semestriel de la distribution de ma destinée était arrivé – une occasion mémorable. Je bénis les dés au nom de Nietzsche, de Freud, de Jake Ecstein et de Norman Vincent Peale et les agitai dans mes mains en coupe, en leur faisant durement heurter mes paumes. Je gloussais d’impatience : c’était une demi-année de ma vie, peut-être même plus qui tremblotait là dans mes mains. Les dés roulèrent sur le bureau ; il y avait un six et un… trois. Neuf : survie, anticlimax, inachèvement, et même désappointement ; les dés m’avaient ordonné de recommencer chaque mois à leur faire choisir ma destinée particulière."
On retrouve ici l’écrivain Nathan Zukerman sorte d’alias de l’auteur déjà rencontré dans J’ai épousé un communiste et dans La Contrevie. Cette fois encore il collecte des témoignages.
Celui de Coleman Silk, soixante-et-onze ans, doyen de l’université d’Athéna et professeur de Lettres Classiques, mis au ban deux ans plus tôt pour une accusation de racisme puis décrié pour sa liaison avec une jeune femme de trente-quatre ans, illettrée, Faunia. On découvrira finalement qu’il vit depuis sa jeunesse dans le mensonge puisqu’il se fait passer pour un blanc alors qu’il ne l’est pas vraiment.
Celui d'Ernestine, le soeur de Coleman qui fera de nouvelles révélations.
Celui de Lester Farley, enfin, l’ex-mari de Faunia, un homme violent qui fait trembler ceux qui croisent son chemin. Nathan Zukerman est persuadé qu’il a provoqué la mort de Faunia et de Coleman mais lorsqu’il le rencontre et parvient à le rencontrer, celui-ci lui explique qu’il vit désormais à l’écart du monde, « près de Dieu » car il a souffert de STPT « Stress et Troubles Post-Traumatiques » depuis son retour du Vietnam et que cela l’a conduit à faire beaucoup de mal, notamment à Faunia. Il reste meurtri et amer, « ça, le gouvernement, il vous le dit jamais. Ils vous disent ce qu’ils veulent bien vous dire. C’est jamais Willie l’Anguille qui se fait prendre. C’est le gars qui est parti pour servir son pays. A tous les coups. » dit-il. Zukerman le craint encore mais son isolement volontaire à la pêche sur un lac gelé ne semble pas propice à la violence.
Mais le récit ne se réduit pas à ce que Nathan Zukerman nous apprend : notamment il permet de découvrir aussi les tribulations d’une jeune parisienne en Amérique : Delphine Roux, ex élève d’Henri IV, diplômée de l’École normale supérieure de Fontenay et de Yale. Celle-ci, pétrie d’ambition, veut avant tout réussir pour montrer à sa mère qu’elle peut réussir brillamment seule, sans sa famille mais elle se trouve bien seule dans ce pays : « Elle qui est si fière de parler l’anglais couramment, qui le parle en effet couramment, elle ne parle pas la langue, en fait. Je crois que je les comprends, et je les comprends. Ce que je ne comprends pas, ce n’est pas ce qu’ils disent, c’est tout ce qu’ils ne disent pas, quand ils parlent. Ici, elle ne se sert que de cinquante pour cent de son intelligence, alors qu’à Paris elle comprenait chaque nuance. Quel est l’intérêt d’être intelligente, ici, puisque du fait que je ne suis pas du pays, je deviens bête ipso facto... Elle se dit que le seul anglais qu’elle comprenne vraiment bien — non, le seul américain —, c’est l’américain universitaire, qui n’est guère américain justement. »
Dans ce roman véritablement foisonnant, la vie en Amérique en 1998 est examinée à travers le kaléidoscope d’un regard ou des discours d’une multitude de personnages, mais l’enjeu est exprimé avec véhémence : « La force des convenances est protéiforme, leur domination se dissimule derrière mille masques : la responsabilité civique, la dignité des wasps, les droits des femmes, la fierté du peuple noir, l’allégeance ethnique, la sensibilité éthique des Juifs, avec toute sa charge émotive. » « Un siècle de destruction sans précédent dans son ampleur vient de s’abattre comme un fléau sur le genre humain — on a vu des millions de gens condamnés à subir privations sur privations, atrocités sur atrocités, maux sur maux, la moitié du monde plus ou moins assujettie à un sadisme pathologique portant le masque de la police sociale, des sociétés entières régies, entravées par la peur des persécutions violentes, la dégradation de la vie individuelle mise en œuvre sur une échelle inconnue dans l’histoire, des nations brisées, asservies par des criminels idéologiques qui les dépouillent de tout, des populations entières démoralisées au point de ne plus pouvoir se tirer du lit le matin, sans la moindre envie d’attaquer leur journée... voilà ce qui aura marqué le siècle, et contre qui, contre quoi, cette levée de boucliers ? Faunia Farley. Ici, en Amérique, on prend les armes contre Faunia Farley ou Monica Lewinsky ! »
Quelques pages cependant nous tiennent à l’écart du brouhaha du monde et sont pleines de poésie : celles de la pêche de Lester en montagne sur le lac gelé ou celles de la traite des vaches par Faunia ou encore celles de l’apologie des corneilles par Faunia :
"Des beaux oiseaux. Ensuite je me suis installée ici, et vu que j’étais seule, que je le suis toujours, je me suis mise à connaître ces corneilles comme jamais avant. Et elles à me connaître. Leur sens de l’humour. C’est de l’humour, chez elles ? Peut-être pas, mais moi, en tout cas, c’est ce que j’y vois. Leur démarche. Leur façon de se cacher la tête sous l’aile. De m’engueuler quand j’ai pas de pain à leur donner. Allez, Faunia, va chercher le pain. Elles ont une démarche majestueuse. Elles font la loi aux autres oiseaux. Samedi, j’ai fait un brin de causette avec une buse à queue rousse, dans Cumberland Street, et puis je suis rentrée et j’ai entendu deux corneilles, derrière, dans le verger. J’ai compris qu’il y avait du grabuge. Elles poussaient leur cri d’alarme. Et en effet, j’ai vu trois oiseaux, deux corneilles qui croassaient et qui faisaient déguerpir la buse. C’était peut-être celle à qui je venais de parler. Elles la chassaient. C’est vrai que la buse avait l’air de préparer un mauvais coup. Mais s’en prendre à une buse, tout de même, je vous demande un peu ? Ça les pose auprès des autres corneilles, mais, moi, je sais pas si j’oserais. Même à deux, se prendre une buse. C’est qu’elles sont agressives, ces bestioles. Vachement teigneuses. Un bon point pour elles. J’ai vu une photo, un jour, d’une corneille qui allait carrément chercher la bagarre à un aigle en lui aboyant dessus. Tu penses que l’aigle, il en avait rien à secouer, il la voyait même pas. Mais c’est un sacré numéro, la corneille. Cette façon qu’elle a de voler. Elle est pas aussi jolie que le grand corbeau, quand il vole, qu’il fait tous ces loopings, ces acrobaties merveilleuses. Elle a ce long fuselage à faire décoller, et pourtant, elle a pas besoin de courir pour prendre son élan. Il lui suffit de quelques pas. J’ai observé ça. C’est plutôt une question d’effort, elles font un effort énorme, et elles s’arrachent."
Paru en 2013, ce roman de Thomas B Reverdy plonge son lecteur dans l’atmosphère trouble et singulière d’un Japon encore englué dans la triple catastrophe de 2011, séisme, tsunami puis catastrophe nucléaire de Fukushima et empêtré dans l’univers économicopolitique corrompu, dirigé d’une main de fer par les des yakusas.
C’est dans ce contexte, que les laissés-pour-compte du système s’entassent dans le quartier des travailleurs pauvres de San’ya à Tokyo où chaque matin, ils tentent de décrocher un travail pour la journée : ceux qui viennent du Nord, de la zone désormais interdite, ont « le privilège » d’être choisi en priorité pour aller faire les travaux de dégagement dans la zone interdite, de devenir « nettoyeurs », munis de gants et de bottes ! C’est dans ce contexte aussi que s’accélère une tradition ancestrale de l’évaporation : des hommes quittent leur famille, leurs amis, leur travail, seuls, sans crier gare et sans intention de retour, pour toujours or ni la police, ni qui que ce soit d’autre ne les recherche, ils sont évaporés, c’est tout, leur famille doit vivre avec ce mystère et cette honte. « Ceux que nous appelons ici johatsu remonte à l’époque Edo. Les criminels ou les gens qui avaient une dette d’honneur allaient se purifier aux sources du mont Fuji. Il y a là des sources chaudes et des établissements de bains, ce sont des villes d’hôtels. Ils prenaient une auberge, ils entraient dans les bains de vapeur et ils disparaissaient. C’est pour cela qu’on les appelle des évaporés. Peut-être certains se suicidaient en prenant le chemin de la forêt. Mais d’autres réapparaissaient, quelques années plus tard, ailleurs ». Or l’évaporé amène la honte sur sa maison et pour cette raison des étudiants se font payer pour occuper leur logis, le temps qu’il redevienne assez « propre » pour être de nouveau loué ou vendu.
Kazechiro, justement doit s’évaporer suite à des malversations financières qu’il a faites sans savoir qu’il était manipulé et qu’il s’agissait de malversations. Nous le voyons quitter sa maison avant le lever du jour et nous le suivons dans ses pérégrinations, devenir Kaze et monter son entreprise de nettoyeur puis une agence d’évaporateur. Il est accompagné une partie de son chemin par Akainu, un jeune garçon qui lui aussi fuit les yakusas car il a été témoin du meurtre de son ancien patron. Cet enfant est seul car il a perdu la trace de ses parents lors de la catastrophe. Nous suivons aussi de retour de Yukiko, la fille unique de Kazechiro, installée depuis de nombreuses années à San Francisco. Elle arrive avec son ex-petit-ami, Richard, poète et détective. Tous deux sont bien décidés à retrouver Kazechiro et la mère de Yukiko sait bien que personne d’autre ne le cherchera.
En réalité, tandis que Richard mène une enquête improbable, perdu dans un pays dont il ne connaît ni la langue, ni les mœurs, Yukiko redécouvre ses racines et les traditions ancestrales de son pays. Cela nous offre de belles pages de pure poésie.
Un rêve à Kyoto
Vous êtes à Kyoto. La ville serpente, elle s’étale – ses immeubles ne sont jamais très hauts – la ville se répand comme de l’eau qui aurait fini par remplir une vallée plus plate et plus grande que les autres, s’arrêtant de tous côtés aux pentes des montagnes. Des collines boisées la trouent tels des îlots. C’est un lac.
Il flotte dans l’air un parfum d’iris et de jasmin. Ce n’est pas normal en hiver.
On dirait une odeur de femme.
Vous marchez dans la brume scintillante du petit matin, dans un quartier de machiya en bois, petites maisons carrées dont l’étage avance légèrement sur la rue, au-dessus d’un jardin nain, sorte de vestibule constitué d’un camélia et de quelques fleurs en pots, devant l’entrée. Certaines habitations arborent des lanternes de papier qui s’éteignent une à une à la fin de la nuit. Des kakémonos de tissu blanc calligraphiés au nom du propriétaire de la boutique ou de l’auberge ondulent devant des portes à claire-voie qui ne s’ouvrent pas mais coulissent, s’effacent, ainsi que les parois de la maison et les fenêtres toujours closes, le shoji rond et jaune de la chambre où filtrent, au soir et à l’aurore, une lumière douce qui vient de l’intérieur, et des ombres japonaises.
Un peu plus loin vous apercevez un pont arqué sur un canal au lit de pierres à peine plus gros qu’un ruisseau, ondulant au milieu de deux allées d’arbres qui se penchent, allongent démesurément leurs branches du côté de l’eau comme des bras suppliants étirés à quelques dizaines de centimètres de leur but.
Ce sont les cerisiers qui penchent, les saules sur le pont ne font que pleurer.
Ce n’est pas vraiment une rue. Malgré les pavés qui la tapissent et luisent en reflétant la brume, on dirait un chemin qui court. Il s’enfonce entre les maisons vers un passé sans âge.
Il n’y a personne dans ce quartier à cette heure le long de ce canal, sous ces frondaisons, par ce froid, dans cette lumière grise étale, sur ces pavés luisant de brume, personne, il n’y a que vous et les fantômes de la capitale.
Les temps se brouillent et s’empilent. C’est peut-être la brume. Ou c’est peut-être les noms qui sont restés les mêmes depuis si longtemps. Héian n’est plus qu’un temple aujourd’hui. Ce fut, sous le nom de Héian-kyo, pendant mille ans, la capitale d’un empire qui se déchire. À l’ère Muromachi – aujourd’hui devenue une artère longeant la Kamo River –, les quartiers de Kamigyo et de Shimogyo qui se partagent encore la ville se dessinent, ce sont les quartiers des deux armées des daimyo qui s’affrontent, manœuvrant pour faire et défaire les shoguns. Samouraïs et paysans armés de lames courbes, d’arcs longs, déferlent dans les rues. Ils portent des armures légères articulées de couleurs vives, des sabres forgés à Bizen et des poignards sans garde passés dans leurs ceintures. Vous les voyez, leurs casques surmontés de croissants de lune, d’ailes ou de bois de cerf, semblables à des cornes. Ils passent en hurlant, grimaçant, la bouche ouverte tordue, les yeux ronds comme les statues des généraux célestes, sur leurs chevaux au triple galop, les pieds fermement campés dans leurs étriers en forme de socques de bois recourbés, ils se dressent, l’épaule gauche penchée sur la crinière qu’ils tiennent d’une main fermée sur des rênes courtes en tissu, l’autre bras tendu à l’horizontale portant sabre au clair, dont le fourreau laqué fait une sorte de flèche à leurs ceintures, dans leurs dos. À cette vitesse ils pourraient décoller des têtes sans même s’en apercevoir, passant au travers comme de la brume.
Pourtant vous n’avez pas peur, ce ne sont que des spectres. » (p 97 à 99)
Kaze pourra longtemps poursuivre son activité au Nord, sans papiers et sans la moindre reconnaissance officielle, à moins que ses nouvelles habitudes de toujours fumer les cigarettes par deux, alliée à ses allers-retours dans le Nord ne mettent un terme à son exil, le roman ne le dit pas.
Bénédicte Ombredanne "ne portait que des couleurs sombres, elle était chaussée de bottines à lacets, elle arborait de la dentelle et des bijoux anciens, elle affectionnait le velours grenat ou Véronèse de certaines vestes de coupe cintrée qu’on trouve dans les friperies. Cette allure évoquait l’univers symboliste d’Edgar Poe et de Villiers de l’Isle-Adam, de Maeterlinck, Huysmans et Mallarmé, un univers crépusculaire et pâli où les fleurs, les âmes, l’humeur et l’espérance sont légèrement fanées, délicatement déliquescentes, dans leur ultime et sublime flamboiement, comme une mélancolique et langoureuse soirée d’automne, intime, charnelle, toute de velours et de rubans soyeux, rosés, rouge sang. Certes, chez elle, ce style était timide voire indécis, il n’émergeait que par de petites touches que diluait le caractère contemporain de la plupart des vêtements ou des accessoires qu’elle portait, son apparence n’était pas excentrique, elle restait relativement modeste et donc conforme à l’idée qu’on peut se faire d’un professeur de lycée, mais à mes yeux Bénédicte Ombredanne délivrait des indices sur la façon dont elle s’imaginait qu’étaient vêtues Claire Lenoir, Ligeia, Bérénice, Morella, l’inconnue de la rue de Grammont, ses héroïnes.
— J’aime beaucoup votre bague, elle vient d’où ?
— Je la porte dans les grandes occasions. C’est une bague que m’a laissée ma grand-mère, elle la tenait elle-même de la sienne, elle date du début du XIXe siècle. On y trouve la peinture d’un regard.
— La peinture d’un regard ?
— Un œil. Regardez. Cette bague a été faite pour une femme amoureuse d’un homme qui était déjà pris. Elle a fait peindre son œil plutôt que son portrait, afin que personne ne puisse l’identifier. C’était une pratique assez courante au XVIIIe siècle.
J’avais entre les miens les doigts vernis de noir de Bénédicte Ombredanne, un œil ancien et minuscule me regardait au milieu de cet entremêlement."
Bénédicte Ombredanne est l'un de ces personnages qu'on n'oublie pas. Ce portrait nous annonce bien qui est cette héroïne éprise d'absolu, dévorée d'un immense appétit de vivre mais contrainte à voler ses instants de vraie vie et à s'étioler doucement jusqu'à mourir. C'est qu'elle ne parvient pas à rejeter le joug d'un premier époux qui n'avait comme ambition que l'héritage puis d'un second époux, pervers, harceleur, sadique, paranoïaque et j'en passe. Existence tragique pour cette jeune femme d'aujourd'hui à qui la vie semblait pourtant promettre un brillant avenir.
Mais Bénédicte Ombredanne ne se réduit pas à cela : elle aime la littérature, rencontre l'auteur de ce roman, lui écrit des mails et des lettres et lui confie même une quarantaine de feuillets écrits "de son écriture". Le roman d'ailleurs mêle des styles très divers. Après sa mort, l'auteur rencontre sa jumelle, dont elle ne lui avait jamais parlé ! de telle sorte que ce roman recèle nombre de mystères ce qui fait de Bénédicte Ombredanne un personnage inoubliable.
"C’est drôle, quand on s’enfonce ainsi en soi et qu’on marche vers cette lointaine lumière habitée, c’est comme un paysage nocturne qui se déploie, grandiose, empli d’autant de sensations et de phrases qu’une forêt peut raisonner de cris d’oiseaux et de bruissements d’animaux, de senteurs de fleurs et d’écorce, de mousse, de champignons. "
Le titre de mon livre est « SES GRIFFES ET SES CROCS ». Il a été écrit par Mathieu ROBIN, qui a aussi publié un autre roman pour adolescents « Pensée assise ». Le livre est paru en mai 2015. L’année 2015 est caractérisée par sa forte augmentation de population de migrants : eux aussi sont souvent déstabilisés dans un monde qu’ils ne connaissent pas. C’est un roman d’origine française.
S’il fallait en retenir une seule phrase, ce serait : « Seuls les animaux eurent la sagesse de quitter la montagne dès les premiers signes de sa présence. »
Le personnage principal est Marcus Coogan, il a presque dix ans et c’est un petit garçon angoissé. Mais sa sœur, Lia, revient aussi très souvent, tout comme Paul, Mary et Sam. Paul et Mary sont jumeaux et Sam est leur frère aîné mais il est trisomique. Lia est la sœur aînée de Marcus. L’histoire se passe en forêt au pied d’une montagne où ils passent quelques jours de vacances. Malheureusement, ils ne vont pas tous survivre…
J’ai bien aimé ce livre mais j’ai trouvé que la fin n’était pas appropriée. Ils font pitié ces enfants, ils partaient juste en vacances et, au final, ils rentrent chez eux sans leurs parents et, pour Paul et Sam, sans leur sœur. Il était facile à lire, et même si au début de l’histoire on aurait pu croire à de la science- fiction, je suis d’accord avec ce qu’il raconte.
EXTRAIT DU LIVRE (page 144, lignes 1 à 11) « -Ici ! crie Lia, d’une voie désespérée. Le corps de Mary gît inanimé, ses jambes emmêlées dans les branchages, son buste et sa tête ensevelis. Paul arrive presque aussitôt et aide Lia à la dégager. On essuie la terre de son visage. Elle respire faiblement, mais elle respire encore. La Bête se remet à gronder au loin. Il faut s’enfuir, vite. Sam soulève sa sœur et l’extrait des décombres. Ils se dépêchent de remonter vers le chemin. Tel un Petit Poucet affolé, Marcus les guide en suivant ses marques. Lia et Paul escortent Sam et tentent de maintenir Mary éveillée. -Ne t’endors pas, bafouille Lia. Reste avec nous… »
Louise B—LP 4D
Marcus et sa famille (ses parents et sa sœur Lia) partent pour quelques jours de vacances, avec des amis de ses parents, dans un chalet isolé en montagne. Marcus souffre de troubles psychologiques (TOC) et d’angoisse ce qui le handicape pour certaines activités. Après une dispute entre Lia et ses parents, les amis de ceux-ci proposent de partir pour une randonnée entre adultes, laissant au chalet Marcus, Lia et les trois autres enfants : les jumeaux Paul et Mary, et le frère ainé Sam qui souffre, lui, d’épilepsie.
Mais, au bout de deux jours, ils ne sont pas revenus. Les enfants s’aperçoivent que le pont sur lequel ils sont passés s’est effondré. Marcus et les autres enfants partent alors à leur recherche. Au cours de leur recherche, les enfants doivent faire face à des explosions de terre, des arbres qui s’écroulent …
Ce livre a été écrit en 2015 par Mathieu Robin qui est aussi réalisateur. C’est un roman jeunesse.
L’histoire me fait penser à un chalet isolé sur une montagne silencieuse. Et me fait penser à des photos de montagnes enneigées en hiver. Cela me rappelle mon voyage à la montagne en 6e.
La phrase que j’ai retenue : « Le regard étrange de Sam, abyssal, l’absorbe. Et s’il savait que quelque chose de terrible allait arriver, et qu’il tentait de le prévenir à, sa façon. ». A la lecture de cette phrase, j’ai pensé que Sam pressentait que quelque chose allait se passer et que Marcus n’arrivait pas à comprendre ce que son ami voulait lui dire
« La forêt est dense, quadrillée de troncs épais et robustes comme des piliers antiques. A quelques dizaines de mètres au dessus du sol ; leurs branches entremêlées forment une voûte si opaque que les rayons du soleil estival peinent à percer. Ces arbres démesurés semblent être les gardiens d’un royaume sauvage et interdit ».
Cette histoire se déroule dans la montagne noire où les deux familles étaient censées passer leurs vacances. Les cinq enfants vont faire face à la disparition de leurs parents. Partis à leur recherche, en voyant les arbres tomber à terre, la terre exploser, Marcus et les autres croient à un monstre de la montagne. La manière dont cela est décrit fait penser à une « bête ». L’histoire est très claire mais peut être qu’à certains moments, j’aurais préféré que l’actions soit décrite différemment, par exemple lorsque l’auteur parle de l’explosion : on n’en connaît pas la cause au départ.
Je n’aime pas le fait que les parents et l’une d’entre les enfants meurent. Par contre, j’aime le fait que les enfants s’en soient sortis, j’aurais aimé savoir ce qu’ils deviennent par la suite.
Ce texte est écrit pour les enfants, c’est un livre jeunesse mais, il y a plusieurs thèmes sérieux. Un des sujets est assez triste car l’histoire rend compte de la mort (des parents et de Mary). L’auteur parle aussi des TOC dont souffre Marcus, ce qui m’a permis de mieux comprendre en quoi cela peut être compliqué à vivre pour quelqu’un.
Les chapitres ont des titres de chansons punk puis rock, ils alternent les histoires individuelles
de personnages comme Candice ou Jones, une histoire réelle celle de l'hiver 1978/1979 en Grande-Bretagne et une histoire littéraire entre fiction et réalité, la représentation de Richard III de Shakespeare par Candice et ses amis devant Misses Thatcher, sans compter un chapitre de considérations générales sur le roman et le théâtre et un autre qui se présente comme un abécédaire. Faire tenir tous ces fils ensemble semble l'enjeu de ce livre que j'ai quelques difficultés à situer dans un genre. Les deux personnages de roman peinent à devenir vraiment des personnages de roman et leur liaison tout juste évoquée, ils disparaissent dans le vide de la fin du livre qui n'est pas une fin mais une sorte de suspension ! Alors ce livre cherche-t-il à redéfinir le genre du roman ? C'est sûr, on n'est plus au XIXe siècle !
Un extrait p 118
"Thatcher va donner le programme des années 1980. A comme Arabia – La révolution islamique de 1979 en Iran mènera, à la fin de la même année, à une prise d'otages de plus d'un an dans l'ambassade américaine, qui sera l'occasion de ridiculiser la CIA dont les hélicoptères restent cloués au sol par une tempête de sable. Ce crime de lèse-majesté d'un pays non aligné ne lui sera jamais pardonné. Le « monde libre » change d'alliés. L'Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats deviennent nos amis, pour le meilleur et pour le pire. B comme Bobby – Bobby Sands est un membre de l'IRA provisoire. Il est aussi député irlandais au Parlement. Il mourra, au terme d'une grève de la faim de soixante-six jours dans la prison de Maze où il est détenu comme prisonnier politique. Sa volonté, sa dignité, son agonie terrifiante seront partagées par des millions de gens, au-delà des frontières, sans que ne plie jamais la Dame de fer. C comme City – la Bourse de Londres. On ouvre la City aux investissements étrangers, on en fait la première place financière au monde. À force de dématérialisation et de dérégulation, la spéculation devient incontrôlable. Elle conduit à une recherche de profits sans limites qui se manifeste dans les délocalisations, au détriment des employés, des consommateurs et des États. C'est-à-dire des gens."
Ces années Thatcher m'ont rappelé surtout l'horreur de l'emprisonnement des membres de l'IRA telle que présentée par Sorj Chalandon dans Retour à Killybegs
Je découvre Philip Roth par des chemins de traverse : après La Contrevie (1986), je viens de lire J'ai épousé un communiste (1998).
Cette fois la toile de fond est l'Amérique du maccarthysme qui cause la perte du héros du roman Ira Ringold (Jeune juif de Newark, sans diplôme, sans famille) alias Iron Rinn (star de la radio, époux d'une vedette de cinéma en haut de l'affiche). Dans cette ambiance de guerre froide des années 50, la chasse aux sorcières est ouverte, il ne fait pas bon être communiste, même en secret, ni même être ami ou frère de communiste, Ira le découvre à ses dépens. Il clame avec ardeur ses opinions sur la guerre froide ou sur la Corée comme il l'avait fait en Iran quand il était militaire pour la défense des Noirs qui lui tient aussi à coeur. Mais il ne serait pas tombé sans un autre mal sournois et noir qui ronge la société américaine et particulièrement ici son épouse: l'antisémitisme. C'est que l'Amérique est loin d'être un eldorado ! On découvre d'ailleurs qu'Ira est un meurtrier qui se cache depuis des années.
Cette histoire, c'est Murray, le frère ainé d'Ira qui à l'âge de 90 ans la raconte à son ancien élève Nathan Zukerman âgé désormais de 60 ans. On retrouve ainsi à travers ces deux personnages deux alias de l'auteur lui même à qui chacun emprunte beaucoup. Murray était professeur de littérature, Destitué quatre ans après son frère à la suite de la chasse aux communistes, il a cependant repris ses fonctions d'enseignants mais cette fois dans des classes de South Side où personne d'autre ne voulait enseigner les élèves, de jeunes Noirs pauvres de Newark. Cela a duré dix ans jusqu'à ce que l'un d'eux assassine son épouse pour lui voler son sac (qui pourtant ne contenait rien). On découvre ainsi une Amérique en pleine déliquescence. "Mais basta, chaque acte produit de la perte, dit-il. C'est l'entropie du système.
_ Quel système ?
_ Le système moral."
Enfin pour l'on puisse voir "l'inconcevable : l'absence d'antagonisme" il faut attendre que tous les hommes aient disparu. C'est une vision plutôt désespérante.
Ce que j'apprécie particulièrement dans ce roman, c'est la construction des personnages : Eve, Sylphid, Ira et beaucoup de persornages de second plan... On les découvre peu à peu et ils réservent des surprises jusqu'au bout. C'est qu'ils ont emprunté la complexité humaine ce qui est assez rare pour les personnages de romans. Leur vie n'a pas plus de sens que celle des personnes. Il faut la construire, la découvrir.
"Il se voulait passionnément un homme qu'il ne savait pas être. Il n'a jamais découvert sa vie, Nathan. Il l'a cherchée partout -à la mine de zinc, à l'usine de disques, à la fabrique de fondant, au syndicat, dans le radicalisme politique, dans les pièces qu'il jouait à la radio, dans les harangues pour soulever la foule, dans la vie prolétaire, dans la vie bourgeoise, dans le mariage, dans l'adultère, dans l'état sauvage, dans la société civilisée. Il n'a jamais pu la trouver. Ce n'est pas un communiste qu'Eve a épousé; elle a épousé un homme perpétuellement affamé de sa propre vie. Ce qui l'enrageait, qui l'embrouillait, c'est ce qui l'a perdu : il n'a jamais pu s'en construire une qui tienne. Tout l'effort de cet homme n'était qu'une maldonne colossale. dit Murray pour expliquer à Nathan la vie d'Ira.