Anima, Bestiae verae, felis sylvestris catus carthiusianorum, passer domesticus, canis lupus familiaris inauratus investigator... du titre aux sous-titres et aux titres de chapitres, Wajdi Mouawad égrenne les mots latins.
Du premier au dernier chapitre, il multiplie aussi les narrateurs : chat, colombe, singe, araignée, chien, corbeau ou rat ... à chaque chapitre il nous faut comprendre selon quel point de vue nous découvrirons l'histoire.
Cette histoire est celle de Wahhch Debch dont le nom est chargé d'un sens qu'il mettra, comme le lecteur, environ 400 pages à découvrir, une histoire qui l'entraîne du Québec aux réserves indiennes d'Amérique, d'Arizona au Colorado... mais toujours plus près de Sabra et Chatila, de l'innommable.
C'est un itinéraire jalonné par des épisodes d'une violence inouïe dont l'unité n'apparaît que lors des derniers chapitres.
C'est aussi en arrivant à ces derniers chapitres de ce gros roman de 494 pages que j'ai compris que les mots latins, les animaux narrateurs, ne sont pas du tout, du tout des caprices de romancier pour se singulariser : Cette histoire ou Histoire a ôté à l'homme toute humanité, la langue même a perdu son sens. "Perdre son âme" c'était même l'objectif pour certains ! alors ce titre_comme la photo en première de couverture_ Anima ressemble à la quête désespérée d'une âme perdue, la voix des narrateurs animaux est comme le souvenir d'une humanité égarée dont paradoxalement les animaux seraient plus détenteurs que nous.
Bref, un très grand roman, d'une violence et d'une puissance qu'il faut être prêt à affronter. Et pour finir, comme je voudrais croire que tout cela est pure imagination !
Je ne résiste pas au désir de revenir sur l'épilogue :
"J'ai vérifié sur une carte. Je les ai imaginés tous les trois monter encore plus haut, pour arriver à Inuvik, attendre la glaciation, avant de poursuivre le long des chenaux gelés, vers Tuktoyaktuk, dans la baie de Kugmallit, ouverte sur la mer de Beaufort et le grand océan Arctique. Que jetteront-ils dans le tumulte des vagues ? Que voudront-ils confier aux abysses ? Quelle douleur ? Quel chagrin ? Il existe, tout au fond des mers,des poissons monstrueux doués de parole, gardiens d'une langue ancienne, oubliée, parlée jadis par les humains et par les bêtes aux rivages des paradis perdus.[...] Nous réapprendrions à parler. Nous inventerions des mots nouveaux Wahhch retrouverait son nom. Tout ne serait pas perdu."