Ce court roman publié en mai 2022 mais écrit fin 1990, est comme un condensé de l’œuvre d'Annie Ernaux.
A la première personne, à l'imparfait et au passé composé, l'autrice raconte une aventure amoureuse vécue avec un jeune étudiant de trente ans plus jeune qu'elle : pour lui qui vient d'un milieu populaire, elle est une "bourge"exactement l'inverse de ce qu'Annie Ernaux a vécu avec son mari. Ils s'installent dans le studio d'étudiant du garçon, face à l'hôpital où des années plus tôt, Annie Ernaux avait été sauvée d'une hémorragie après un avortement. Tous deux, ils prennent plaisir à observer quand ils sortent les réactions des gens, réactions qui confirment l'incongruité de leur couple. Elle se souvient alors avec délice de sa jeunesse où elle était scandaleuse à se promener entre ses parents dans une robe moulante, sans gaine ! Pour elle, leur relation est l'occasion de mesurer le temps, les années que lui n'a pas connues et que parfois elle revit avec lui tel un palimpseste, les années qu'il connaitra et qu'elle ne verra jamais aussi. Mais sans l'écriture, leur histoire serait incomplète : "Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues", précise l'autrice en exergue. Lorsque le jeune homme exprime le désir de faire un enfant avec elle, puisque désormais les progrès scientifiques l'autorisent, elle se souvient que depuis la naissance de son second fils, il y a vingt-huit ans, elle s'est promis de ne plus jamais avoir d'enfant. En somme, voilà une clé pour mieux lire et relire l'oeuvre d'Annie Ernaux.
extrait choisi : "À la différence du temps de mes dix-huit, vingt-cinq ans, où j’étais complètement dans ce qui m’arrivait, sans passé ni avenir, à Rouen, avec A., j’avais l’impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse. Ou encore celle d’écrire / vivre un roman dont je construisais avec soin les épisodes. Celui d’un week-end au Grand Hôtel de Cabourg, d’un voyage à Naples. Certains avaient été écrits déjà, telle l’escapade à Venise, où j’étais allée pour la première fois avec un homme en 1963, où j’y avais retrouvé en 1990 un jeune Italien. Même l’emmener à une représentation de La Cantatrice chauve à la Huchette était le redoublement d’une initiation pratiquée avec chacun de mes fils, à leur entrée dans l’adolescence."