Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 21:59

Les Gratitudes est le dernier roman de Delphine de Vigan. Une fois encore, l’auteure nous plonge au cœur de la réalité même si un roman est une fiction ou peut-être d’autant mieux que le roman est une fiction.

 

Avec Michka c’est l’apprentissage de la déréliction que nous découvrons. Elle qui était correctrice dans une revue, la voilà atteinte d’aphasie. Or cette atteinte n’est pas nette, brutale et totale. Au contraire elle s’insinue : peu à peu les mots se déforment et puis peu à peu ils disparaissent laissant les phrases en suspens. Michka a bien conscience de l’irrémédiable perte. Jérôme son orthophoniste fait ce qu’il peut pour l’enrayer pourtant. Entre eux se tissent une relation humaine qui dépasse clairement les fonctions de Jérôme. Tout cela se passe dans un lieu qui ne laisse pas d’espoir de guérison puisqu’il s’agit d’un Epadh, lieu où l’attente "est une occupation à part entière."

Alors une fois toutes les gratitudes exprimées la perspective est toute tracée pour Michka.

Alors pourquoi lire un tel roman ? Pour l’humanité dont fait preuve l’auteure bien sûr. Pour la délicatesse de son écriture aussi. Ce n’est pas si facile d’écrire comme une aphasique ! Sous la plume de Delphine de Vigan, cela devient une nouvelle langue, une langue chargée de poésie.

Extrait choisi :

« Elle s’assied dans son fauteuil.

— Mais je n’arrive plus à dire, alors elle ne comprend pas. Même quand je suis dans le… la… elle… raboule comme ça.

— Vous voulez que j’en parle ?

— Non, non, surtout pas. Elle va être en colère. Et vous ? (Elle me scanne.) Vous avez l’air triste.

Les vieux sont comme les enfants, on ne peut rien leur cacher.

— Ah bon, vous trouvez ? Non, tout va bien je vous assure.

— Parler… c’est si diffus… ça fatigue, vous savez.

— Je comprends, Michka.

— L’autre jour… j’ai fait un… (elle fait un drôle de geste, d’une main, qui désigne sa tête), j’aimerais vous le dire… mais c’est trop loin.

— Un rêve ?

— Oui, mais méchant.

— Un cauchemar ?

— Oui, avec la… grande régimente… Elle voulait me… débarrasser.

— Vous êtes anxieuse, Michka, ces derniers temps, vous en avez parlé aux auxiliaires ?

— Non, je ne peux pas… Il ne faut pas montrer qu’on est friable, aux militaires… Surtout pas.

Elle tourne un peu dans sa chambre, puis elle revient vers moi.

— Je voulais vous dire…

— Oui.

— C’est le… Ce n’est plus ce que c’était, vous savez. Ça a beaucoup baissé… Et puis j’oublie les… Alors tout est… effaré… égaré. Ça me… fraie.

— Ça vous fait peur ?

— Oui. Mais… froid aussi.»

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : LIRELIRE
  • : Ce blog est destiné à recevoir et à diffuser nos avis de lecteurs à propos des livres choisis (élire) et lus (lire).
  • Contact

licence et trace carbone

Lirelire   Josiane Bicrel est mis à disposition selon les termes de la licence creativecommons by-nc-sa/4.0

Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les mêmes Conditions 

Lirelire est neutre en carbone.

 

Rechercher

Classement Alphabétique Des Auteurs