Parler de ce livre n'est pas si simple quand on a à l'esprit que cette fois rien ni personne n'est fictif, ni l'histoire, ni l'auteur, ni le héros. Limonov a pourtant bien l’étoffe d'un héros picaresque côtoyant les voyous soviétiques, les poètes maudits, les bas-fonds new-yorkais, la haute société américaine, les intellectuels contestataires parisiens, le pouvoir russe, les militaires serbes, la prison et les travaux forcés et les femmes aussi belles qu'extravagantes. Cependant l'auteur ne s'attache pas ici à tracer une trajectoire cohérente pour son personnage. Il le montre tantôt pitoyable voire carrément méprisable, tantôt admirable voire héroïque et c'est justement ce qu'Emmanuel Carrère déplore à la fin de l’œuvre : La fin du livre n'est pas un fin de roman, la réalité est beaucoup plus prosaïque.
Outre cette histoire de Limonov, ce livre est aussi une analyse des événements qui se sont déroulés depuis la chute du bloc soviétique. Carrère prend souvent appui sur ce qu'en pense sa mère Hélène Carrère d'Encausse, académicienne spécialiste de la Russie. De ce point de vue, le livre est captivant car il permet de découvrir sous un autre angle des événements qui nous ont été présentés de façon souvent unilatérale au moment des événements.
Extrait de p 484, Limonov demande à Carrère : "C'est bizarre, quand même. Pourquoi est- ce que vous voulez écrire un livre sur moi ?"
Je suis pris de court mais je réponds, sincèrement : parce qu'il a _ou parce qu'il a eu, je ne me rappelle plus le temps que j'ai employé_une vie passionnante. Une vie romanesque, dangereuse, une vie qui a pris le risque de se mêler à l'histoire." répond Emmanuel Carrère.
Dans une interview au Point, Limonov répondant à une question sur ce qu'est l'âme russe déclare :
"Vous avez lu le livre d'Emmanuel Carrère ? Voilà, vous pouvez voir que l'âme russe se manifeste encore de temps en temps."
En somme, un livre qui m'a parfois dérangée m'a toujours beaucoup intéressée. Il m'a donné envie de lire quelques textes de Limonov.