Depuis L'Herbe des nuits que j'avais présenté ici en 2013, je n'avais pas eu l'occasion de me
remettre dans l'univers si particulier de Modiano.
Mettez Paris, quelques livres, quelques femmes, quelques souvenirs, quelques rêves dans un flacon et secouez comme on le fait avec une boule à neige et vous retrouvez le monde de Modiano. Enfin presque ! en réalité vous n'en aurez qu'une représentation approximative mais pas la quintessence.
Dans Souvenirs dormants, il me semble qu'on l’atteint un peu : Paris est là bien sûr, mais c'est surtout des noms de rues, de quartiers, de lignes de métro qui constituent autant des mélodies, des refrains que des images fugitives d'un Paris au mois d'août où on s'étonne à peine de retrouver une femme connue autrefois, réfugiée au fond d'un restaurant d'un autre temps nommée "La Passée", vêtue d'un manteau de fourrure. Dans ce Paris on croise et recroise des femmes dont on ne connaît pas grand chose. Des intrigues multiples commencent mais ne connaissent jamais de développement menant à une résolution. Le narrateur intradiégétique écoute, observe, parfois intervient dans l'histoire de ces femmes avec lesquelles il se montre attentif, empathique sans qu'on puisse bien identifier ce qui les lie. Tout cela est dit sur un rythme lent, comme égrené, entrecoupé de multiples silences que matérialisent les blancs entre les très nombreux chapitres de ce roman.
En somme, lire Souvenirs dormants, c'est un peu comme traverser un rêve où des lambeaux du réels se croisent et se perdent de vue sans que cela soit inquiétant. D'ailleurs, où est le réel et où est le rêve ?
"Je me demande si le souvenir lointain et confus d'un après-midi d'été passé à Saint-Maur ne m'a pas fait écrire, quarante-six ans plus tard, dans un cahier, à la date du 26 décembre 2011, ces quelques lignes :
Rêve. Je suis en présence d'un commissaire de police qui me tend une convocation sur du papier jauni. La première phrase évoque un crime sur lequel je dois témoigner." (p.95)