Auteur chilien né en 1949 et décédé cette année, Luis Sépulveda a publié en 1989 ce roman qui a pour cadre l'Amazonie. Alors qu'il était exilé à Hambourg depuis 1977, il participe à une expédition organisée par l'UNESCO en Amazonie. Il séjourne six mois chez les Indiens Shuars. Lors de la publication de ce roman en France en 1992, j'ai l'ai étudié avec des élèves de 2nde et nous avions rencontré l'auteur au festival Etonnant voyageur !
Antonio José Bolivar est un indien qui a émigré de son village de la montagne équatoriale avec sa femme Dolores Encarnnacion, attiré par les promesses faites par le gouvernement : recevoir des terres et de l'aide technique pour coloniser la forêt.
Comme les autres colons qui ne savent ni classer, ni pêcher, il est incapable de s'adapter à ce milieu hostile. Au bout de deux ans, sa femme meurt et à partir de ce moment-là, il vit seul dans la forêt et peuple sa solitude en lisant des romans d'amour.
Pour s'intégrer à cette région, Antonio José Bolivar a compris qu'il devait la connaître et que d'abord, il devait comprendre ses habitants. C'est pourquoi il a appris à chasser et à pêcher avec les Shars. Il s'est habillé comme eux et a évité le contact avec les autres colons. Alors qu'il avait détesté la forêt dont il voulait se venger en y mettant le feu car elle était responsable de la mort de sa femme, victime de la Malaria, il a appris peu à peu à connaître la forêt jusqu'à se rendre compte qu'elle le rendait heureux. Il faisait exactement ce qu'il voulait, n'était contraint à aucun horaire, aucune obligation matérielle. Il ne se sentait pas obligé de vivre en communauté, il décidait seul s'il voulait voir les indigènes ou rester seul.
Mais la nature chez Sépulveda n'est pas le paradis. Elle isole : les sentiers sont vite rendus impraticables par la végétation, le dentiste Rubicondo Loachamin ne vient que deux fois par an et apporte au vieu de nouveaux livres . Elle est inhospitalière et malsaine : les pluies diluviennes transforment le sol en marécage, la culture est impossible, les moustiques, la chaleur et l'humidité provoquent la Malaria. Elle est dangereuse : l'ocelote tue quatre personnes en cinq jours, les ouistitis tuent un homme, un serpent X a failli tuer Antonio José Bolivar.
Comme le monde des hommes incarné par le maire, est encore plus hostile, le vieux se réfugie dans les romans d'amour, seul rempart contre la "barbarie humaine"
Voici l'épilogue : "Malgré sa maigreur c’était une bête superbe, une beauté, un chef-d’œuvre de grâce impossible à reproduire, même en imagination.
Le vieux la caressa, oubliant la douleur de son pied blessé, et il pleura de honte, se sentant indigne, avili, et en aucun cas vainqueur dans cette bataille.
Les yeux brouillés de larmes et de pluie, il poussa le corps de l’animal jusqu’au bord de la rivière et les eaux l’emportèrent dans les profondeurs de la forêt, vers les territoires jamais profanés par l’homme blanc, vers le confluent de l’Amazone, vers les rapides où des poignards de pierre se chargeraient de le lacérer, à tout jamais hors d’atteinte des misérables nuisibles.
Puis il jeta rageusement le fusil et le regarda s’enfoncer sans gloire. Bête de métal honnie de toutes les créatures.
Antonio José Bolivar ôta son dentier, le rangea dans son mouchoir et sans cesser de maudire le gringo, responsable de la tragédie, le maire, les chercheurs d’or, tous ceux qui souillaient la virginité de son Amazonie, il coupa une grosse branche d’un coup de machette, s’y appuya, et prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes."