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1 novembre 2018 4 01 /11 /novembre /2018 10:57

J’ai lu ce roman d’une traite, je l’ai trouvé passionnant et vraiment très bien écrit.

 L’histoire est racontée par Alfa  Ndiaye, tirailleur sénégalais dans les tranchées de la Grande Guerre. Le récit porte ainsi la trace de sa culture et de l’oralité de sa langue. Des propos reviennent comme en refrains, ils se répètent et s’enrichissent au fil des lignes et cette langue riche d’images semble parfois celle des griots.

Le récit nous offre aussi un regard inédit sur la vie dans les tranchées de ceux que l’on nommait les « tirailleurs sénégalais », armés réglementairement d’un fusil et d’un coupe-coupe,  chargés de terrifier l’ennemi en jouant « les sauvages », bondissant hors des tranchées au coup de sifflet de leur capitaine alors même que la tranchée ennemie armait ses fusils en entendant ce même coup de sifflet !

Le héros-narrateur, Alfa Ndiaye est le fils d’une jeune femme peule et d’un agriculteur sénégalais. Son meilleur ami est son voisin Mabemba Diop. Lorsque sa mère a disparu, enlevée par les Maures, Alfa a été presque adopté par la famille de Mademba Diop. Les deux garçons ont grandi ensemble avec la jeune Fary Thiam qui les « aimait tous les deux », l’un devenant un beau jeune homme fort et musclé, l’autre restant plus rachitique, l’un vivant dans la nature, l’autre passant son temps dans les livres. Lorsque la guerre 14-18 a éclaté, Mabemba a convaincu Alfa que de s’engager comme tirailleurs sénégalais  leur apporterait gloire et fortune.

Quand Mabemba son « plus que frère » meurt, déchiré par une baïonnette ennemie,  Alfa se sent coupable.  C’est là qu’il commence à « penser par » lui-même sans communiquer le fond de sa pensée. Il entreprend de venger son « plus que frère », devenant le sauvage qui terrifie l’ennemi mais peu à peu terrifie aussi ses collègues au point qu’on le prend pour un mangeur d’âme ! Mabemba finit par prendre le contrôle du corps d’Alfa.

Mais la sauvagerie de notre héros reste bien singulière au regard de la folie meurtrière de cette guerre :

"Par la vérité de Dieu, maintenant je sais. Mes pensées n’appartiennent qu’à moi, je peux penser ce que je veux. Mais je ne parlerai pas. Tous ceux à qui j’aurais pu dire mes pensées secrètes, tous mes frères d’armes qui seront repartis défigurés, estropiés, éventrés, tels que Dieu aura honte de les voir arriver dans son Paradis ou le Diable se réjouira de les accueillir dans son Enfer, n’auront pas su qui je suis vraiment. Les survivants n’en sauront rien, mon vieux père n’en saura rien et ma mère, si elle est toujours de ce monde, ne devinera pas. Le poids de la honte ne s’ajoutera pas à celui de ma mort. Ils ne s’imagineront pas ce que j’ai pensé, ce que j’ai fait, jusqu’où la guerre m’a conduit. Par la vérité de Dieu, l’honneur de la famille sera sauf, l’honneur de façade.

Je sais, j’ai compris, je n’aurais pas dû. Dans le monde d’avant, je n’aurais pas osé, mais dans le monde d’aujourd’hui, par la vérité de Dieu, je me suis permis l’impensable. Aucune voix ne s’est élevée dans ma tête pour me l’interdire : les voix de mes ancêtres, celles de mes parents se sont tues quand j’ai pensé faire ce que j’ai fini par faire. Je sais maintenant, je te jure que j’ai tout compris quand j’ai pensé que je pouvais tout penser. C’est venu comme ça, sans s’annoncer, ça m’est tombé sur la tête brutalement comme un gros grain de guerre du ciel métallique, le jour où Mademba Diop est mort. (p 9)

"La rumeur a couru. Elle a couru tout en se déshabillant. Petit à petit, elle est devenue impudique. Bien vêtue au départ, bien décorée au départ, bien costumée, bien médaillée, la rumeur effrontée a fini par courir les fesses à l’air. Je ne l’ai pas remarquée tout de suite, je ne la distinguais pas bien, je ne savais pas ce qu’elle complotait. Tout le monde la voyait courir devant soi, mais personne ne me la décrivait vraiment." (p 27)

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