Avant de lire ce livre, je savais qu'il était potentiellement et même probablement primé ou multiprimé. La lecture a donc été l'occasion de découvrir son sujet : le viol de l'autrice pendant environ sept ans de son enfance, régulièrement et en de multiples lieux par son beau-père !
C'est évidemment un sujet choc, très dur ! depuis le Voyage dans l'Est de Christine Angot, je m'étais dit que j'éviterais à l'avenir ce type de livre. Mais Triste Tigre n'est pas un récit de vie, bien plus, il s'agit d'un essai lyrique dans lequel nous découvrons sans ménagement les horreurs du viol mais bien plus. L'autrice ne cesse de se poser des questions sur son prédateur et sur les prédateurs, sur elle-même et sur les victimes, sur les conséquences pour les uns et les autres, sur les causes... Elle convoque pour cela un très grand panel d'exemples littéraires, cinématographiques ou empruntés à la réalité et cela permet d'éviter les conclusions simplistes. En particulier, elle s'attarde sur Lolita de V Nabokov, mais aussi sur Le Voyage dans l'Est de C Angot, A ce stade de la nuit de M de Kerangal et beaucoup, beaucoup d'autres comme pour mieux comprendre ce qui lui est arrivé et ce qui lui arrive. Construit sur un système de point contrepoint, c'est un essai lyrique tout à fait intéressant d'un point de vue littéraire et aussi du point de vue du traitement du sujet.
Extrait :
Raisons que j’ai de ne pas vouloir écrire ce livre
1) Ne pas se spécialiser dans l’écriture sur le viol.
2) A priori, je me méfie des livres qui ont des sujets, et là, difficile d’y échapper. Comment écrire quelque chose de neuf, d’esthétiquement valable si on est écrasé par le sujet ?
3) J’aimerais faire autre chose, j’aimerais penser à autre chose, avoir une vie qui ait un autre centre.
4) Plein de livres chaque année sont écrits là-dessus par des survivantes et des survivants. Surtout des fictions. Dès que je tombe dessus je les feuillette. Ils sont parfois très bien écrits, parfois mauvais. Je les lis avec le même œil. Je cherche la description précise des faits. Je veux savoir ce qu’il lui a fait exactement, combien de fois, où, ce qu’il disait, etc. Je déteste l’idée que quelqu’un ouvre ce livre et cherche ce qu’on m’a fait exactement, où on m’a mis la bite, et le referme après sans y avoir rien trouvé d’autre que cette bizarre constatation.
5) Je ne suis pas sûre de pouvoir apporter quoi que ce soit aux victimes, aux proches de victimes, aux agresseurs ni même à ceux qui veulent mieux comprendre le sujet.
6) Je ne suis pas sûre que ce livre m’apporte quoi que ce soit à moi, en tant qu’être humain, ni en tant qu’écrivaine.
7) Je ne crois pas à l’écriture comme thérapie. Et si ça existait, l’idée de me soigner par le livre me dégoûte. Si ce n’est ni pour les autres ni pour moi, alors à quoi bon ?