Voilà un titre accrocheur ! parodie, tautologie, ironie ? L'illustration de couverture ne nous avance pas beaucoup non plus : un couple ? deux personnes seules ? Dans ma quête du soleil dans cet hiver noir, je n'y ai vu que du feu et j'ai ouvert ce livre en y cherchant le bonheur.
Quelle surprise ! Ce livre que je croyais roman se présente comme une série de nouvelles, chacune avec pour titre le prénom et le nom de son personnage principal. Et chaque personnage, loin d'être un chantre du bonheur, mène sa vie comme il le peut, le moins mal possible, cotoyant, comme le hasard le provoque, tel ou tel autre personnage qui a eu ou aura aussi sa nouvelle. C'est que l'architecture de ce livre est audacieuse : on imagine que l'auteure a dû fixer les personnages et leurs relations dans une carte mentale par exemple. Sinon, comment se retrouver dans cet embrouillamis de rencontres, de fréquentations diverses ? Ce n'est pas vraiment La Condition humaine, mais Yasmina Reza me semble suivre ici les pas de Balzac sur ce plan !
Autre surprise : Yasmina Reza ne fait pas de paragraphe ! l'histoire de chaque personnage se lit ainsi d'un trait, sans rupture, sans repère. Cela me rappelle l'écriture de José Saramago. Yasmina Reza supprime tellement toute mise en page que même les discours directs sont fondus dans le texte, tout juste un changement de locuteur est-il signalé par un tiret.Ainsi, le début de Rémi Grobe : "Je suis censé être qui ? je lui avais demandé._Un collaborateur._Un collaborateur ? Je ne suis pas avocat. Un journaliste, a dit Odile._Comme ton mari ? _ Pourquoi pas ? _ Dans quel journal ? _Un truc sérieux. Les Échos. Personne ne lit ça là-bas. En arrivant à Vandermines, Odile a voulu que je gare la voiture dans une ruelle derrière la place de l'église. J'ai dit, il pleut. _Je ne veux pas arriver en BMW. _ Au contraire, tu arrives dans la même bagnole que l'avocat du patron, c'est parfait. Elle hésitait. Elle s'était faite mignonne, talons plus hauts que d'habitude, coiffure dame. J'ai dit, tu es chic, tu es la Parisienne, tu crois qu'ils ont envie d'une gaucho qui vient les représenter en sabots ?" et l'histoire de Rémi Grobe se poursuit ainsi sur presque six pages et celles de Robert Toscano, de Marguerite Blot, d'Odile Toscano, de Vncent Zwada et des 17 autres se développent de la même façon en un seul grand paragraphe.
Dans un conte de fées, tout ce petit monde se retrouverait réuni lors d'un mariage. Dans Heureux les heureux, c'est.pour une crémation !
Et voilà, vous l'avez compris, Heureux les heureux n'est pas un conte merveilleux, c'est lee théâtre du monde, c'est une série de tranches de vie, sans queue ni tête, où les êtres se frôlent, se croisent, parfois plus mais sont finalement seuls au milieu de tous. C'est là une perception mélancolique mais très contemporaine de la vie. Il me semble que c'est aussi celle de Delphine de Vigan.